Le syndrome myasthénique chez le chien - Le Point Vétérinaire n° 267 du 01/07/2006
Le Point Vétérinaire n° 267 du 01/07/2006

NEUROLOGIE DU CHIEN

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COURS

Auteur(s) : Anthony Bartolo

Fonctions : 4, rue Saint-Benoît
63000 Clermont-Ferrand

La myasthénie est une maladie neuromusculaire qui peut se manifester sous la forme d’un méga-œsophage, d’une fatigue musculaire, etc. Son traitement est à la fois symptomatique et étiologique.

Le syndrome myasthénique regroupe différentes affections qui ont en commun, par définition, une faiblesse musculaire. Au sein de ce syndrome complexe, sont distinguées la myasthénie congénitale, rare, et la myasthénie grave (myasthenia gravis, MG) sensu stricto, qui est la forme acquise. La MG est une maladie auto-immune relativement commune chez le chien, peu diagnostiquée chez le chat et aussi identifiée chez l’homme.

La myasthénie grave correspond à une atteinte auto-immune de la jonction neuromusculaire par action d’anticorps dirigés contre les récepteurs à l’acétylcholine postsynaptiques. La forme congénitale correspond à une déficience en ces mêmes récepteurs.

Dans sa forme la plus fréquente, la MG des chiens et des chats s’exprime cliniquement par des troubles locomoteurs qui apparaissent après l’effort et s’améliorent avec le repos. Toutefois, les muscles appendiculaires ne sont pas les seuls susceptibles d’être affectés et il existe d’autres formes focales de cette maladie dont le diagnostic est plus difficile à établir. Des variations dans les modalités d’évolution et le déterminisme des symptômes (forme acquise ou congénitale) contribuent également à diversifier les myasthénies. Enfin, l’existence de troubles de causes différentes mais cliniquement proches justifie le regroupement en syndrome.

La jonction neuromusculaire

La transmission de l’influx nerveux dans la jonction neuromusculaire des muscles squelettiques dépend de la présence et de l’état des récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine (RAch) (voir la FIGURE “Fonctionnement d’une jonction neuromusculaire”). Toute anomalie de structure ou de fonctionnement de ces récepteurs a des conséquences sur la contraction musculaire. Lorsqu’un potentiel d’action (PA) parvient à la terminaison axonale, une diminution du potentiel de membrane cellulaire provoque l’ouverture des canaux Ca2+ présynaptiques. Cet influx de Ca2+ à l’intérieur de la cellule entraîne une sécrétion d’acétylcholine (Ach) dans la fente synaptique. Celle-ci se lie aux RAch sur la membrane postsynaptique. Les RAch sont des canaux Na+/K+ qui s’ouvrent transitoirement lors de la fixation de l’Ach. Le flux de Na+ intracellulaire induit une onde de dépolarisation (PA musculaire) qui se propage dans toutes les directions du sarcolemme de la fibre musculaire et provoque la contraction musculaire.

Pour mettre rapidement fin à la stimulation, l’acétylcholinestérase (AchE) hydrolyse l’Ach présente dans la fente synaptique.

Toute interférence avec le Ca2+ présynaptique, la fonction du récepteur, le relargage d’Ach, la fixation aux RAch ou la dégradation de l’Ach est à l’origine d’une transmission synaptique inadéquate et d’une faiblesse musculaire [1].

Étiologie et pathogénie de la myasthénie

• Les signes cliniques observés lors de myasthénie congénitale sont consécutifs à un déficit de la jonction neuromusculaire en RAch postsynaptiques, en raison d’une diminution ou d’un défaut de synthèse. La maladie est héréditaire et se transmet selon un mode autosomal récessif. Dans ce type de myasthénie, des auto-anticorps circulants ne sont pas retrouvés [9].

• Les cas de MG acquise sont d’origine immunologique. La MG est la maladie auto-immune affectant le système neuromusculaire la plus étudiée et peut-être la mieux caractérisée [9]. Des auto-anticorps dirigés contre les RAch de la plaque motrice musculaire (le plus souvent des IgG) entraînent les signes cliniques. Plusieurs mécanismes pathogéniques sont proposés : la destruction des membranes des cellules musculaires postsynaptiques au voisinage des RAch, une diminution de la synthèse de nouveaux récepteurs et de leur incorporation dans la membrane, une action directe des auto-anticorps contre les récepteurs [1, 9]. Le déclenchement de la maladie immunitaire demeure inexpliqué. La baisse du nombre de récepteurs fonctionnels augmente la probabilité de mauvaise transmission de l’influx nerveux au muscle.

