Lors de la journée dédiée à la e-santé animale de l’Université d’été de la e-santé de Castres, les participants ont pu avoir un aperçu de l’exercice vétérinaire de demain. Au programme : un environnement toujours plus digitalisé, avec notamment l’essor d’outils d’intelligence artificielle au service du praticien.
A quoi ressembleront les établissements de soins vétérinaires en 2030 ? A la journée consacrée à la e-santé animale au tout dernier congrès de Castres sur la e-santé, qui s’est déroulé du 2 au 4 juillet, Grégory Santaner, vétérinaire et fondateur de VetoNetwork, et Vincent Bailleul, responsable digital chez MSD santé animale, ont tenté d’y répondre. Equipé d’un casque de réalité virtuelle, dont les images étaient diffusées sur grand écran, Grégory Santaner s’est immergé en direct dans la clinique du futur. A peine entré dansl’établissement, le propriétaire serait directement identifié par une technologie de reconnaissance faciale. Il irait alors patienter dans une zone d’attente individualisée, dans laquelle s’afficheraient sur des écrans du contenu personnalisé. De même, la salle d’attente serait équipée d’écrans géants affichant des offres de croquettes ciblant le propriétaire passant devant, qui pourrait en sélectionner, les mettre dans un panier virtuel voire même se les faire livrer. En consultation, le vétérinaire, avant même d'engager la conversation et d’examiner l'animal, aurait déjà dans le dossier médical tout un tas d’informations utiles en provenance d'objets connectés…de la maison. Au laboratoire, pourquoi pas imaginer une imprimante 3D pour reconstituer un os afin de s’entrainer avant une intervention chirurgicale. En hospitalisation, exit le papier : des écrans serviraient de feuilles de suivi d’hospitalisation. Ils pourraient même être alimentés en continu grâce à des outils de monitorage qui indiqueraient le niveau de douleur de l’animal, sa fréquence cardiaque, sa fréquence respiratoire, etc, et déclencheraient aussi des alertes si besoin.
Cette visite virtuelle, présentée en clôture de la journée e-santé animale, est finalement apparue presque banale. De fait, l’ensemble des précédentes présentations avait déjà bien montré l’ampleur des changements à venir pour l’exercice vétérinaire. D’abord car le praticien disposera d’outils d’intelligence artificielle d’aide au diagnostic. Mais aussi car il aura accès à un nombre croissant de données, potentiellement nouvelles, via les objets connectés équipant les maisons et les élevages. Intelligence artificielle et humaine, un duo gagnant ?
Des assistants virtuels
Les nombreux exemples d’outils digitaux présentés au congrès sont apparus comme de véritables assistants virtuels pour les praticiens. A commencer par exemple avec le grand gagnant du concours récompensant pour la 2ième année consécutive une solution innovante en e-santé animale. Sur les 14 dossiers déposés, c’est la start-up PicoxIA qui a remporté la mise. Le principe : un outil de lecture des images radiographiques des carnivores domestiques. Si pour l’instant, seule la région du thorax a pu faire l’objet d’une preuve de concept, il n’est pas à exclure que la start-up (voire d’autres ?) aille plus loin. Comme l’a expliqué Emilie Boissady, vétérinaire co-fondatrice de la start-up, tout l’intérêt d’un tel outil est qu’il limite le risque d’erreur lié au biais de cognition. Mais il permet aussi de gagner du temps et d’amener du confort d’exercice notamment pour les jeunes diplômés. Autre exemple, et gagnant cette fois-ci du prix des internautes, Sanivet, une plateforme digitale facilitant les visites sanitaires en élevages canins et félins. Développée par le centre Neocare dédié à l’élevage, la reproduction et la pédiatrie canine et féline implanté sur le site de l’école nationale vétérinaire de Toulouse, son objectif est d'aider le praticien à élaborer un rapport de visite sanitaire. En pratique, l’éleveur est invité au préalable à remplir sur la plateforme un questionnaire de préparation de visite. Le vétérinaire prendra le relais en remplissant, sur l’application, le canevas de visite pré-rempli. A la clé : un rapport qui sera automatique généré et envoyé à l’éleveur. L’exercice rural n’est pas en