L’Association Francophone des Vétérinaires praticiens de l’Expertise a donné le 30 mars 2020 son point de vue sur la réalisation des actes de prophylaxie médicale et sanitaire par les vétérinaires dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire lie à l’épidémie de covid-19.
L’objectif de cette note est d’éclairer le praticien quant à la portée juridique des différents textes publiés ; préciser l’étendue de ses responsabilités ; lui apporter des éléments de fait lui permettant de décider en connaissance de cause ; rappeler l’importance de l’analyse du rapport bénéfices/risques dans la prise de décision.
L'exercice de l'art vétérinaire est personnel. Chaque vétérinaire est responsable de ses décisions et de ses actes (Art R 242-33 du Code Rural).
Remarque liminaire
Les praticiens et usagers sont submergés de notes, d’avis, de recommandations, d’injonctions, dont il importe de préciser la portée. Tout d’abord, seul le juge dit le droit. Devant l’imprécision des textes, il lui appartient d’interpréter la loi s’il est saisi, du moins pour le juge judiciaire.
Si le magistrat se prononce conformément aux lois et règlements, il n’est tenu par aucune recommandation d’une institution, circulaire administrative, ou avis d’une association, d’un comité d’experts ou d’un syndicat. Il s’agit notamment des recommandations du Conseil de l’Ordre, des notes techniques du Ministère de l’Agriculture (DGAL), des avis de divers syndicats ou associations professionnelles.
Les avis, notes, instructions techniques, et recommandations sont dépourvus de tout pouvoir contraignant ou protecteur pour le praticien dans un contrat de droit privé.
Cela vaut notamment pour les opérations de prophylaxie collective des animaux de rente ou des vaccinations pour les animaux de compagnie, qu’elles soient réalisées au profit des professionnels (éleveurs, refuges) ou de particuliers.
Ces actions sont des actes vétérinaires effectués sous la seule responsabilité du praticien, que ce soit pour les dommages subis ou causés. Dans tous les cas, l’employeur est responsable de la sécurité et de la santé de ses salariés.
Selon l’article R 242-48 du Code Rural, en dehors des cas d’urgence le vétérinaire peut refuser de prodiguer ses soins pour tout autre motif légitime.
La situation est différente selon le type d’espèces considérées : animaux de rente ou animaux de compagnie.
Animaux de rente
Concernant les bovins, ovins et caprins, la brucellose et la tuberculose notamment sont des dangers sanitaires relevant d’une prophylaxie obligatoire qui relève de l’habilitation ou du mandatement.
Même si elle est ordonnée par l’Etat, la prophylaxie sanitaire en élevage, dans le cadre de l’habilitation sanitaire -et non du mandat-, est un contrat de droit privé entre l’éleveur et le vétérinaire prestataire de service. Le GDS agit par délégation de service public en assurant la partie administrative (éditions des DAP) de la prophylaxie.
En l’absence de péril pour l’animal, le vétérinaire peut s’en abstenir pour tout motif légitime.
Le mandatement obéit à des règles différentes, définies par le Code rural :
Article L201-4 :
I. L'autorité administrative prend toutes mesures de prévention, de surveillance ou de lutte relatives aux dangers sanitaires de première catégorie. Elle peut prendre de telles mesures pour les dangers de deuxième catégorie.
Article L203-8 :
I. L'autorité administrative peut mandater les personnes mentionnées à l'article L. 241-1 pour participer sous son contrôle et son autorité :
- à l'exécution d'opérations de police sanitaire conduites au nom et pour le compte de l'Etat en application des articles L. 201-4, L. 201-5, L. 221-1, L. 223-6-1 et L. 223-8 ;
- à des contrôles officiels ou à la délivrance des certifications officielles en application des articles L. 231-3 et L. 236-2 ;
- à des contrôles ou expertises en matière de bien-être des animaux.
Article L203-11 :
Les vétérinaires mandatés n'ont pas la qualité d'agent public. Les rémunérations perçues au titre des missions accomplies en application de l'article L. 203-8 sont des revenus tirés de l'exercice d'une profession libérale.
