Covid-19 et biosécurité : réfléchir les mesures de protection individuelle - Le Point Vétérinaire.fr

Covid-19 et biosécurité : réfléchir les mesures de protection individuelle

Tanit Halfon | 27.03.2020 à 12:08:40 |
masque chirurgical
© iStock-Nodar Chernishev

Se tenir à distance et se laver les mains sont la base des mesures de protection individuelle pour se protéger du Covid-19. Le port du masque, lui, pose davantage question pour la pratique vétérinaire.

Face à la crise covid-19, les vétérinaires doivent mettre en place des mesures de biosécurité au sein de leurs établissements de soins afin de limiter la propagation du virus, et de se protéger ainsi que leur personnel. Plusieurs mesures de protection individuelle sont à prévoir, en lien avec les voies de transmission préférentielles du virus que sont la voie aéroportée via la projection de gouttelettes contaminantes, ainsi que le manuportage.

Contrôler les passages

La première des mesures de protection, et la plus importante comme le souligne Stephan Zientara, directeur de l’unité mixte de recherche en virologie à l’Anses/INRAE/ENVA, est la distanciation physique. « C’est l’essentiel de la prophylaxie contre ce virus », affirme-t-il. Concrètement, elle consiste à mettre au moins 1 mètre de distance entre deux personnes pour éviter la contamination via la projection de gouttelettes. Selon Santé Publique France, cette voie de transmission dépend aussi de la durée de contact : ainsi, sur les infographies, maintenant bien connues, diffusées par les autorités sanitaires, il est indiqué que le virus se transmet à condition de se faire face « au moins 15 minutes ». En pratique, dans les cliniques vétérinaires, il est conseillé de limiter les flux de personnes en salle d’attente en fermant sa porte d'entrée et n’acceptant les gens qu’après un contact téléphonique, y compris pour les ventes. L’idéal est de recevoir l’animal sans son propriétaire, et donc de préparer en amont sa consultation par téléphone. Une demande est aussi en cours pour autoriser, à titre d’expérimentation, la télémedecine. Mais le propriétaire n’est pas le seul vis-à-vis duquel il faut prendre des précautions, le souligne Barbara Dufour, professeure d’épidémiologie et de maladies contagieuses à l’école nationale vétérinaire d’Alfort. Le collier et la laisse du chien vu en consultation pourraient en théorie, comme toute surface inerte, être potentiellement contaminés par un propriétaire excréteur. Il conviendra donc de les remplacer par le fameux lien vert. Ce lien servirait aussi à fermer la gueule du chien : plus que le risque de morsure, cela viserait à réduire le risque de projection de virus, si le chien, en venant à la clinique, a malencontreusement reniflé sur le chemin quelques liquides biologiques contaminés…Un principe de précaution que rappelle d’ailleurs un avis du Haut conseil de la santé publique (HCSP) du 17 mars. Il est dit que si la transmission des coronavirus des surfaces contaminées vers les mains n’a pas été prouvée, « elle ne peut être exclue, à partir de surfaces fraichement contaminées par les sécrétions », les coronavirus survivant probablement jusqu’à 3 heures sur des surfaces intertes sèches et jusqu’à 6 heures en milieu humide. Conclusion : « la transmission manuportée à partir de l’environnement est possible. »

Privilégier le savon doux

L’autre mesure, répétée sans cesse par le gouvernement, est le lavage des mains. Ce geste, bien connu des vétérinaires, ne nécessite pas forcément un savon désinfectant, comme le souligne Laurent Flaus, président de Axience, DIU Infections nosocomiales et hygiène hospitalière. « L’effet des tensio-actifs du savon, combiné à l’effet mécanique du lavage, permet de se débarrasser des virus potentiellement présents sur les mains. Aucun temps de contact n’est à respecter, si ce n’est de bien savonner sur toutes les surfaces des mains. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’utiliser un savon désinfectant, d’autant que comme le lavage des mains est à faire très souvent, il y a un risque d’irritation pour la peau. Un savon doux suffit largement », explique-t-il. Il est également possible de placer à des endroits stratégiques du gel hydroalcoolique, mais en ayant bien conscience des bonnes pratiques d’utilisation. « Le gel n’est indiqué qu’en absence de points d’eau, sur des mains propres et sèches. De plus, il faut respecter un temps de contact, en général de 30 secondes, durant lequel il faut se frictionner les mains. Ces dernières doivent rester humides pendant cette friction donc la quantité de gel est à adapter à la taille des mains », souligne Laurent Flaus. Au lavage de mains, encore faut-il également y associer un autre geste barrière d’importance : éviter de se toucher le visage !

Laver la blouse à la machine

La protection individuelle passe aussi par la tenue de travail. A priori, il n’existe pas de données sur la survie du virus sur du tissu, encore moins de recommandations sur la marche à suivre pour la tenue de travail des vétérinaires et leurs personnels. Néanmoins, dans les directives de l’American veterinary medical association (AVMA), il est indiqué que la FDA (Food and drug administration) a approuvé l’utilisation répétée de tenues en tissus, car un lavage adéquat à la machine, ou une stérilisation si elle est possible, peut tout à fait réduire la charge de pathogènes à un niveau négligeable, et donc réduire le risque global de transmission de la maladie. Laurent Flaus rappelle aussi quelques précautions. « Il faut un tissu qui puisse passer à la machine. Un lavage à 60°C (1) suffit, et un passage dans le sèche-linge permettra de renforcer l’action de la chaleur sur la fibre du linge, explique-t-il, en ajoutant : « Par ailleurs, il faut absolument proscrire les manches longues, et pouvoir se laver les avant-bras. Ces règles de bonne hygiène valent en dehors de tout contexte de crise. » Pour ce qui est de la fréquence de lavage, il n’existe pas de recommandations particulières. Même chose pour les chaussures qui doivent aussi  s’inclure dans la réflexion générale de la tenue de travail dans le contexte de crise.