Le blocage des RAch n’est pas auto-entretenu après son initiation. La myasthénie comprend une phase d’initialisation et une phase d’entretien, mais ces phénomènes demeurent inexpliqués [1, 2, 9].

Chez le chien, des anomalies thymiques (thymomes surtout) associées à la myasthénie ont été rapportées dans 18 à 47 % des cas selon les séries. Il existe une similarité antigénique entre les thymocytes tumoraux et les RAch qui expliquerait ce phénomène paranéoplasique, plus souvent présent chez le chat que chez le chien [1, 6, 11].

Plus rarement, une MG peut accompagner un autre phénomène cancéreux (ostéosarcome, carcinome hépatique, adénocarcinome des glandes apocrines des sacs anaux, lymphome cutané), une hypothyroïdie, un hypocorticisme, une thrombocytopénie ou une anémie hémolytique sans que le mécanisme en soit connu [1, 9].

Épidémiologie

• À ce jour, la myasthénie congénitale n’est que rarement diagnostiquée en médecine vétérinaire et elle est identifiée seulement pour quelques races (jack-russel-terriers, springer spaniels, fox-terriers à poil lisse) (voir le TABLEAU “Prédispositions raciales et étiologie des myasthénies”) [2, 9, 10].

Des syndromes myasthéniques congénitaux consécutifs à une atteinte présynaptique ont également été rapportés chez l’ancien chien d’arrêt danois (gammel dansk honsehunds).

La MG sensu stricto atteint préférentiellement les golden retrievers, les labradors et les bergers allemands [1, 2, 9, 10], mais la prévalence de ces races au sein de la population canine peut fausser les statistiques.

Les chiens de race akita, les chiens de terrier (particulièrement les scottish), les braques allemands et les chihuahuas sont également atteints. Ces prédispositions raciales confortent l’hypothèse de l’influence de facteurs génétiques dans la pathogénie [9, 10].

La distribution des âges présente deux pics de fréquence à trois et à dix ans [1, 2, 9, 10].

Il n’y a pas de prédisposition sexuelle, mais les animaux entiers semblent légèrement moins atteints que les individus castrés [1, 2, 9, 10].

Présentation clinique

Il existe trois formes de MG (voir le TABLEAU “Manifestations cliniques de la MG”).

1. Forme chronique généralisée

La forme généralisée est dominée par une faiblesse des muscles du squelette appendiculaire. Une étude sur 1 154 cas révèle qu’elle représente 57 % des cas de MG [10].

Le tableau clinique est dominé par des épisodes de faiblesse musculaire responsable d’une intolérance à l’effort. La crise débute par un raccourcissement de la foulée, puis surviennent des fasciculations, des tremblements ou des contractures musculaires à l’origine d’une incoordination motrice : l’animal n’est plus capable de rester debout et s’effondre sur le sol (PHOTOS 1 ET 2A). Au repos, la fatigue musculaire décroît, et l’animal est généralement capable de se relever et de marcher. Ces crises augmentent progressivement en fréquence et en intensité. La durée du repos nécessaire à la reprise de la marche a tendance à s’allonger. Les signes ne s’aggravent pas toujours avec l’exercice et la faiblesse peut se limiter aux muscles des membres pelviens chez certains chiens [2].

D’autres signes cliniques lors d’atteinte des muscles striés non squelettiques sont présents chez 87 % des chiens [10] : régurgitations dues à un méga-œsophage (voir l’ENCADRÉ “Reconnaissance radiographique du méga-œsophage”), dysphagie, ptyalisme, protrusion linguale à la suite d’une atteinte des muscles des mâchoires, de la langue et du pharynx. Une atteinte des muscles faciaux entraîne une ptose des paupières et des babines, ou un port anormal des oreilles. Une atteinte laryngée provoque une modification de la voix ou un cornage, voire, dans les cas les plus graves, une paralysie laryngée.

