L’élevage de chèvres Chevenet sous les feux des médias - Le Point Vétérinaire.fr

L’élevage de chèvres Chevenet sous les feux des médias

Anne – Claire Gagnon

| 02.12.2022 à 16:31:00 |
© Chevenet

Après la diffusion d’images de L214 sur l’élevage de chèvres Chevenet fin octobre 2022, La Semaine Vétérinaire a souhaité savoir comment la DDPP 71 gérait la situation dans un élevage régulièrement suivi par ses services, sans irrégularités détectées ni constatées au moment des faits. Décryptage.

Les faits

Le 26 octobre, L214 envoie une vidéo à la DDPP Saône-et-Loire, ainsi qu’à d’autres ONG, quelques heures avant sa diffusion à la presse grand public le 27 octobre, indiquant dans un communiqué qu’elle porte plainte pour maltraitance et tromperie contre l’entreprise Chevenet, leader européen des fromages de chèvre fermier.

Le Monde est un des premiers quotidiens (suivi par Libération, Le Point, etc.) à reprendre le 27 octobre à 12h18, en version numérique la dépêche de l’AFP avec les affirmations de L214 : « conditions de vie misérables des animaux, chèvres et chevreaux morts laissés en plein milieu des autres, les mortes sont entassées à l’extérieur avec d’autres cadavres en décomposition avancée et des ossements ». Des éléments du communiqué de l’entreprise Chevenet rétorquent que c’est une « manipulation des images obtenues à travers des montages et une mise en scène qui ne reflète pas la réalité », expliquant que les canicules de la fin de l’été « peuvent être fatales pour les animaux, comme pour les hommes ». L’article du Monde du 27 octobre précise que L214 a également interpellé les services vétérinaires de la préfecture de Saône-et-Loire et la direction générale de la répression des fraudes. Les commentaires commencent à pleuvoir, injures et autres noms d’oiseaux. De nombreux clients, des grandes enseignes dont Carrefour, Monoprix et des restaurants étoilés, cessent leurs approvisionnements, dont L214 actualise la liste sur son site.

L’association explique dans la vidéo que les images ont été tournées cet été, les faits sont révélés et la plainte déposée le 27 octobre.

La vidéo

On y voit un chevreau agoniser sur du foin frais, puis des cadavres de chevreaux entassés selon toute vraisemblance sur l’aire d’équarrissage, officiellement inaccessible au public, indiquant que la lourde cloche métallique qui la protège a été soulevée avec un chariot télescopique.

Sur la vidéo, la personne filmée ne porte pas sa tenue de travail et la séquence qualifiée de maltraitance par L214 montre qu’elle utilise un bâton jaune en plastique alors même que les chèvres avancent. La comédienne Isabelle Adjani dénonce dans la vidéo les chevreaux retirés à leur mère dès la naissance, l’absence d’accès à des pâturages extérieurs, qualifiant l’élevage de sordide.

Les services vétérinaires en première ligne

Notre consœur vétérinaire Anne Costaz, Directrice de la DDPP71, précise avoir réalisé avec trois inspecteurs en santé et protection animale une inspection de l’élevage, dès le 27 octobre à l’issue de la diffusion de la vidéo, dont les résultats sont frappés par le secret de l’instruction en cours. « C’est un élevage intensif, bien conduit à ce jour, que nous avons inspecté la dernière fois en novembre 2017. Les chèvres ont leurs cornes, sont en stabulation et peuvent sortir ; elles ont du foin produit sur place, avec une pharmacie proche du zéro antibio/antiparasitaires. La chèvrerie est vaste, les abreuvoirs propres. Nous recevons régulièrement tous les documents sanitaires officiels ainsi que ceux d’identification. C’est un élevage globalement bien tenu. Aucun incident dans l’élevage Chevenet n’avait été de nature à déclencher un contrôle ciblé. La mortalité en élevage n’est pas synonyme de maltraitance. Les chevreaux nouveaux nés, c’est fragile, surtout avec la chaleur que l’on a eue cet été, début août. Chez Chevenet, il y a 2 pics de naissance dont un en août, et depuis 2 ans, les chevreaux mâles sont mis à l’engraissement sur place, donc valorisés directement par l’exploitant. »

La DDPP n’a pas été contactée par L214 ou quelqu’un d’autre cet été au moment des faits dénoncés, ni depuis pour s’enquérir du niveau sanitaire et de bien-être animal de l’élevage Chevenet. À part le journal de la Saône-et-Loire, les grands quotidiens nationaux ne les ont pas contactés non plus. « C’est une pression notamment médiatique pour nos services, avec des comptes à rendre de notre action à la DGAL (qui nous aide techniquement) et à la Préfecture. Du point de vue juridique, nous bénéficions de l’appui, si nécessaire, des juristes de l’État. » précise notre consœur Anne Costaz.