Le masque chirurgical, probablement mieux que rien

En matière de virus respiratoire, il convient de distinguer la transmission par « gouttelettes » (projections biologiques de gros calibre supérieur à 5 microns) de la transmission aérienne ou par aérosols (particules de moins de 5 microns ; poussière portant le virus ou sécrétions bronchiques émises lors de la toux restant en suspension dans l’air). Dans le premier cas, la contamination se fait après un contact avec les muqueuses ORL et/ou oculaires. Dans le deuxième cas, la contamination se fait par inhalation. Pour le SRAS-CoV-2, une récente étude a montré une survie du virus dans les aérosols jusqu'à 3 heures, mais avec une réduction du titre infectieux. Si ces résultats ne sont valables que dans les conditions de l’expérimentation, ils suggèrent néanmoins, selon les auteurs, une possible transmission du pathogène par la voie aérienne. Malgré tout, dans l’avis du HCSP du 17 mars, il est rappelé que « la présence d’un virus dans l’air ne signifie pas qu’il est infectieux ni qu’il y a une transmission respiratoire de type air », et « qu’il n’existe pas d’études prouvant une transmission interhumaine du virus par des aérosols sur de longues distances. » Pour le HCSP, si cette voie existe, elle n’est pas majoritaire.

Alors, que faire pour les masques ? Seuls les masques FFP (pour Filterin Facepiece Particles) protègent à la fois contre la transmission par les gouttelettes et par les aérosols. Les masques chirurgicaux permettent avant tout de piéger les gouttelettes de celui qui le porte. S’ils peuvent théoriquement jouer le rôle d’une barrière physique pour le personnel soignant, ce n’est pas sans limite. « Les masques chirurgicaux sont faits pour être portés par les personnes malades, afin de protéger les non malades, tout comme les surfaces, de leurs projections biologiques. Si c’est une personne non malade qui le porte, il peut y avoir une certaine protection physique vis-à-vis des projections mais le problème est que ces masques ont des espaces de fuite sur les côtés !, explique ainsi Laurent Flaus, qui rappelle aussi que les yeux sont une porte d’entrée possible du SARS-CoV-2. Par ailleurs, le masque est associé à un deuxième inconvénient : la personne qui le porte peut être moins vigilante sur les gestes barrières, en se sentant protégée. De plus, on peut aussi toucher le masque par inadvertance et ainsi se contaminer. Donc, le masque chirurgical est probablement mieux que rien, certainement rassurant, mais pas forcément si efficace. Difficile de dire de ne pas le faire mais le faire n’est pas une garantie suffisante. » A noter qu’un masque doit être ajusté étroitement sur le nez, la bouche et le menton.

Faut-il se mettre à la couture ?

Pour finir, non, les masques en tissu ne sont pas à utiliser dans le cadre de la crise Covid-19, avait indiqué la Société française d’hygiène hospitalière dans un avis du 14 mars dernier. En cause, le manque de données scientifiques concernant leur efficacité (étanchéité). Elle le rappelle une seconde fois quelques jours plus tard, le 21 mars, dans un nouvel avis concernant les matériaux utilisés en alternative pour la confection des masques de protection. Néanmoins, plusieurs points semblent sous-entendre les conditions qui seraient à respecter en cas d’usage. Les voici :

- Le tissu se contamine au cours du portage au même titre que l’usage unique ; des recommandations similaires ou plus strictes que celles des masques à usage unique seraient à appliquer aux masques en tissu : ne pas dépasser une durée de portage de plus de 4 heures et ne pas réutiliser un masque dès lors qu’il a été manipulé et ôté du visage ;

- Il n’est pas possible, selon les connaissances actuelles, de déterminer l'efficacité du lavage (type de détergent, température de lavage, etc.) et le maintien des performances de masques en tissu réutilisés (nombre maximal de cycles), ce qui implique de ne pas les réutiliser ;

- Il n’est pas envisageable de faire stériliser des masques en tissu qui ne seraient pas « propres » et préalablement lavés du fait de la présence de sécrétions et de mucus.

Malgré tout, le CHU de Lille est allé plus loin et a développé et testé en laboratoire un modèle de masque en tissu lavable et réutilisable. S’il ne remplace pas le masque jetable dans les situations à risque, il peut, selon le CHU, être un « substitut acceptable pour les autres situations, hors des gestes de soins. »

(1) Le virus pourrait être détruit lorsqu’il est exposé à une température de 63°C pendant 4 minutes selon le dernier avis de l’Anses qui se penchait sur le risque de transmission via les animaux domestiques et les aliments (lien avis, page 9).

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Le froid ne tue pas le virus

Attention, si la chaleur détruit le virus, ce n’est pas le cas du froid le rappelle Stephan Zientara. « On sait qu’il est détruit lorsqu’il est exposé à une température de 63°C pendant 4 minutes. Rappelons nous que c’est un virus enveloppé, donc globalement peu résistant. Très concrètement, il est donc détruit après un passage à l’autoclave. A contrario, il peut se maintenir au froid, et il est probablement capable de résister à des températures de froid positif », explique-t-il. Conclusion : pour celles et ceux qui y auraient pensé, il ne sert à rien de mettre son masque dans le réfrigérateur. Et dans l’autoclave ? Là encore, aucun test n’a prouvé que suite à un passage à l’autoclave, un masque chirurgical conservait ses propriétés relatives à ses capacités de filtration et d’absorption. La prudence est donc de mise !

Tanit Halfon
1 commentaire
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Monostatos le 27-03-2020 à 21:55:01
Et sinon, les masques, on en aura quand ?
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