UROLOGIE FÉLINE
Article de synthèse
Auteur(s) : Mathieu Retournard*, Guillaume Ragetly**, Cyrill Poncet***
Fonctions :
*CHV Frégis
43, avenue Aristide-Briand
94110 Arcueil
Une obstruction urétérale avec installation d’insuffisance rénale aiguë doit être levée au plus vite. La pose d’un subcutaneous ureteral bypass (SUB) est une nouvelle technique prometteuse même si elle est délicate.
Les obstructions urétérales félines étaient considérées, il y a encore 10 ans, comme des affections peu fréquentes. La plupart étaient diagnostiquées de façon conjointe à la présence de lithiases vésicales ou découvertes fortuitement sur des radiographies abdominales. Cependant, avec le développement et l’utilisation devenue courante des techniques d’imagerie moderne comme l’échographie ou le scanner, leur incidence semble s’accroître depuis quelques années. Ainsi, les lithiases urétérales font actuellement partie des principales causes d’insuffisance rénale aiguë (IRA) chez le chat, constituant un challenge diagnostique et thérapeutique pour le vétérinaire généraliste, l’interniste et le chirurgien.
Les obstructions urétérales félines peuvent se développer secondairement à une obstruction intraluminale (en présence de lithiases, de débris cellulaires, de caillots ou de spasmes urétéraux), à une lésion urétérale pariétale (liée à des processus tumoraux, à des sténoses congénitales ou acquises, à des fibroses, à des polypes, etc.) ou à une compression extraluminale (due le plus souvent à des tumeurs vésicales ou rétropéritonéales).
Chez le chat, la plupart des lithiases urétérales (environ 98 %) sont composées d’oxalate de calcium et ne peuvent donc pas être dissoutes [5, 6]. Dans l’espèce féline, le diamètre interne moyen des uretères est d’environ 0,4 mm [8]. Ainsi, bien que certaines lithiases de 1 à 2 mm puissent être évacuées, la majorité de ces formations, mesurant plus de 1 mm, sont susceptibles d’être à l’origine d’une obstruction, partielle ou totale.
La physiopathologie des obstructions urétérales a été étudiée chez le chien et a révélé que le pronostic de récupération de la fonction du rein atteint dépend du degré d’obstruction, mais également de la durée d’évolution de cette obstruction [10]. Il a ainsi été montré que le pronostic de récupération de la fonction rénale est bon si la levée d’obstruction a lieu dans les 4 premiers jours. En revanche, la moitié du débit de filtration glomérulaire est définitivement perdue après 14 jours d’obstruction. Après 40 jours, le rein perd la quasi-totalité de sa capacité de filtration [10]. Ces observations mettent en lumière l’importance d’un diagnostic rapide et d’une reperméabilisation précoce des voies urinaires hautes.
Dans environ 81 % des cas, l’obstruction est unilatérale [5, 6]. Cependant, les atteintes unilatérales sont difficiles à diagnostiquer et passent le plus souvent inaperçues dans la mesure où le rein controlatéral compense la baisse du débit de filtration glomérulaire de l’organe atteint. Ainsi, lors d’obstruction unilatérale, le diagnostic d’obstruction urétérale est le plus fréquemment fortuit. Lorsqu’une seconde obstruction se développe sur le rein opposé, une IRA apparaît et le diagnostic est plus simple à établir [2]. Une levée d’obstruction rapide doit alors être effectuée afin de limiter le plus possible les séquelles sur le dernier rein fonctionnel.
Le traitement des obstructions urétérales liées à la présence de lithiases peut être médical ou chirurgical [2].
La base de la gestion médicale des obstructions urétérales intraluminales repose sur une fluidothérapie raisonnée, un traitement antalgique approprié et l’administration de molécules visant à dilater les uretères, à lever un spasme urétéral et à faciliter le passage des urétérolithes [2].
Cependant, en dépit d’une prise en charge médicale adaptée, un mouvement des lithiases urétérales est observé chez moins de 20 % des individus, avec un passage complet de celles-ci dans seulement 10 % des cas [6]. De plus, une étude récente a montré la présence de lithiases rénales chez près de 62 % des chats atteints de lithiases urétérales, majorant le risque de récidive [6]. Enfin, le principe de la gestion médicale des lithiases urétérales repose sur l’administration de fluide qui, chez des animaux dont la diurèse est altérée par l’obstruction urétérale, peut mener à une hyperhydratation et à une hypervolémie, et être à l’origine de complications graves, telles qu’un œdème aigu du poumon, notamment chez les chats atteints d’insuffisance cardiaque.
Une étude a évalué le taux de survie à 1 an de chats présentant des lithiases urétérales, traités médicalement ou chirurgicalement [6]. En dépit d’un taux de complications à court terme important chez les chats traités chirurgicalement, le taux de survie à 1 an des animaux opérés (91 %) était supérieur à celui des individus gérés médicalement (66 %). De plus, une récidive de lithiases urétérales était mise en évidence chez 14 chats sur 35 au cours des 12 premiers mois.