Toutefois, l'Etat est responsable des dommages que les vétérinaires mandatés subissent ou causent aux tiers à l'occasion des missions pour lesquelles ils sont mandatés, à l'exception des dommages résultant d'une faute personnelle.
Particularités du mandatement en matière de police sanitaire : NOTE DE SERVICE DGAL/SDSPA/N2012-8216, du 13 novembre 2012.
Le mandat « Police sanitaire » est différent des autres mandats. Il peut être attribué selon trois modalités :
1. Lorsque le préfet décide d'opérations de police sanitaire au sein d'une exploitation, il peut demander au vétérinaire sanitaire de l'exploitation de concourir à ces missions. Le vétérinaire est tenu d'accepter ces missions. Dans ce cas, il n'y a pas d'appel à candidatures et pas de signature de convention de mandatement. Le vétérinaire est désigné dans l'APMS ou l'APDI objet des mesures de police sanitaire ;
2. En cas d'urgence et lorsque le vétérinaire sanitaire de l'exploitation n'est pas disponible, le préfet du département concerné peut mandater un autre vétérinaire que le vétérinaire sanitaire de l'exploitation pour la réalisation de missions de police sanitaire.
3. (...)
En résumé :
- Les opérations de prophylaxie collective relèvent de l’habilitation sanitaire, contrat de droit privé. Le vétérinaire agit sous sa seule responsabilité.
- Le respect des consignes de biosécurité relève de la responsabilité du seul vétérinaire, qui pourra être recherchée en cas de sinistre.
- Une note administrative dans ce domaine est dénuée de tout pouvoir contraignant ou protecteur.
- Le vétérinaire, prestataire de service, est parfaitement légitime à refuser de s’exécuter s’il estime ne pas avoir de garanties dans le domaine de la sécurité pour lui-même, ses salariés ou ses clients.
En cas de refus du vétérinaire sanitaire d’agir dans le cadre de l’habilitation, le préfet peut mandater un vétérinaire sanitaire pour effectuer les opérations de police sanitaire. En cas d’urgence, il peut mandater un autre vétérinaire sanitaire.
Le vétérinaire est tenu de s’exécuter, bien que disposant d’un droit de retrait si sa sécurité n’est pas assurée.
En cas de mandatement, l’Etat est responsable des dommages que les vétérinaires subissent ou causent, sauf en cas de faute personnelle de ce dernier.
Les éleveurs ne sont donc pas dénués de tous moyens. Si l’État considère que la prophylaxie est une mission essentielle, il peut, sous sa responsabilité, avoir recours au mandatement sanitaire.
Animaux de compagnie
La situation présente quelques différences, notamment par le fait que pour les carnivores domestiques, seule la rage relève d’un danger de première ou deuxième catégorie.
Le mandatement « police sanitaire » est exceptionnel et ne devrait pas s’appliquer aux vaccinations habituelles des carnivores domestiques.
La problématique :
En cette période de confinement, les vétérinaires sont soumis à diverses pressions de la part des éleveurs, des responsables de fourrière et de refuges. Les avis et analyses partiales émis par différentes associations professionnelles n’ont fait qu’augmenter la confusion et l’incertitude chez les vétérinaires praticiens.
En remarque liminaire, on notera que l’instruction technique DGAL/SDSPA/2020-200 du 20/03/2020 précise que : « Les mesures d’hygiène (...) doivent être strictement respectées dans les ESV et les centres hospitaliers universitaires des Ecoles nationales vétérinaires et tous les moyens mobilisés ... ».
On ne pourra que s’étonner de cette préconisation alors même qu’une des premières mesures du Ministère de l’Agriculture a été de fermer les CHU des ENV, laissant à la médecine vétérinaire libérale la totalité de la charge des soins aux animaux de compagnie ...et leurs risques afférents, que ce soit pour les clients, les personnels ou les vétérinaires eux-mêmes.
Rappelons que l’employeur est responsable de la sécurité et de la santé de ses salariés.
Dans tous les cas, le MAA insiste sur l’absolue nécessité de respecter et faire respecter les mesures de protection préconisées par le Ministère de la Santé.