Le méga-œsophage se complique souvent d’une bronchopneumonie par fausse déglutition et se traduit par de la fièvre, une toux faible et une dyspnée d’apparition aiguë. Un méga-œsophage est présent chez 80 à 90 % des animaux atteints de la forme généralisée de MG [1, 2, 6, 9, 10]. Inversement, 25 % des chiens qui présentent un méga-œsophage acquis sont atteints de MG quelle que soit la forme [2].

Les réactions posturales (placer proprioceptif en particulier) sont normales (bien soutenir le poids du corps de l’animal) et seul l’examen des nerfs crâniens peut être modifié en raison d’une fatigabilité des muscles de la face (le toucher palpébral est au départ normal, mais la fatigue des muscles rend progressivement ce réflexe négatif).

2. Forme aiguë fulgurante

Chez 25 % des chiens atteints de la forme généralisée [10], les signes cliniques sont d’apparition aiguë à suraiguë et sont responsables de la majorité des morts liées à la MG, avec une dilatation œsophagienne, une tétraparésie progressive et une détresse respiratoire qui évoluent en moins de soixante-douze heures [2, 9].

3. Forme localisée

Quarante-trois pour cent des chiens [10] ne présentent pas d’atteinte des muscles du squelette appendiculaire, mais seulement un méga-œsophage isolé ou un dysfonctionnement des muscles pharyngés, laryngés ou faciaux, avec ou sans méga-œsophage.

4. Cas de la myasthénie congénitale

La myasthénie congénitale comporte des signes cliniques similaires à ceux de la forme généralisée de la MG, avec cependant une fréquence moins élevée de méga-œsophage. Les symptômes apparaissent progressivement chez des animaux jeunes, à l’âge de six à douze semaines, et évoluent le plus souvent jusqu’à la paralysie [2, 9].

Diagnostic

L’hypothèse de myasthénie doit être évoquée lors de fatigue généralisée (particulièrement lorsque celle-ci est aggravée par l’effort) (voir le TABLEAU “Causes de faiblesse chez le chien”), de méga-œsophage, de dysphagie ou de paralysie laryngée. Le diagnostic est fondé sur une suspicion clinique confirmée par des examens complémentaires.

• La MG peut être associée à d’autres maladies auto-immunes, à des dysendocrinies (hypothyroïdie, hypocorticisme) ou à des néoplasies (syndrome paranéoplasique). Le bilan complet comporte un examen clinique rigoureux, des analyses hémato-biochimiques (numération-formule sanguine, plaquettes, urée, créatinine, Alat, PAL, glycémie, protéines totales, Ca2+, Na+, K+, réticulocytes en cas d’anémie) et un bilan urinaire (bandelette et densité au réfractomètre). Selon le cas, un dosage thyroïdien, un test ACTH couplé à un dosage d’aldostérone plasmatique, une recherche des facteurs antinucléaires (lupus érythémateux disséminé) ou un test de Coombs direct (pour confirmer le caractère auto-immun d’une anémie hémolytique) sont demandés [9].

• Des clichés radiographiques du thorax sous deux incidences permettent de déceler un méga-œsophage, une bronchopneumonie ou une masse médiastinale crâniale évocatrice d’une masse thymique (PHOTO 6). Cette dernière est localisée avec précision et mesurée grâce à une échographie thoracique (PHOTO 7). Lorsqu’il existe une forte suspicion de méga-œsophage et que la radiographie sans préparation est douteuse, un marquage baryté ou iodé peut être effectué pour en faciliter la visualisation. Il convient alors de prendre garde aux pneumonies par fausse déglutition. L’échographie permet également de procéder à une cytoponction échoguidée d’une masse thoracique pour établir le diagnostic cytologique (et différentiel d’un lymphome thoracique). Celui-ci présente fréquemment des mastocytes associés à de nombreux lymphocytes mûrs lors de thymome [6]. La scintigraphie a récemment été utilisée pour évaluer la motilité œsophagienne chez des chiens myasthéniques. Cette méthode est sûre, sensible et spécifique, mais peu disponible à l’heure actuelle [1].

