Jean-François Rubin, Président du Conseil régional de l’Ordre Grand Est et praticien mixte à Payns (Aube), témoigne de la situation dans sa région, la plus touchée actuellement par l’épidémie.
Le Grand Est faisant partie des zones les plus touchées de France, quelles étapes venez-vous d’y vivre ?
Jean-François Rubin : L’épicentre a démarré à Mulhouse, suite à un rassemblement des évangélistes. Du coup, on peut dire que la situation italienne a quelque dix jours d’avance sur la situation du Grand Est, et que le Grand Est a en quelque sorte dix jours d’avance sur une partie du territoire national ! Ici, localement, de nombreux vétérinaires, de par leur initiative personnelle, ont déjà donné à leurs hôpitaux, à SOS médecins ou à d’autres soignants le matériel dont ils disposaient : masques, gel, etc. Car la priorité impérative est de participer à la lutte contre cette pandémie. Maintenant, les vétérinaires peuvent aussi répondre à l’appel national lancé pour la réserve sanitaire.
A la date du samedi 21 mars, y a-t-il déjà des cliniques vétérinaires fermées, suite à une infection ?
A ma connaissance, en France, trois ou quatre structures vétérinaires sont déjà fermées pour cause de contamination. Il y a aussi du personnel (vétérinaires, assistantes…) assigné à résidence, car testé positif. Mais je n’en connais pas les chiffres exacts. J’en profite pour rappeler aux praticiens que les restrictions d’actes, le suivi de gestes barrière préconisés par l’Ordre ont également pour objectif de les protéger eux-mêmes. Car, actuellement, la majorité des morts constatées à l’hôpital concerne la tranche des 30-50 ans !
Quelles sont justement les nouvelles règles à respecter pour les vétérinaires ?
Les praticiens ont d’abord à répondre à beaucoup de coups de fil, souvent pour rassurer les propriétaires d’animaux. Ensuite, il faut leur expliquer les nouvelles règles d’accès aux cliniques, en tenant compte des gestes barrière ainsi d’un contexte d’exercice très restreint : ce sont en effet les urgences et les animaux malades qui vont le devenir qui sont à prendre en charge, outre la permanence et la continuité des soins habituelles. Je rappelle que ces décisions ont été prises à l’unanimité des conseils régionaux et du conseil national de l’Ordre. Il n’est donc pas question de fermer les structures, sauf bien sûr en cas de contamination.
Quels sont les gestes barrière à observer, pour une consultation en clinique ?
D’abord, le rendez-vous doit être fixé par téléphone au préalable, de manière à ce que les clients ne se croisent pas. Ensuite, je pense qu’il faut s’organiser, pour les médicaments indispensables, un peu comme dans un « drive ». Par exemple, dans ma propre clinique, qui bénéficie d’un parking clôturé, je n’ouvre le portail qu’à une seule voiture à la fois. Ce doit être une personne seule, sans enfant, qui sonne. Je donne rendez-vous tous les quarts d’heure, ou toutes les demi-heures. Si c’est un animal à soigner, c’est nous qui ouvrons les portes aux propriétaires, nous restons toujours éloignés d’un mètre et j’ai organisé un parcours à l’intérieur où les propriétaires ne touchent à rien. Pour leur paiement, j’évite si possible les espèces, on privilégie au maximum la carte bancaire, et si le montant le permet, la carte bleue sans contact (quitte à faire deux paiements de suite, par exemple deux fois 25 € pour régler 50 €). Notre terminal bancaire a une cellophane dessus que l’on nettoie avec un désinfectant professionnel, un spray bactéricide et virucide. On a aussi placé une partie de notre personnel en chômage partiel. Quant à la femme de ménage, elle vient faire son travail en dehors des heures d’ouverture, tous les deux jours. Mes clients rentrent par une porte, et ils sortent par une autre. C’est évidemment à chaque vétérinaire de réfléchir à un parcours sans risque, en fonction de son agencement de locaux, et en se fiant à son bon sens.
Comment pratiquez-vous en rurale et en équine ?
Comme nous sommes dans le grand Est, au nord d’une zone que je qualifierais de la diagonale du vide - en terme de problème de maillage vétérinaire s’entend -, notre nouvelle clinique, construite depuis six ans, dispose d’une zone d’accueil pour les bovins, chevaux et autres petits ruminants… Une partie des animaux de rente vient donc à nous, à domicile ! Si l’on doit se rendre dans une ferme, le propriétaire, seul, peut tenir l’animal attaché à une longe (cheval) ou à un cornadis (bovin). Pour les consultations pulmonaires, abdominales ou les fouilles rectales, il est possible pour le praticien de se tenir à plus d’un mètre de distance du propriétaire. Personnellement, je trouve que notre exercice est généralement assez facile à gérer à l’air libre.
Enfin, quid de l’évolution de la pandémie ?
Quinze jours seulement de confinement, a priori, cela me paraît court. Je pense qu’on est plutôt parti pour atteindre un pic pour environ la fin avril. Mais soyons clairs : plus le confinement et les mesures de précaution au travail, seront appliqués par l’ensemble des citoyens - vétérinaires compris - plus nous aurons collectivement de chance de rendre ce pic plus proche et moins important, et donc de réduire d’autant la période de confinement devant être observée par tout le monde.
Photo : Pour Jean-François Rubin, président du CRO Grand Est, l’urgence pour tous - vétérinaires compris - est à la lutte contre la pandémie, en continuant à travailler dans le cadre prescrit par le Conseil national de l’Ordre vétérinaire et l’État.