Le décret du 23 mars 2020 précise : Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières », définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance.
Dans la note technique de la DGAL du 20 mars 2020, on remarquera la formulation : activités « pouvant ne pas être reportées » et non pas « ne pouvant pas être reportées » ...qui fait peser la responsabilité du choix sur le vétérinaire, mais permet aussi le report des activités à sa seule discrétion.
Les vétérinaires peuvent être confrontés à 3 types de situations en fonction de la catégorie des clients faisant appel à leurs services :
1. Cas des particuliers
En matière de vaccination, il convient de se référer à l’avis des enseignants de médecine préventive des 4 écoles nationales vétérinaires et des membres du bureau du Groupe d'Étude en Médecine Préventive (GEMP) de l'AFVAC (Association Française des Vétérinaires pour Animaux de Compagnie) concernant la vaccination pendant la période de confinement. Les points essentiels à retenir sont les suivants :
La vaccination, de même que les actes de médecine préventive, ne relève pas d'une situation d'urgence vitale pour l'animal.
La vaccination des animaux domestiques doit donc être reportée pendant toute la période de confinement déterminée par le gouvernement afin de limiter les risques de contamination pour les équipes soignantes et les propriétaires par le Covid-19.
A la levée du confinement, les propriétaires devront se rendre chez le vétérinaire qui analysera les conséquences sur la protection des animaux concernés, et proposera la solution la plus adaptée pour la maintenir ou le cas échéant la rétablir.
Les soins urgents sont toujours assurés, dans le respect des contraintes liées à la sécurité des personnes.
2. Cas des éleveurs
La profession vétérinaire se trouve face à des professionnels suivant une logique avant tout économique.
a. Problématique de la vaccination et de l’identification
L’avis relatif à la vaccination mentionné précédemment concerne la vaccination des animaux de compagnie appartenant à des particuliers ; il ne concerne pas les professionnels (élevages, collectivités, refuges...) qui seront gérés au cas par cas par leurs vétérinaires référents.
Sauf exception, les élevages correctement tenus, suivis par un vétérinaire sanitaire conformément à la législation, ne présentent pas de risques aggravés en matière de maladies contagieuses. Par conséquent, le fait de différer leurs vaccinations ne constitue pas un risque sanitaire aggravé, sauf cas particulier qui doit faire l’objet de discussions entre l’éleveur et le vétérinaire.
L’identification d’un carnivore domestique peut être différée jusqu’au moment de la vente de l’animal.
b. Problématique du transport
Le décret du 20 mars 2020 précise des dérogations aux interdictions de déplacement :
- 5° Déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes (...), soit aux besoins des animaux de compagnie.
D’après la Note technique du 20 mars 2020, les visites chez le vétérinaire relèveraient de cet article, alors que les références à la distance maximale d’éloignement et au temps accordé seraient plutôt destinés à permettre l’accomplissement des besoins éliminatoires (miction, défécation).
- 1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés.
Selon un syndicat professionnel d’éleveurs, les livraisons de chiens/chats, tout comme le transport de ces derniers chez le vétérinaire par les éleveurs professionnels relèveraient de cette situation. Il ne s’agit que d’un avis sans portée juridique. Seul un juge, une fois saisi, pourrait dire si la livraison d’un animal de compagnie peut être différée ou pas, eu égard à la situation sanitaire.
S’il ne s’agit pas d‘activités interdites par les textes, elles ne peuvent être effectuées que dans le plus grand respect des règles de biosécurité. Il ne fait aucun doute que ceux qui, aujourd’hui, exigent du praticien qu’il identifie et vaccine les animaux à tout prix, n’hésiteront pas à le poursuivre en cas de sinistre causé par l’absence ou l’impossibilité de respecter les mesures dites « barrières », définies au niveau national devant être observées en tout lieu et en toute circonstance.
c. Problématique de la vente
Le déplacement vers un élevage pour acquérir un animal de compagnie ne relève pas des dérogations à l’interdiction générale de déplacement du décret du 23 mars 2020.