• La méthode diagnostique de choix est le dosage des anticorps anti-RAch par une méthode d’immunoprécipitation (disponible uniquement aux États-Unis). Ce dosage, à la fois sensible et spécifique, permet de prouver l’existence d’une réaction auto-immune dirigée contre des RAch de la plaque motrice. Les résultats faussement positifs sont rares et la sérologie est négative chez 2 % des chiens atteints de MG généralisée (pas de statistiques pour la forme localisée). En cas de forte suspicion clinique avec une sérologie négative, il convient de renouveler le test ou de recourir à un autre moyen diagnostique. Un titrage en anticorps supérieur à 0,6 nmol/l est diagnostique de la myasthénie canine acquise [1, 2, 9, 10]. Bien que le taux sérique d’anticorps anti-RAch soit vraisemblablement moins élevé pour les formes focales que pour les formes généralisées [1], la sévérité des signes cliniques et la concentration en anticorps ne sont pas proportionnées. La réalisation d’une cinétique de dosage des anticorps permet un suivi de l’évolution de l’affection. Un taux d’anticorps normalisé signe la guérison [1, 2, 9, 10].

Une prise de sang doit précéder l’administration de corticoïdes. En effet, un traitement immunosuppresseur pendant plus de sept à dix jours diminue la concentration en anticorps et est responsable de faux négatifs [9].

Ce dosage est spécifique d’espèce : il faut donc utiliser des kits de dosage adaptés au chien et au chat [9].

La sérologie est inutile pour confirmer une myasthénie congénitale, car celle-ci n’est pas due à une réaction auto-immune. Le résultat est dans ce cas systématiquement négatif.

• L’épreuve pharmacologique avec un anticholinestérasique d’action courte est le test le plus souvent réalisé pour confirmer une forme généralisée, mais elle manque de sensibilité et de spécificité. Elle vient donc en confirmation d’une hypothèse diagnostique [1, 9].

Son principe est d’augmenter la durée de vie de l’Ach dans la fente synaptique et de prolonger ses effets sur les récepteurs en se fixant à l’AchE (le complexe ainsi formé est hydrolysé plus lentement que le complexe Ach/AchE). L’injection est réalisée après une crise afin de mieux observer ses effets. Les deux substances les plus utilisées sont la néostigmine(1) (Prostigmine®), administrée par voie intramusculaire à la posologie de 0,04 mg/kg ou intraveineuse à la dose de 0,02 mg/kg, et l’édrophonium(1) (Tensilon®, non disponible en France) à la posologie de 0,1 à 0,2 mg/kg par voie intraveineuse. Un surdosage ou l’administration chez un animal non myasthénique peut provoquer des effets muscariniques indésirables (diarrhée, vomissements, ptyalisme), diminués par une prémédication avec de l’atropine à la posologie de 0,02 à 0,04 mg/kg par voie intramusculaire ou intraveineuse (voir le TABLEAU “Effets secondaires des anticholinestérasiques”) [1, 2, 7, 9].

Le test est positif si l’animal retrouve ses fonctions locomotrices dans les minutes qui suivent l’injection (PHOTO 8). La durée d’action est cependant brève et une nouvelle crise peut survenir trente minutes à une heure après ce test.

L’amélioration doit être spectaculaire et complète pour qu’un diagnostic de MG soit établi. En effet, dans certains cas de myopathie ou de polyneuropathie, une amélioration incomplète conduit à des faux positifs. Inversement, l’absence de réponse n’élimine pas totalement l’hypothèse de MG. Les chiens atteints de la forme aiguë fulgurante ont souvent un test pharmacologique négatif, a priori dû à un manque de RAch disponibles [1].

Cet examen permet néanmoins la mise en place d’un traitement en attendant la confirmation de la maladie par un dosage des anticorps anti-RAch.

• L’électrodiagnostic est également une méthode présomptive des différentes formes de la MG. Lors d’électrostimulation répétitive d’un nerf moteur, un décrément de la réponse motrice de plus de 10 % à la troisième stimulation s’observe généralement à partir de 3 Hz (jusqu’à 60 % parfois) [4]. L’électromyographie à fibre unique est la méthode la plus sensible pour la recherche d’une défaillance de la transmission neuromusculaire [4, 9]. Des faux positifs sont cependant possibles en cas d’autres affections nerveuses, musculaires ou de la jonction neuromusculaire. Lorsque l’électrodiagnostic est à nouveau réalisé après l’injection d’un anticholinestérasique, la normalisation du décrément est fortement en faveur d’une MG [9].