reste, en témoigne le projet IVAN pour Innovative veterinary assisted necropsy. Développé au sein d’Oniris (Loire-Atlantique), l’outil est présenté par ses concepteurs comme un système d’aide au diagnostic en autopsie bovine. « Nous vous proposons d’ajouter à votre cognition un outil qui va permettre de faire de vous un vétérinaire augmenté pour arriver au diagnostic », a souligné Laëtitia Dorso, praticienne hospitalière au centre hospitalier universitaire vétérinaire d’Oniris. Comme pour le précédent outil, IVAN se nourrit de données pour établir un diagnostic différentiel. En pratique, le praticien commence par rentrer les informations d’identification du bovin (race, sexe, date de naissance, etc) qui aboutissent à un 1er diagnostic différentiel se basant sur les données des six dernières années d’autopsie réalisées à Oniris. L’ajout des signes cliniques amène IVAN à réduire la liste des maladies possibles et à identifier les organes à regarder en priorité. Enfin, l’intégration des lésions organiques observées lors de l’autopsie doit aboutir à un différentiel de maladies associées à des indices de confiance, et proposer les examens complémentaires à réaliser pour confirmer ou infirmer une maladie. Comme il est impossible d’être performant pour tout, IVAN est décrit comme le nouvel « allié terrible » du praticien rural.
Une multiplication de données
Avec les outils d’intelligence artificielle, de nouvelles données font aussi leur apparition. Et en masse ! Le projet Pet insight, mené aux Etats-Unis par le groupe Mars depuis 2017, et présenté par Claude Ecochard, ingénieur chargé de veille prospective chez Royal Canin en est un bon exemple. Il s’agit d’une collecte massive de données issues d’un capteur d’activité Whistle Fit fixé au collier de chiens patients du réseau de cliniques Banfield. L’idée sous-jacente : investiguer la relation entre le comportement de l’animal de compagnie et sa santé. A ce jour, plus de 60 000 chiens, à raison de plus de 125 races et croisés, participent au projet, avec plus de 20 000 chiens qui sont suivis pendant des périodes de plus de 3 mois. A la clé : plus de 4 millions de jours avec des informations comportementales quantifiées et analysées. Un sacré changement d’échelle comme l'a souligné le confériencier : d’habitude, « on fait des essais cliniques sur des dizaine parfois des centaines d’animaux, ici on passe à plusieurs milliers d’animaux ». Le groupe ne compte pas s’arrêter là et ambitionne d’élargir encore sa base de participants en ajoutant des dizaines de milliers de chiens chaque année pour atteindre « plus de 20 milliers de journées de données comportementales quantifiées et qualifiées pour des milliers de situations médicales ». Et faire in-fine un lancement commercial de cette technologie, en tant que produit de santé et bien-être. L'outil, qui « donne la parole aux chiens », pourrait être utile pour le suivi post-opératoire, les maladies dermatologiques (suivi de grattage)...bref, de détecter indirectement via une dérive d'un comportement un problème de santé. « On s’inscrit dans une médecine et préventive et participative. L’idée est, pour l’animal, d’intervenir plus tôt avant qu’il y ait des complications, et également pour le possesseur, que ça lui coûte moins cher et de le faire de la façon la plus pratique possible », a précisé le conférencier.A terme, l’idée serait d’aller sur du conseil, directement via une application. Niveau big data, le secteur de l’élevage n’est pas en reste. Si les bovins sont déjà hyper connectés, les porcs d’élevage sont en passe de le devenir comme l’a détaillé Michel Marcon, ingénieur à l’Ifip-institut du porc. L’élevage porcin de précision fait ainsi l’objet de multiples projets de recherche. Un s’intéresse par exemple aux toux qui sont enregistrés et analysés pour alerter l’éleveur en cas de dépassement de seuil. Un autre se penche sur le poids qui est évalué via un dispositif d’analyse d’image pour suivre la performance des animaux et détecter les digressions, possibles reflet de pathologies. Ou encore, un dernier ambitionne de détecter précocement l’apparition de diarrhées en suivant le comportement alimentaire et dipsique, ainsi que la courbe de poids.