Si certains commerces peuvent accueillir du public, les commerces de la catégorie M doivent se limiter à l’exercice d’activités dérogatoires spécifiées en annexe ; si la vente d’aliments pour animaux de compagnie y figure, ce n’est pas le cas des ventes des animaux eux-mêmes.
On peut dès lors s’interroger sur la portée économique de la vente d’animaux qui ne pourrait se faire ni en élevage, ni en point de vente :
- La situation d’insécurité sanitaire et financière n’est pas propice à l’achat d’animaux de compagnie.
- Le confinement imposé après la vente est, d’un point de vue comportemental, une aberration en matière de socialisation dont devrait être conscient tout éleveur compétent.?
Il est hautement probable que la plupart des animaux nés dans les semaines précédant le confinement ne pourront être vendus qu’après la fin de celui-ci. Les rares animaux éventuellement livrés pendant le confinement pourraient souffrir d’un taux de litiges bien supérieur à la normale, de même que ceux vendus après le confinement par des professionnels ne respectant pas -volontairement ou non - les exigences biologiques de leurs produits en matière de comportement.
Sous la pression, le vétérinaire sollicité doit considérer la balance bénéfices incertains/risques potentiels, les principaux risques étant pour lui-même.
3. Fourrières et refuges
a. Fourrières
Les activités des fourrières, de la responsabilité des maires, doivent être maintenues pour gérer les populations d’animaux errants. Les mesures « barrières » imposées par le Ministère de la santé doivent être respectées, que ce soit pour la sécurité des usagers ou des employés, sous la responsabilité des maires.
Les restitutions des animaux doivent être effectuées en les respectant.
Après le délai de garde de 8 jours, l’animal peut être transféré à un refuge après avis du vétérinaire sanitaire de la fourrière.?A l’expiration du délai de garde, s’il en constate la nécessité, le vétérinaire en dernier recours peut euthanasier l’animal (L211-25 du CRPM).
En situation exceptionnelle, cette option doit être considérée.
b. Refuges
Ces structures accueillent des animaux provenant d’abandons ou d’animaux issus de fourrières, dont le statut sanitaire et vaccinal sont généralement inconnus. Ce mélange d’animaux de différentes origines est favorable à la survenue de problèmes sanitaires justifiant des mesures de quarantaine souvent difficiles à mettre en œuvre.
Comme ailleurs, ces structures doivent appliquer les mesures barrières. Le gestionnaire du refuge en est responsable envers ses salariés et les usagers.
Les soins ne pouvant être différés sont effectués dans le respect des mesures ci- dessus.
Concernant les vaccinations, le vétérinaire doit, en fonction du contexte, apprécier là encore la balance bénéfices pour les animaux /risques pour les personnes, étant entendu qu’il est responsable des conséquences de ses interventions, que ce soit envers les animaux ou envers les personnes.
Conclusion :
Le vétérinaire, dans son exercice en temps de crise, engage sa responsabilité envers son personnel, ses clients et ses proches. Il doit être conscient qu’en cas de sinistre, les plus exigeants aujourd’hui ne seront pas les plus compréhensifs demain et qu’il devra assumer les conséquences de ses engagements.
Soulignons par ailleurs que si les différents avis, notes et instructions techniques ne lient pas le juge judiciaire, le vétérinaire reste tenu de respecter le code de déontologie en toute circonstance. La situation particulière que nous connaissons n’est pas de nature à justifier l’existence de comportements contraires à l’éthique professionnelle, notamment en matière de concurrence déloyale ou de détournement de clientèle. De telles pratiques, si elles étaient avérées, seraient susceptibles de faire l’objet de poursuites devant les chambres de discipline de l’Ordre vétérinaire.
Il n’est pas inutile enfin de rappeler ici la définition de la santé publique vétérinaire retenue par l’Académie Vétérinaire :
« La santé publique vétérinaire est l’ensemble des actions qui sont en rapport direct ou indirect avec les animaux, leurs produits et sous-produits, dès lors qu’elles contribuent à la protection, à la conservation et à l’amélioration de la santé de l’Homme, c’est à dire son bien-être, physique, moral et social. »
La protection de la santé humaine doit être notre principale motivation.