Les appareils d’électrodiagnostic sont peu nombreux en France et l’analyse nécessite une anesthésie générale, ce qui limite son emploi en routine. Cette procédure est cependant utile dans l’attente du résultat du dosage des anticorps (trois semaines de délai ne sont pas rares) et en association avec l’épreuve pharmacologique.

• Des biopsies neuromusculaires, réalisées en particulier dans le muscle intercostal externe, permettent une évaluation cytochimique et immunocytochimique des récepteurs de la plaque motrice. Cela est particulièrement utile lors de MG congénitale. Ces tests requièrent un matériel particulier disponible uniquement dans quelques centres médicaux spécialisés [9].

Traitement

La diversité des présentations cliniques des chiens atteints de MG explique la multiplicité des options thérapeutiques proposées. Le traitement doit être adapté à chaque animal, à la forme de MG et à sa réponse aux médicaments.

1. Traitement symptomatique

La base du traitement symptomatique de tout animal atteint de MG repose sur deux principes : gérer au mieux l’alimentation en cas de méga-œsophage et utiliser des médicaments qui augmentent le contact Ach-récepteur.

Support nutritionnel du méga-œsophage

La mise en place d’un support nutritionnel [1, 2, 9] est intéressante pour réduire les risques de pneumonie par fausse déglutition dans les cas de méga-œsophage. Deux options sont possibles :

- proposer les repas en hauteur et maintenir l’animal avec la tête en position haute pendant cinq à dix minutes après la prise de nourriture pour faciliter un transit par gravité. La consistance de l’aliment est adaptée à chaque animal afin de diminuer les risques de régurgitation : petites quantités de liquide, de purée ou de boulettes d’aliment semi-humide pour certains, aliment solide pour d’autres [2, 8]. Il est préférable de sélectionner des aliments hypercaloriques distribués plus fréquemment [2] ;

- poser un tube de gastrostomie pour une alimentation assistée lorsque l’animal continue à régurgiter fréquemment ou que le propriétaire rencontre des difficultés pratiques avec la première solution. En cas de MG aiguë foudroyante, cette solution est à instituer tout de suite. Le sondage peut être maintenu plusieurs mois.

Le métoclopramide (Primpérid®) ou le cisapride(1) (Prépulsid®) (spécialité qui n’est plus disponible en France en raison d’arythmie cardiaque) ont été évoqués comme des stimulants du péristaltisme œsophagien ou des inhibiteurs du tonus du sphincter œsophagien, mais ce sont surtout des agents prokinétiques des fibres musculaires lisses. Ils sont donc inefficaces sur la musculature striée de l’œsophage du chien (léger effet cependant chez le chat dont la musculature œsophagienne contient une faible part de fibres lisses) [2, 8].

Anticholinestérasiques

Les anticholinestérasiques inhibent de manière réversible l’hydrolyse rapide de l’acétylcholine par l’acétylcholinestérase, ce qui maintient un taux élevé d’Ach dans la fente synaptique et une activation prolongée des récepteurs. Ces molécules améliorent efficacement la fonction locomotrice. En revanche, elles sont moins actives sur la musculature œsophagienne, ce qui les rend moins intéressantes dans les formes focales [9]. La pyridostigmine(1) (Mestinon®) est le plus souvent utilisée. Elle peut être administrée par voie orale ou par l’intermédiaire d’un tube de gastrostomie, à la dose de 0,5 à 3 mg/kg toutes les huit à douze heures chez le chien. Le traitement est initié à la dose minimale, puis la posologie est augmentée jusqu’à l’obtention de l’effet thérapeutique avec le moins d’effets secondaires cholinergiques possibles (nausées, vomissements, diarrhée, sécrétions bronchiques, myosis, effets cardiaques, etc.) [1, 2, 6, 7, 9].

Aux doses usuelles, la pyridostigmine(1) (ammonium quaternaire) ne traverse pas la barrière hématoméningée. Elle commence à être efficace une heure après son administration par voie orale.

Il est aussi possible d’utiliser la néostigmine(1) (Prostigmine®) injectable, par voie intramusculaire, à la posologie de 0,04 mg/kg toutes les six heures. La faiblesse musculaire disparaît dans les quinze à trente minutes qui suivent l’injection [1, 2, 6, 7, 9].