Lors d’échec du traitement médical, une prise en charge chirurgicale visant à reperméabiliser les voies urinaires doit être proposée. Plusieurs approches ont été mises en œuvre ces dernières années, soit en abordant directement la zone obstruée (grâce à une urétérotomie ou à une néo-urétérocystostomie dans le cas des obstructions distales), soit en reperméabilisant l’uretère via la pose d’un stent, soit en déviant les voies urinaires (à l’aide d’une sonde de néphrostomie ou d’une sonde pyélovésicale).
Le choix entre ces différentes techniques chirurgicales varie selon la sévérité de l’atteinte rénale, la localisation de l’obstruction, le nombre de lithiases, l’expérience du chirurgien, la taille de l’animal, le matériel disponible (un microscope opératoire est recommandé pour les urétérotomies) et les éventuels épisodes antérieurs d’obstruction.
Les complications liées à ces procédures sont nombreuses (difficultés à localiser les lithiases, déhiscence des sutures d’urétérotomie, uro-abdomen, sténose urétérale, récidive d’obstruction, cystite inflammatoire, hématurie, etc.) et un taux de mortalité péri-opératoire de 18 à 39 % est rapporté selon les méthodes utilisées, pour des équipes souvent très expérimentées [3, 6, 9]. De plus, un taux de récidives d’obstruction urétérale allant jusqu’à 40 % à 1 an est rapporté [6]. Dans une récente revue de cas faisant état des complications dues à la mise en place de stents dans la gestion de 12 chats atteints de lithiases urétérales obstructives, une dysurie a été observée dans trois cas, une infection urinaire dans un cas, une migration de stent dans un cas et une obstruction de stent dans trois cas [7].
Le SUB repose sur l’association d’une sonde de néphrostomie en silicone et d’une sonde de cystostomie fenestrée, reliées par une canule sous-cutanée en titane comportant une valve (photo 1). Cette dernière, positionnée en région sous-cutanée, permet de réaliser des prélèvements d’urine et des irrigations du système pour prévenir des obstructions futures. Différentes variantes sont disponibles (photos 2a et 2b, encadré).
Le SUB est commercialisé aux États-Unis, sous forme de kits stériles (disponible en France uniquement auprès de Norfolk). Deux tailles sont disponibles, pour les chats et les chiens de petite taille, et pour les chiens de plus grand gabarit. Les deux kits se différencient par la taille des canules, la longueur des sondes étant ajustable.
L’indication principale pour la mise en place d’un SUB est une obstruction secondaire à une lithiase urétérale (photos 3a à 3d). L’objectif est de dévier les voies urinaires hautes entre les reins et la vessie. Le SUB est également indiqué lors :
• d’intolérance ou de réaction liée à un stent (photos 4a à 4d) ;
• de phénomène obstructif complexe dû, par exemple, à plusieurs lithiases ;
• de sténose urétérale proximale ;
• d’échec de précédentes techniques chirurgicales ou d’obstruction d’un stent ;
• de tumeur urétérale non opérable ;
• d’impossibilité de mettre en place un stent (photo 5) ;
• de risque élevé de récidive d’obstruction (lorsque des lithiases rénales sont présentes, par exemple) [1].
Les contre-indications sont une coagulopathie ou une hydronéphrose majeure. Cependant, une dilatation pyélique modérée (estimée à environ 5 mm) est requise pour permettre la mise en place du dispositif. En pratique, une pyélectasie est fréquemment associée aux obstructions urétérales et il est rarement nécessaire de dilater artificiellement le bassinet avant d’installer la sonde de néphrostomie.
La procédure est effectuée au cours d’une laparotomie médiane conventionnelle. L’exploration permet de confirmer que le SUB est l’indication de choix. Il arrive que le chirurgien change de technique opératoire durant l’intervention, par exemple lorsqu’il est possible de faire migrer le calcul par taxis ou qu’une réimplantation urétérale est réalisable.
Un examen à la fois cytologique et bactériologique de l’urine est pratiqué s’il n’a pas été demandé durant la période préopératoire. Les animaux admis pour une obstruction urétérale le sont souvent en deuxième ou en troisième intention, et il n’est pas toujours possible d’attendre 2 à 3 jours les résultats d’une bactériologie. Il est donc fréquent de devoir positionner un SUB en urgence sans qu’une bactériologie ait été réalisée au préalable.
Dans un premier temps, le rein atteint est abordé et libéré de la graisse rétropéritonéale qui l’enveloppe. Le bassinet est ponctionné à partir du pôle caudal à l’aide d’un cathéter 18 G. Le positionnement correct du cathéter dans la cavité pyélique est vérifié par fluoroscopie (une pyélographie est alors effectuée). La sonde de néphrostomie est ensuite insérée dans le bassinet et son extrémité en “queue-de-cochon” est déployée. L’attache est renforcée grâce à une coiffe circulaire en Dacron®, fixée à la sonde, et maintenue par des points d’appui et de la colle cyanoacrylate en regard de la capsule rénale.
