Des experts de l'Inrae (Institut National de la recherche agronomique et de l'environnement) viennent de rendre un rapport présentant différents scénarios possibles pour le secteur agricole dans l'objectif de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC3), composante de la feuille de route de l’hexagone pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et pour assurer l’adaptation effective du pays au climat futur (Stratégie française énergie-climat (SFEC)).
Atteindre la neutralité carbone implique de diviser par 6 les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France par rapport à 1990 (soit 80 MtCO2e en 2050), annonce un rapport remis en avril dernier par un groupe d'expert de l'Inrae à la demande du ministère en charge de l’agriculture dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone. Pour y parvenir à l’horizon 2050, selon eux différents scénarios sont possibles. Ces derniers ont été élaborés en mobilisant divers groupes de travail sectoriels dont un groupe Agriculture et un groupe Forêts/Sols et l'Inrae pour le secteur agriculture, en ciblant en particulier l'évolution des rendements, l'effet du changement climatique et de la sélection variétale, l'évolution du bilan azoté en fonction des pratiques de fertilisation, l'alimentation des bovins lait, l'évolution des cheptels (ruminants et granivores), l'évolution des régimes alimentaires au sein de la population française, la production de bioénergies (méthanisation, biocarburants, etc.) et la décarbonation de l’agriculture (réduction de l’usage des énergies fossiles).
Des élements de réflexionDans cette contribution, le groupe d'experts a analysé les évolutions des variables d’intérêt et de leurs incertitudes à l’horizon 2050 et a cherché à mettre en cohérence ces évolutions. Le niveau d’ambition 2030 a été fixé à -26 % d’émissions nettes par rapport à 2015, ce qui correspond à un rythme de réduction de 2,1 % par an de 2022 à 2030 et à - 50% pour 2050. Cependant, comme le notent les chercheurs de l'Inrae, "l’analyse proposée n’a pas fait l’objet d’une modélisation quantitative et il ne s’agit donc pas d’un « scénario INRAE », mais d’éléments de réflexion produits par le groupe d’experts en vue de la construction d’un scénario SNBC3. Par ailleurs, ces travaux portent uniquement sur la faisabilité technique et agronomique des évolutions, et non sur les mesures et instruments de politiques publiques qui permettraient la réalisation de cette trajectoire". Dans ce rapport, les chercheurs indiquent des options techniques à développer pour réduire les émissions des cultures et des élevages en accélérant l’innovation.
Des scénarios variésAinsi, ils ont comparés plusieurs scénarios pour 2050. Dans le scénario central, les tendances socio-économiques et la réduction de la consommation de produits animaux conduisent à une baisse des émissions directes. Dans le second scénario, un objectif de baisse des émissions directes et indirectes (induites par l'alimentation animale) de -40% pour chaque filière est supposé et la baisse de la consommation s'ajuste à cette cible. Enfin, le troisième scénario vise un objectif de souveraineté alimentaire avec une augmentation possible du taux d’auto-approvisionnement à condition qu'il soit compatible avec une baisse des émissions directes et indirectes de 40%. Les résultats indiquent donc qu’un effort important de recherche et d’innovation permettrait d’atteindre l’objectif de réduction de -40% des émissions directes et indirectes (liées à l’alimentation animale) de l’ensemble des filières d’élevage tout en préservant au maximum les productions. De plus, entre ces différents scénarios, la réduction minimale de production (2050/2020) est estimée à : -19% pour le lait, -26% pour l'élevage allaitant bovin, -36% pour le porc, -20% pour les volailles de chair.
Des recherches à poursuivrePar ailleurs, concernant l’évolution des rendements des grandes cultures d’ici à 2050, le rapport met en contraste une hypothèse de légère progression des rendements moyens, grâce à des investissements accrus en matière d’adaptation au changement climatique, et une hypothèse de pertes de récolte accrues sous l’effet des chocs climatiques. Le potentiel de réduction des pertes d’azote (minéral et organique), notamment grâce au développement de cultures intermédiaires en partie utilisées pour la méthanisation, est, quant à lui,estimé à 50 % d’ici à 2050. Selon les chercheurs, "malgré la réduction de la taille des cheptels et de l’utilisation d’engrais azotés de synthèse, au niveau national le bilan d’azote serait bouclé grâce à la réduction des pertes d’azote, au développement des légumineuses fixatrices d’azote, au recyclage par les troupeaux et par les digestats issus de la méthanisation". Enfin, comme l'ont conclu les experts, il faudra mieux identifier les leviers d'actions permettant d'atteindre les objectifs climatiques tout en maintenant la compétitivité du secteur agricole, afin d'éviter d’augmenter l’empreinte carbone via des importations accrues de produits agricoles et alimentaires à fortes émissions.