Si les anticholinestérasiques associés au traitement de soutien du méga-œsophage ne donnent pas des résultats satisfaisants, il convient de recourir au traitement immunosuppresseur lors de forme acquise [1, 9].

2. Traitement étiologique

La myasthénie acquise est une maladie auto-immune, la lutte contre l’immunité est donc la base du traitement. En cas de maladie intercurrente (tumeur, dysendocrinie, autre affection auto-immune, etc.), il convient de la traiter également.

Thérapie immunosuppressive

La thérapie immunosuppressive demeure controversée car elle peut s’accompagner d’effets secondaires, voire de complications importantes : risque accru de pneumonie en cas de fausse déglutition, diminution de la transmission neuromusculaire, effets gastro-intestinaux, diabète (insulinorésistance à la suite d’une corticothérapie prolongée), etc. Elle a cependant prouvé son efficacité en médecine humaine et améliore également le pronostic à long terme chez le chien [9].

Il est préférable d’en limiter l’emploi aux cas insuffisamment améliorés par les anticholinestérasiques et la gestion nutritionnelle [1, 9], lorsque toute suspicion de pneumonie par fausse déglutition a été écartée ou traitée. En outre, elle requiert un suivi strict de l’animal. La corticothérapie à dose immunosuppressive est la base de ce traitement. La prednisone ou la prednisolone est administrée à dose anti-inflammatoire (0,5 mg/kg/j en une ou deux prises) en début de traitement pour prévenir une exacerbation de la faiblesse musculaire par les corticoïdes [1, 2, 7, 9]. La dose immunosuppressive de 2 à 4 mg/kg/j est progressivement atteinte en une à deux semaines. Cette posologie peut ensuite être réduite et adaptée à chaque animal en fonction de la réponse clinique et de l’évolution des anticorps anti-RAch. Les corticoïdes peuvent diminuer l’activité des molécules anticholinestérasiques et provoquer des crises similaires à un surdosage à l’arrêt de la corticothérapie [7].

L’azathioprine(1) (Imurel®) est efficace chez l’homme, en complément des corticoïdes ou en monothérapie à visée immunosuppressive. Dans une étude récente [1], une amélioration clinique et une baisse marquée du taux d’anticorps anti-RAch (81 %) ont été obtenues avec l’azathioprine(1) chez quatre chiens sur cinq atteints de MG. Le recours à cette molécule bien tolérée chez le chien comme seul agent immunosuppresseur semble possible. Cependant, en raison d’un délai de plusieurs semaines avant d’observer les premières améliorations cliniques, elle ne constitue pas une molécule de choix chez des chiens sévèrement atteints ou dont l’état se dégrade rapidement [9].

La ciclosporine A (Atopica®) interfère avec la prolifération et l’activation des cellules T par inhibition de l’activité de l’interleukine 2. Elle est efficace dans le traitement de la myasthénie chez l’homme, mais un seul cas clinique est décrit chez le chat [1]. Elle est bien tolérée et efficace dans le traitement d’autres maladies auto-immunes chez le chien à la dose de 2,5 à 5 mg/kg deux fois par jour. Le peu d’effets secondaires (particulièrement hépatiques et rénaux) et la rapidité d’obtention de l’effet immunosuppresseur sont en faveur de sa prescription contre la MG canine et féline [1, 9]. Le mycophénolate mofétil(1) (Cellcept®) est à l’étude comme traitement de la myasthénie canine. Une dose de 20 mg/kg toutes les 12 heures (par voie orale ou grâce à un tube de gastrostomie) est actuellement recommandée. Ce médicament permet une amélioration clinique dès la première semaine de traitement. Cependant, il entraîne parfois des effets secondaires (diarrhée, vomissements, anorexie) réversibles à la réduction des doses ou à l’arrêt du traitement [1].

Thymectomie

La thymectomie constitue une option thérapeutique fréquente en médecine humaine. Les résultats les plus encourageants sont obtenus pour les cas d’hyperplasie thymique. Le retrait de la masse tumorale peut, dans certains cas, entraîner une régression du syndrome myasthénique. Des études menées chez l’homme font état de 25 à 83 % d’amélioration après cette procédure [11]. Dans quelques cas, l’exérèse complète de cette masse a été associée à la guérison clinique de la MG et à la normalisation du titre en anticorps anti-RAch chez le chien [9]. Le suivi sérologique postopératoire permet d’évaluer l’efficacité de la chirurgie et la présence d’éventuelles métastases chez le chat (non décrites chez le chien).