La vessie est ensuite abordée et une sonde de cystotomie montée sur un trocart est placée, puis sécurisée par une suture en bourse. Comme pour la sonde de néphrostomie, des points d’appui et de la colle cyanoacrylate sont positionnés entre la paroi vésicale et la coiffe circulaire en Dacron® fixée à la sonde.
Enfin, un passage sous-cutané paramédian du côté atteint est effectué avec les sondes de cystotomie et de néphrostomie. Celles-ci sont connectées et sécurisées à une canule. Leur bon positionnement est vérifié avant la fermeture.
Durant la phase postopératoire, une fluidothérapie est maintenue afin de soutenir la fonction rénale. La diurèse est suivie. En conformité avec les recommandations de Norfolk, une antibiothérapie est maintenue pendant environ 2?semaines et ajustée selon les résultats de l’antibiogramme.
Durant la première année, une bactériologie urinaire doit être effectuée tous les 3 mois, puis tous les 6 mois après 1 an. Des suivis radiographique et échographique sont réalisés à intervalle régulier afin d’évaluer la taille de la cavité pyélique, le diamètre des uretères et le positionnement du dispositif [1].
Une irrigation du système doit être effectuée tous les 3 à 4 mois, afin de vérifier sa bonne perméabilité et l’absence de dépôt dans le dispositif. Elle peut être réalisée sous contrôle échographique ou fluoroscopique, dans des conditions d’asepsie chirurgicale [1].
Plusieurs séries de cas ont déjà été présentées ou publiées, qui rapportent une perméabilité du système dans 92 % des cas à 18 mois et une amélioration des paramètres rénaux chez 98 % des individus [1, 2, 4]. La mise en place d’un SUB permet d’aboutir à une décompression pyélique dans près de 98 % des cas.
Les complications sont relativement rares (moins de 5 %) et se manifestent essentiellement durant la mise en place du dispositif lors de la phase opératoire, ou immédiatement après. Les complications décrites sont une désolidarisation de la sonde de néphrostomie au niveau du rein (beaucoup moins fréquente avec la nouvelle coiffe en Dacron®) ou de la vessie ou des sondes en regard de la canule sous-cutanée, une hémorragie rénale durant la ponction, une obstruction de la sonde par un caillot de sang, un retournement de la canule sous-cutanée (photo 6). Dans notre expérience, une coudure de la sonde dans l’abdomen ou au niveau de son passage sous-cutané est une complication possible, dont le risque d’apparition est minoré en la déployant correctement (photo 7).
L’utilisation du SUB chez des chats atteints d’obstructions urétérales semble être une solution alternative intéressante, par rapport aux techniques traditionnelles, lorsque celles-ci sont contre-indiquées ou qu’elles ont échoué, ou parfois aussi en première intention. Cette technique paraît assez complémentaire de la pose de stents urétéraux. La mise en place du dispositif est complexe et nécessite une phase d’apprentissage, ainsi qu’un équipement spécifique (fluoroscopie). Les premières études montrent des résultats encourageants, avec peu de complications à moyen terme. Cependant, des études avec des suivis à plus long terme sont souhaitables, en raison d’un manque de recul sur l’efficacité à distance du dispositif. Dans notre pratique, une douzaine de dispositifs ont été positionnés à ce jour.
Aucun.
→ Les lithiases urétérales font partie des principales causes d’insuffisance rénale aiguë chez le chat.
→ Un diagnostic rapide et une reperméabilisation précoce des voies urinaires hautes sont des éléments primordiaux pour limiter les séquelles.
→ Le traitement médical est efficace dans seulement 10 à 20 % des cas et les solutions alternatives chirurgicales entraînent de nombreuses complications.
→ Le subcutaneous ureteral bypass apporte une solution alternative thérapeutique complémentaire aux stents urétéraux, en permettant de dévier les voies urinaires entre les reins et la vessie.
→ Si la technique de pose est délicate, en revanche, les résultats sont excellents puisque la décompression est obtenue dans 98 % des cas, avec un taux de complications de moins de 5 %.
→ Avec le dispositif sans valve d’injection, il n’est pas nécessaire de réaliser la dissection sous-cutanée (SC), faire passer les sondes au travers de la paroi abdominale, bien les déployer et fixer la canule.
→ Chez les chats sévèrement azotémiques ou lorsqu’il s’agit d’une procédure « de sauvetage » pour dévier les voies urinaires, la réduction du temps anesthésique ainsi permise peut être un critère de choix.
→ Dans notre pratique, nous optons toujours pour une canule SC. Mais le dispositif est commercialisé par Norfolk avec cette indication.
→ L’absence de canule sous-cutanée prive le système d’un de ses intérêts majeurs, à savoir la possibilité de réaliser des irrigations et des prélèvements d’urine.
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