Le groupe Carrefour qui a retiré sa collaboration avec l’élevage Chevenet à ce jour et réalisé un audit le 27 octobre, a précisé le 8 novembre 2022 : « Notre enquête est pour l'instant toujours en cours. A date, il n'est pas prévu que Carrefour reprenne la commercialisation de ses produits FQC (Filière Qualité Carrefour) issus de cette exploitation. »

Thierry Chevenet s’exprime

Après la sidération de l’action de L214, Thierry Chevenet dénonce et condamne les actes d’une personne non encore identifiée qui frappe une chèvre qu’il a découvert sur les images. « Ces actes sont d’une violence terrible ». Il précise que ses élevages sont « régulièrement audités par l’organisme certificateur de l’AOP et par nos clients et le dernier audit du 12 octobre 2022 n’a pas signalé de manquements majeurs ». Depuis l’intrusion de L214, Thierry Chevenet fait visiter son élevage à ses clients, afin de les inciter à reprendre leurs approvisionnements. Il a reçu beaucoup d’appels de soutien, dont ceux notamment d’étudiants vétérinaires, venus récemment dans son élevage. Il va équiper son élevage de caméras pour mieux suivre les évènements et l’ouvrira au grand public avec la possibilité de visites prochaines, dans le respect des normes sanitaires. Il attend les résultats de l’inspection de la DDPP71. « Afin de disposer d’un état des lieux fiable de la prise en compte du bien-être animal dans notre élevage, nous avons sollicité l’intervention d’un cabinet d’expertise vétérinaire spécialisé. L’état des lieux a été réalisé par un évaluateur neutre et indépendant, dont la compétence est unanimement reconnue ». C’est ainsi le cabinet Agrovet Expertise qui est intervenu en partenariat avec la chaire de Bien-Être animal de VetAgro Sup pour conduire un audit visant à évaluer le bien-être des chèvres sur le site de l’élevage mis en cause. L’évaluation a été réalisée le 14 novembre dernier (en dehors des périodes d’agnelage) par notre confrère, le Professeur Luc Mounier sur la base du référentiel d’évaluation du bien-être en élevage caprin Awin. Conformément à ce protocole, l’évaluation des animaux a porté sur un échantillonnage de 31, 22 et 36 chèvres en lactation dans les 3 parcs de respectivement 457, 311 et 525 chèvres.

Le bilan est jugé satisfaisant, tant du point de vue du bien-être des chèvres que des conditions de logement. Sur les 89 chèvres observées aucune ne présentait de boiterie sévère, d’onglons déformés, d’abcès, d’asymétrie de la mamelle, d’écoulement oculaire ou nasal. Leur pelage était propre et de bonne qualité. Leur comportement a été estimé très satisfaisant dans les trois parcs, avec un état émotionnel positif, un temps de latence d’approche inférieur à 2 secondes, indiquant une bonne relation à l’humain. Aucune compétition pour l’alimentation ou l’abreuvement n’a été observée. L’accès est permanent à l’aire d’exercice extérieur bétonnée d’une surface suffisante. Des améliorations seront à mettre en place pour améliorer l’accès à l’abreuvement, et apporter des éléments d’enrichissements du milieu (enrochements dans l’aire d’exercice, par exemple). Deux visites de suivi sont prévues début 2023, avant et juste après la période de mise-bas pour évaluer les facteurs de mortinatalité et vérifier le suivi des recommandations.

Résultats de l'audit

La Préfecture de Saône-et-Loire a indiqué par communiqué de presse le 2 décembre 2022 les résultats de l’audit réalisé le 27 octobre par quatre inspecteurs des services vétérinaires de la direction de la protection des populations (DDPP). Les points de contrôle ont porté sur le logement des animaux et l’ambiance, les matériels et les équipements, la conduite globale d’élevage (taux de mortalité, soins apportés aux animaux malades ou accidentés, alimentation, abreuvement) ainsi que sur le nombre, les connaissances et les qualifications du personnel. Le bilan établi et remis à l’éleveur, Thierry Chevenet, indique un bon état d’entretien des animaux, sans stress apparent, des locaux aménagés et entretenus correctement, du personnel permanent qualifié. Des manquements en matière d’abreuvement sur un des sites, d’absence de local d’infirmerie, de vigilance sur la formation du personnel intérimaire ont été signifiés à l’établissement d’élevage, qui a transmis le 24 novembre aux services de l’État les modifications apportées, lesquelles ont été vérifiées lors d’une visite de contrôle le 29 novembre.

L’élevage fera l’objet de contrôles inopinés dans les prochains mois afin de s’assurer de la pérennité des améliorations apportées.

Anne – Claire Gagnon

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