La MG peut aussi réapparaître après l’exérèse du thymome. La raison de ce phénomène n’est pas élucidée. Il est cependant possible que les anomalies immunologiques persistent même après le retrait du thymus [6, 9].

Si la taille de la tumeur ou son envahissement local ne permettent pas sa résection complète, l’intervention chirurgicale peut être précédée ou remplacée par une radiothérapie. Une chimiothérapie est proposée en complément de la radiothérapie ou de la chirurgie chez l’homme, mais son efficacité n’a pas été prouvée chez le chien [11].

L’incidence des hyperplasies thymiques n’est pas connue chez les chiens atteints de myasthénie grave. Dans une étude récente, seul 3,4 % des chiens atteints de MG ont présenté une image radiographique de masse médiastinale crâniale (contre 15 à 25 % chez le chat) [1]. Compte tenu de la mortalité postopératoire élevée de cette intervention, il convient de stabiliser les signes cliniques avant d’opérer chez le chien, sauf dans le cas où la présence d’un thymome ne représente pas une menace à court terme.

3. Traitement de la forme fulgurante

La forme fulgurante est souvent rapidement fatale malgré le traitement. La gestion de ces cas chez l’homme fait appel à la plasmaphérèse et à l’administration d’immunoglobulines par voie intraveineuse. L’amélioration temporaire a pour but de laisser le temps aux immunosuppresseurs d’agir. Le coût élevé de ces traitements et l’équipement qu’ils requièrent limitent leur usage aux centres hospitaliers dédiés à l’homme. Récemment, l’immuno-adsorption, une plasmaphérèse dans laquelle le plasma du patient lui est réinjecté après être passé dans un filtre qui absorbe les IgG, s’est montrée efficace dans le traitement de la MG acquise humaine [1, 9].

Le traitement de cette forme nécessite également la gestion des complications, notamment de la bronchopneumonie due à une fausse déglutition et de la détresse respiratoire. Celle-ci peut être due à une faiblesse des muscles intercostaux et du diaphragme, à une paralysie laryngée ou encore à une bronchopneumonie. L’animal doit être placé sous oxygène rapidement et une antibiothérapie par voie intraveineuse est instaurée dès que possible lors de bronchopneumonie confirmée. Dans ce cas, les corticoïdes sont contre-indiqués, tout comme l’ampicilline et les aminoglycosides qui peuvent diminuer la vitesse de conduction neuromusculaire [7, 9].

Pronostic

Le traitement à long terme de la myasthénie congénitale est généralement décevant et la mort survient en moins d’un an. Cependant, des jack-russel-terriers ont survécu plusieurs années avec un traitement anticholinestérasique et des soins intensifs [9].

Selon une étude, le taux de mortalité à un an lors de MG est de 60 % [1]. Dans tous les cas, une bronchopneumonie a motivé une demande d’euthanasie par les propriétaires ou provoqué la mort [1].

Le taux de rémissions spontanées (avec seulement le traitement symptomatique) de la MG varie selon les auteurs. Faible pour certains [1, 2], il serait élevé pour d’autres [9]. Dans un essai récent sur 53 chiens recevant uniquement un traitement symptomatique, 47 (soit 88,7 %) ont présenté une guérison totale sans récidive et une normalisation du titre en anticorps en moyenne 6,4 mois (de 1 à 18 mois) après le début du traitement [9].

Le pronostic doit donc toujours être réservé, mais la précocité du diagnostic et de la mise en place du traitement l’améliore. Il est plus réservé en présence d’un méga-œsophage ou d’une faiblesse laryngée ou pharyngée qui peuvent provoquer des complications fatales [1, 2, 6, 9, 11].

La myasthénie est une maladie auto-immune parfois rapidement fatale chez le chien. De nouveaux traitements issus de la médecine humaine semblent prometteurs, mais le coût et l’équipement en limitent l’usage en médecine vétérinaire. Il convient de rechercher systématiquement une éventuelle complication afin d’instaurer le plus rapidement possible un traitement causal et symptomatique adapté à chaque animal.