Des liens renforcés avec le propriétaire
Tous ces outils et solutions digitales tendent à faire évoluer le lien entre le vétérinaire et les propriétaires d’animaux. D’abord parce que ces derniers possèdent des objets connectés à la maison, à l’instar du capteur d’activité du projet Pet insight, dont les données pourront à terme être consultées et exploitées par le praticien. De nouveaux modes de communication sont, de plus, en train de se construire, comme par exemple le chatbot, un dispositif développé par un des trois finalistes du trophée e-santé animale. Askovet se propose ainsi de simuler une conversation et de répondre aux demandes des propriétaires, comme l’a expliqué Marion Chaussonnet, fondatrice de la start-up. Se basant sur l’hypothèse d’une exigence croissante des propriétaires, « souhaitant être complètement intégrés dans le processus de prévention et de soins », et de plus en plus friand des réseaux sociaux « pour s’informer et communiquer », la start-up propose un assistant virtuel, nommé Bolt, que le praticien pourra installer sur son site internet, afin de diminuer « les questions basique et fréquentes ». Et d’orienter, si besoin, le propriétaire chez son vétérinaire. Mais le changement majeur à venir ne sera-t-il pas celui de la télémédecine ? Outre-Atlantique, l'American association of veterinary state boards (AAVSB) a affirmé que le vétérinaire était un professionnel capable de définir les cas pour lesquels la télémédecine était suffisante pour délivrer des conseils médicaux et prescrire un traitement, a expliqué Aaron Massecar, directeur adjoint pédagogie à l’institut de médecine translationnelle de l’Université de l’Etat du Colorado, venu spécialement pour le congrès de Castres. Conséquence : la télémédecine est déjà utilisée dans de nombreux Etats. En France, par contre, elle n’est pas encore autorisée, comme l’a rappelé Denis Avignon, vice-président de l’Ordre national des vétérinaires. Et d’annoncer qu’elle ne sera pas insérée dans la législation à priori avant...avril 2021 ! Malgré ce retard, l’Ordre semble bien conscient de la nécessité d’accompagner l’évolution inévitable – car attendue par les propriétaires - de l’exercice professionnel. Par contre, il reste vigilant. Denis Avignon a ainsi bien précisé que la téléconsultation et télésurveillance ne seraient possibles qu’à la condition d’avoir examiné l’animal ou le troupeau au préalable : « le contrat de soin préalable est indispensable et sera inscrit dans la loi ». De plus, il a mis en garde : « on voit fleurir depuis quelques temps différentes plateformes qui s’annoncent comme étant enfin du conseil vétérinaire…comme si les cabinets ne répondaient pas au téléphone à leurs clients ». Si ces plateformes proposent différents types de conseil, certaines, selon lui, vont plus loin jusqu’aux conseils vétérinaires personnalisés. « Ce n’est pas possible, car c’est de la consultation donc de la télémédecine, Tout vétérinaire qui se livrerait pour le compte de ces plateformes à ce type d’activité s’expose à des mesures qui seront prises par l’Ordre ». Pour l’instant, le vétérinaire reçoit un courrier recommandé…mais Denis Avignon n’exclut pas un passage en chambre de discipline si ce phénomène continue. Tous connectés, oui…mais pas n‘importe comment !
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Sur la photo, Grégory Santaner, vétérinaire et fondateur de VetoNetwork, et Vincent Bailleul, responsable digital chez MSD santé animale, ont immergé le public dans la clinique vétérinaire de demain.