Bon voyage en italiques, Jean-Pierre - Le Point Vétérinaire.fr

Bon voyage en italiques, Jean-Pierre

Anne-Claire Gagnon

| 16.12.2024 à 11:34:00 |
© Anne - Claire Gagnon

Notre confrère Jean-Pierre Samaille nous a quittés. Anne-Claire Gagnon souhaite partager cet hommage en sa mémoire.

Un ours* à toi tout seul, disais-tu pour te définir. Et c’est vrai, à L’Action, La Lettre Hebdo Vétérinaire puis à L’Essentiel, ta capacité de lecture, de synthèse et d’écriture, a toujours été époustouflante. Tu n’avais presque besoin de personne. Dès 4 heures du matin, tu écrivais puis l’après-midi tu répondais aux appels. Ensuite, « la viande dans le torchon » !

Trois initiales, JPS, avec un style JPSien à nul autre pareil. Tes joies alforiennes (et la nostalgie que tu en gardas) ce fut d’abord sur les planches, stand’upeur avant l’heure avec des sketchs qui firent date.

Alfort n’ayant pas voulu de toi comme enseignant d’anatomie-pathologie, c’est vers la presse que tu te tournes. Tu as connu toute l’évolution, des clichés que tu prenais toi-même avec un vrai appareil photo, détourés aux ciseaux jusqu’à la mise en page et en ligne désormais sur plateforme, qui ne t’inspirait guère, même si ça n’est qu’une évolution houellebecquienne de la réunion de toutes ces particules élémentaires que nous sommes.

La maquette de L’Essentiel, début décembre 2005, est une révolution visuelle et conceptuelle, avec de beaux clichés professionnels, des couvertures sublimes et la rubrique médecine féline que tu fus le premier à créer, les chats te disent merci !

Bien avant ta retraite, tes éditos sont passés à la postérité ; nous les attendions, relisions à gorge déployée, voire citions ensuite. Certains sont passés à la trappe - ceux du 1er avril notamment, auto-censurés. D’autres ont connu les coupes des ciseaux d’Anastasie. Tu aimais friser l’oxymore, stigmatiser la paucité de certains concepts, jongler avec les rimes et les maux de tes semblables, les tiens aussi, « d’une plume acide et attachante, intraitable pourfendeur de la connerie et de la bêtise humaines ». 

Dans la plus belle nécro que tu aies écrite, celle d’Anne-Marie Dahan, tu évoquais un reproche qu’elle te faisait pour une phrase – « tu ne peux pas écrire ça ».  Publier non, mais écrire…

« L’absence la voilà

L’absence d’un enfant, d’un amour

L’absence est la même

Quand on a dit je t’aime un jour

Le silence est le même »

Il fallait t’entendre au téléphone quand tu étais à ta fenêtre, à Coxyde, en Belgique, le regard au loin sur la mer du Nord, la brume et la houle parlaient dans ta voix…C’est là que tu as écrit un de tes plus beaux éditos, Voyage en italique, à la Houellebecq…

Nous parlions de nos fils respectifs – en parents tardifs – et de nos pères. C’est toi qui m’a encouragée à parler avec le mien pendant ses trois derniers mois de vie, merci Jean-Pierre !

Tes conseils pour le congrès l’Afvac sont toujours valables, donner des rendez-vous, sinon on croise tout le monde et on ne voit personne ! Et ne pas y venir quand on ressemble au Grand Schtroumpf, pour cause d’une mauvaise glissade.

Que sûmes-nous réellement de qui tu étais, quand le clown enlevait son costume ? Tes parts d’ombre étaient multiples et protéiformes, un vrai caméléon, un kaléidoscope dont chaque facette donnait à chacune et chacun de nous le miroir que tu choisissais de nous dévoiler.

« Combien de défis,

Combien de défaites ?

Entre l’eau de la fontaine et l’eau de vie ? »

Tu n’avais pas voulu témoigner sur ta contribution à la neurodiversité vétérinaire alors que tu avais une expertise inouïe – comme Kay Jamison, dans De l’exaltation à la dépression, tu savais combien la vie sans les bipolaires serait terriblement triste.  

Depuis ton départ à la retraite – et le manque cruel de lecteur de CD dans ma Zoé, l’absence d’organe tuant la fonction – je n’écoute plus Reggiani, qui nous avait inspiré une comédie musicale, restée dans nos rêves et tablettes.

Vous voilà réunis, deux belles voix, deux belles âmes, un brin tourmentées,

« Pour avoir tant dormi

avec vos dépressions,

vous vous en êtes fait des amies,

de très tendres addictions. »

Paroliers de Serge Reggiani,

L’absence, Jean Loup Dabadie / Jacques Datin

Michèle, Claude Lemesle / Alain Goraguer

Ma solitude, Georges Moustaki

Kay Jamison, De l’exaltation à la dépression : Confession d'une psychiatre maniaco-dépressive, éditions Robert Laffont, 2003.

* L'ours est une section qui fournit les informations légales et administratives du journal (nom du directeur de la publication, adresse de la rédaction, mentions légales, identité des principaux responsables, informations sur l'éditeur et l'imprimeur). 

Photo : Jean - Pierre Samaille et Jean-Pierre Kieffer lors de la remise du prix de l'OABA

Anne-Claire Gagnon

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