  • (1) Médicament à usage humain.

Reconnaissance radiographique du méga-œsophage

Le méga-œsophage est une dilatation de l’œsophage généralement diffuse, localisée dans de rares cas. La fonction motrice est diminuée, voire absente. C’est la première cause de régurgitation chez le chien et le chat.

L’œsophage n’est normalement pas visible à la radiographie. Il le devient lorsqu’il contient de l’air, par exemple, qui permet de le marquer par rapport aux éléments d’opacité liquidienne qui l’entourent.

Plusieurs critères radiographiques permettent de l’identifier (PHOTO 3) [5] :

- visualisation d’une bande fuselée d’opacité liquidienne dans le médiastin crânio-dorsal sur la projection latérale, correspondant aux muscles longs du cou qui deviennent visibles du fait du contraste apporté par l’air contenu dans l’œsophage ;

- signe de la “bande œsophago-trachéale”: une ligne d’opacité liquidienne limite dorsalement la trachée sur la projection latérale, et correspond à la somme de la paroi trachéale et de la paroi œsophagienne qui sont contrastées par l’air contenu dans la trachée et l’œsophage ;

- présence de deux lignes d’opacité liquidienne caudalement au cœur dans le médiastin caudo-dorsal et se rejoignant au niveau du hiatus œsophagien.

D’autres signes sont parfois visibles :

- diminution de l’opacité du médiastin crânial sur la vue de face ;

- élargissement du médiastin crânial et/ou caudal ;

- déplacement ventral de la trachée et/ou du cœur ;

- signes de bronchopneumonie en cas de fausse déglutition ;

- dilatation aérique de l’estomac.

Le méga-œsophage n’est parfois pas visible sur des clichés sans préparation. Lors de forte suspicion, une œsophagographie avec 5 à 20 ml de sulfate de baryum permet de mettre en évidence une distension œsophagienne [9].

Cette méthode ne doit pas être employée chez un animal qui présente des signes compatibles avec une bronchopneumonie (jetage, dyspnée, toux, hyper­thermie) en raison des risques de pneumonie par fausse déglutition (PHOTOS 4 ET 5).

Causes de faiblesse chez le chien

Affections cardiovasculaires ou respiratoires

• Anémie

• Affection cardiovasculaire

• Affection respiratoire

Affections métaboliques

• Affection inflammatoire/infectieuse chronique

• Affection chronique cachectisante

• Troubles électrolytiques

• Affection endocrinienne (sauf hyperthyroïdie)

• Hyperthermie

Affections neuromusculaires

• Troubles squelettiques

• Affection neurologique ou neuromusculaire (dont myasthénie grave)

• Activité physique intense

Autres affections

• Affection psycho-émotive

• Effets secondaires médicamenteux

• Carence nutritionnelle

• Affection néoplasique

D'après [3.]

Effets secondaires des anticholinestérasiques

• Nausées

• Vomissements

• Diarrhée

• Hypersalivation

• Augmentation des sécrétions bronchiques et lacrymales

• Myosis

• Bradycardie ou tachycardie

• Hypotension

• Bronchospasme

• Faiblesse, crampe musculaire

• Agitation

• Paralysie

Ces effets sont réversibles à l’arrêt momentané du traitement ou avec un parasympatholytique comme l’atropine. D’après [7].

Points forts

La myasthénie est une affection de la jonction neuromusculaire qui peut être congénitale (déficit en récepteurs postsynaptiques à l’acétylcholine) ou acquise (auto-immune).

Les formes généralisées dominent, avec une fatigabilité excessive qui s’accentue avec l’effort et s’améliore avec le repos.

Une hypothèse de myasthénie doit être évoquée en présence d’un méga-œsophage isolé ou non, lors de parésie/paralysie laryngée et de dysphagie.

La myasthénie acquise est une affection auto-immune qui peut apparaître spontané­ment ou secondairement à un processus néoplasique (thymome surtout), à une dysendocrinie (hypothyroïdie, hypocorticisme) ou à une autre affection auto-immune.

Le diagnostic de certitude de myasthénie acquise est donné par la sérologie des anticorps dirigés contre les récepteurs à l’acétylcholine (dosage réalisé aux États-Unis).

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