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L’élevage de pieuvres sous le feu des critiques

Marie Cibot

| 31.05.2023 à 12:07:00 |
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Alors qu’un projet d’élevage de pieuvres est en cours d’élaboration en Espagne, des groupes de pression critiquent vivement cette initiative.

Un projet d’élevage commercial de pieuvres en Espagne, le premier au monde, a entraîné une large et forte contestation de la part des associations de protection animale. Eurogroup for Animals et Compassion in World Farming demandent l'abandon du projet, après avoir obtenu des documents confidentiels révélant, selon eux, la cruauté envers les animaux et les conséquences environnementales que cela entraînerait.

Un million d’animaux élevés

Environ 350 000 tonnes de pieuvres sont capturées chaque année, soit plus de 10 fois le nombre capturé en 1950, ce qui met une pression importante sur les populations sauvages. La course à l’élaboration de techniques d’élevage dure depuis des décennies. En effet, il est difficile d’élever cette espèce animale puisque les larves ne mangent que de la nourriture vivante et nécessitent un environnement soigneusement contrôlé. En 2019, l’entreprise Nueva Pecanova a annoncé avoir réalisé cette percée scientifique. Dans la foulée, ils ont proposé un projet d’élevage pour répondre à la demande croissante de ce mollusque dans certains pays grands consommateurs (Espagne, Italie, Grèce et Japon). L’élevage serait réalisé en mer, dans des cages flottantes, avec une technique appelée « stockage en mer ». Les pieuvres seraient nourries de poissons et de crustacés sauvages. Les plans de développement, soumis à la Direction générale de la pêche du gouvernement des îles Canaries par la société Nueva Pescanova et découverts par Eurogroup for Animals (lien (1) et (2)), révèlent qu’environ un million d’animaux seront élevés dans la ferme de Las Palmas, à Gran Canaria, produisant environ 3 000 tonnes de pieuvres par an.

De vives oppositions quant au respect du bien-être animal

Les militants des groupes de pression s’opposant à ce projet dénoncent le manque de considération pour le bien-être animal. Les pieuvres sont des animaux sociaux, intelligents et sentients qui ont besoin d’un environnement complexe et varié pour vivre normalement, soulignent-ils. Selon eux, les cages de stockage ne permettraient pas de répondre à ces besoins. En effet, elles sont de petite taille, ce qui pourraient limiter la capacité des animaux à nager librement et à explorer leur environnement. En outre, les pieuvres étant des animaux naturellement solitaires, des risques d'agressivité, voire de cannibalisme sont à craindre. Nueva Pescanova estime d’ailleurs un taux de mortalité de 10 à 15 % - taux qui ne devrait pas être acceptable pour quelque forme d’élevage aux yeux des militants et de scientifiques reconnus tels que le Pr Jonathan Birch (London School of Economics), interviewé dernièrement par la BBC. Les pieuvres seraient aussi hébergées dans des réservoirs éclairés en permanence par une lumière artificielle pour améliorer leur reproduction, avec comme potentielle conséquence une augmentation du stress pour ces animaux vivant plutôt à l’obscurité. Enfin, selon les documents confidentiels, les animaux seraient mis à mort en étant placés dans des conteneurs d’eau maintenus à -3 °C. Cette technique d’abattage entraîne une mort lente et stressante et l'Aquaculture Stewardship Council (ASC) – principal système de certification des produits de la mer d’élevage – propose d’interdire cette pratique à moins que les poissons ne soient étourdis au préalable.

Un contre-sens écologique ?

Au-delà des questions éthiques et de bien-être animal, les opposants au projet doutent également de sa viabilité environnementale. Selon eux, l’élevage de pieuvres nécessite des quantités importantes de poissons pour nourrir ces animaux, ce qui pourrait avoir un impact sur les populations sauvages. L’association française Welfarm estime que l’élevage de pieuvres n’est pas compatible avec les orientations stratégiques de l’Union européenne qui encouragent la réduction de la dépendance de l’aquaculture vis-à-vis des farines et des huiles de poissons sauvages. De plus, les cages flottantes pourraient entraîner des problèmes de pollution et de contamination des eaux, avec des rejets médicamenteux, chimiques ou organiques. L’entreprise Nueva Pescanova n’a aujourd’hui révélé aucune mesure préventive quant aux risques environnementaux liés à un élevage intensif d’une espèce animale encore jamais domestiquée pour l’élevage de sa chair.

Marie Cibot

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