Épuisement professionnel : communiquer et prévenir - Le Point Vétérinaire.fr

Épuisement professionnel : communiquer et prévenir

18.07.2013 à 06:00:00 |
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Notre confrère Jean-Pierre Rossato, praticien en Basse-Normandie, participe à un groupe de travail sur l’épuisement professionnel, avec l’aide de Véto-entraide. Il met actuellement en place un projet de comédie écrite et jouée par une troupe professionnelle, afin de communiquer sur ce problème et de le prévenir. Il appelle les confrères à venir soutenir cette initiative.


Du serment de Bourgelat…
« Toujours imbu des principes d'honnêteté que j’aurai puisés et dont j’aurai vu des exemples dans les écoles, je ne m'en écarterai jamais. Je distinguerai le pauvre du riche. Je ne mettrai point à un trop haut prix des talents que je ne devrai qu'à la bienfaisance et à la générosité de ma patrie. Enfin, je prouverai par ma conduite que je suis également convaincu que la fortune consiste moins dans le bien que l'on a que dans celui que l'on peut faire. »

« Je promets et je jure devant le Conseil de l'Ordre des vétérinaires de conformer ma conduite professionnelle aux règles prescrites par le Code de déontologie et d'en observer en toute circonstance les principes de correction et de droiture. »

« Je fais le serment d'avoir à tout moment et en tout lieu le souci constant de la dignité et de l'honneur de la profession vétérinaire. »

C’est le serment de Bourgelat que tout vétérinaire clame haut et fort à sa sortie de l’école : haut, conscient des responsabilités prises et fort de l’enseignement reçu. Cet étudiant partira, tel un chevalier, dans une croisade contre la maladie et la mort. Il dépensera son énergie sans compter pour glaner les sourires de contentement des propriétaires qui le considéreront comme un héros.
      

… à une réalité
Pourtant, il tombera bien vite dans une réalité. Cette réalité ne lui avait pas dit qu’il serait un chef d’entreprise qui doit avoir un bilan positif. Son entreprise – sa clinique – doit posséder, pour être digne de confiance, un matériel correspondant à un petit hôpital : radio numérique ou non, laboratoire d’analyse pour avoir des résultats instantanés, échographe dernier cri pour que le client puisse comprendre et emporter les vidéos, une salle de chirurgie high tech pour réaliser l’impossible, un chenil confortable pour recevoir sans honte, un personnel qualifié toujours souriant, sur lequel on peut compter et qui rassurera les clients, une formation pour toujours être au courant des dernières techniques et qui mange le temps libre, et maintenant des demandes de plus en plus nombreuses pour un scanner, etc.

Tout ce matériel, avec les investissements induits, le personnel avec ses charges, la surface nécessaire avec ses taxes, vont petit à petit conduire notre praticien vers un océan de factures dans lequel il pourra se noyer, ou pas. De temps en temps, il recevra la reconnaissance de clients heureux que leur animal de compagnie, en parfaite santé, rejoigne le foyer, et il pourra alors reprendre son souffle.

Cette chaleur, il la recevra d’autant mieux que celle de son foyer a peut-être disparu après les longues absences dues aux heures de batailles contre les maladies et les gardes répétées. Quoi de plus naturel que de se jeter à corps perdu dans une réussite qu’on croit maîtriser plutôt que dans sa vie privée qui commence à battre de l’aile ?

Et puis vient le coup de grâce : un procès, une violente altercation avec un client mécontent, un divorce, une séparation entre associés, un enfant mal suivi qui se drogue, un employé aux prud’hommes, la banque qui rappelle, etc.

Là, on oublie tous les moments heureux, pourtant plus nombreux, et c’est la chute aux enfers, où la vie devient toujours plus noire. Cette impression de se noyer, d’étouffer… Ce cercle vicieux va conduire notre praticien à devenir moins performant et moins souriant. La sanction ne se fera pas attendre : perte de clientèle et de rentrées d’argent. Et tout revient… ou pas, et c’est le geste qu’on pense être la délivrance. Mais tout revient… sauf l’oubli.

Certains se reconnaîtront au travers de ces quelques paragraphes. D’autres trouveront ces situations irréelles ou caricaturales. Pourquoi les choses ne sont-elles pas identiques pour tout le monde ? Pourquoi notre profession, qui continue à faire partie du top 10 des métiers préférés des enfants, ne nous apporte-t-elle pas à tous le bonheur attendu ? Pourquoi est-ce si difficile d’en parler ?

Cette évidence de bonheur, après les difficultés à obtenir le précieux diplôme, crée ce tabou. Et personne n’ose évoquer sa souffrance. La pression est plus ou moins grande suivant les conditions et les individus. Pour autant, faut-il la garder jusqu’à ce qu’elle explose et finisse en burnout ou pire, en suicide ?

Ce tabou n’est pas seulement individuel, il a contaminé toutes nos institutions. L’Ordre refuse de prêter son nom au groupe de travail mis en place pour combattre ce fléau. Certains grands congrès refusent de recevoir nos projets, de peur de rendre les vétérinaires tristes… La politique de l’autruche rendra-t-elle les choses moins réelles ? Nommer les choses, les regarder en face nous rendra-t-il plus faible ?


Soutenir le projet de communication
Cette réalité, qui nous touche tous à différents degrés, a fait naître un groupe de travail sur l’épuisement professionnel. Actuellement composé de deux vétérinaires, d’un psychologue, de la présidente et du vice-président de Véto-entraide, l’objectif de ce groupe est de communiquer sur ce problème et de le prévenir.

Dans un premier temps, une comédie sera écrite avec une troupe professionnelle, Papillon Noir Théâtre. Ce spectacle servira de vitrine et de moyen de liaison. En effet, la pièce sera jouée dans les congrès vétérinaires qui nous accueilleront, dans les écoles vétérinaires, puis dans les villes principales de nos régions. Elle sera suivie par un débat. Un blog est en cours de construction pour recueillir les témoignages. De plus, nous nous proposons de publier un livret qui sera remis gracieusement à tous les étudiants sortant des écoles. Par la suite, un clip vidéo sera monté.

À terme, nous espérons servir de modèle pour toutes les professions de santé. Notre première ambition est de devenir la profession qui déplore le moins d’épuisement professionnel et de suicides en France. Pour cela, des fonds sont bien entendu nécessaires. Le nerf de la guerre demeure l’argent. Nous avons fait appel aux banques, aux assurances, aux centrales de médicaments et aux laboratoires, qui se font un peu tirer l’oreille pour nous répondre, arguant que « c’est la crise, vous comprenez ». Non, nous ne comprenons pas.

Combien coûte un vétérinaire en souffrance, en manque à gagner et en responsabilité professionnelle ? Combien coûte un stand où les petits fours sont à volonté et où le champagne coule à flot ? Nous respectons les choix stratégiques de nos partenaires, même s'ils nous échappent parfois. Nous les invitons toutefois à réfléchir à l’impact d’un projet qui touche ou finira par toucher tous les vétérinaires.

Qui seront nos partenaires ? Qui osera le pari d’être le premier à agir humainement sur un sujet sensible ?


Jean-Pierre Rossato

jp.aline.rossato@orange.fr

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