Le virus mutant du SARS-Cov-2 dans les élevages de visons fait réagir les scientifiques - Le Point Vétérinaire.fr

Le virus mutant du SARS-Cov-2 dans les élevages de visons fait réagir les scientifiques

Bénédicte Iturria | 12.11.2020 à 08:00:00 |
Vison
© BirdImages-Istock

L’annonce du Danemark de souhaiter procéder à l’abattage de près de 17 millions de visons d’élevage a suscité de vives inquiétudes dans les médias et renforcé le climat anxiogène actuel dû à la pandémie de Covid-19. La France, qui compte quatre élevages sur son territoire, a augmenté son niveau de vigilance.

Cette décision fait suite à une déclaration de l’Autorité danoise de contrôle des maladies infectieuses SSI confirmant que plusieurs virus mutants ont été isolés chez le vison et que sept d'entre eux présentent des mutations dans la protéine Spike, que le virus utilise pour pénétrer dans les cellules. Elle est importante pour la réponse immunitaire et une cible clé pour les vaccins. L'un de ces virus a quatre mutations dans sa protéine Spike. Celui-ci s'est avéré, lors de tests de laboratoire, plus faiblement inhibé par des anticorps de personnes ayant contracté la Covid-19. Mais le virus lui-même n'est pas plus dangereux ou contagieux. Les scientifiques danois craignent ainsi que le virus mutant baptisé « cluster 5 » ayant infecté une douzaine de personnes, ait le potentiel de rendre les futurs vaccins moins efficaces. De plus selon l’OMS, 214 cas humains de Covid-19 ont été identifiés au Danemark avec des variantes associées aux visons d'élevage depuis juin, d’où cette décision d’éradication prise par Copenhague. « Nous préférons prendre une mesure de trop qu'une de moins », a dit le chef de la diplomatie danoise.

De nombreuses voix de spécialistes se sont élevées

Suite à cette annonce inquiétante, de nombreuses voix de spécialistes se sont élevées dans plusieurs pays. Pour ces experts, en l’absence de publications, il est difficile d’évaluer les risques réels. Dans un courriel à l'AFP, le centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a déclaré qu’une mutation « peut avoir de possibles implications sur l'immunité, les réinfections ou l'efficacité des vaccins contre la Covid-19, mais il y a actuellement une grande incertitude. Davantage d'analyses et d'études scientifiques sont nécessaires pour mieux comprendre les mutations identifiées et leurs implications potentielles ». Certains chercheurs ont aussi reproché le mode de communication du gouvernement danois. Angela Rasmussen, virologue à l'université de Columbia (New York) s’est ainsi exprimée sur twitter : « je souhaiterais vraiment que cette tendance à faire de la science par communiqués de presse cesse. Il n'y a aucune raison que les données génomiques ne puissent pas être partagées pour permettre à la communauté scientifique d'évaluer ces affirmations ». Ces données génétiques ont été publiées il y a seulement quelques jours dans une base de données internationale. « Je pense qu'il est très décevant que les données viennent tout juste de voir le jour » a déclaré le professeur James Wood, chef du département de médecine vétérinaire à l'Université de Cambridge au Royaume-Uni, pressé d’approfondir et de caractériser leurs impacts éventuels. Pour l’OMS les conclusions préliminaires du Danemark sont pertinentes à l'échelle mondiale et elle reconnaît elle aussi l'importance de partager des informations épidémiologiques et virologiques complètes sur les séquences génomiques avec d'autres pays et équipes de recherche, y compris par le biais de plateformes open source. Selon le Dr Wood, « la véritable implication des changements dans la protéine Spike n'a pas encore été évaluée par la communauté scientifique internationale et n'est donc pas claire. Il est trop tôt pour dire que le changement entraînera l'échec des vaccins ou de l'immunité. Une évaluation beaucoup plus minutieuse est urgente. L'élevage du vison exige une biosécurité (ou une suspension) renforcée pour le moment ». L’ ECDC a déclaré qu'il publierait des évaluations des risques sur la propagation du Sars-CoV-2 dans les élevages de visons cette semaine.

En France : les mesures de biosécurité renforcées

La France, qui compte quatre élevages sur son territoire, a augmenté son niveau de vigilance et mis en place une surveillance depuis cet été, suite aux nombreuses contaminations de visons par le SARS-CoV-2 dans les élevages aux Pays-Bas où des cas humains ont aussi été détectés. Selon le ministère de la Transition écologique en charge de cette industrie, une surveillance de la mortalité a été mise en place. « Les mesures de biosécurité sont d’ores et déjà renforcées dans ces élevages. Et nous prendrons les mesures adaptées en fonction de l’évolution de la situation » a t-il déclaré. Le ministère a précisé que suivant les recommandations de l’Anses, des analyses PCR et sérologiques seront réalisées « sous forme d’étude scientifique » en novembre et décembre, période des abattages saisonniers des visons.
A la suite de la décision du Danemark, l’Académie nationale de médecine et l’Académie vétérinaire de France ont émis des recommandations dans le cadre d’une stratégie globale « une seule santé » :
* renforcer la surveillance épidémiologique des coronaviroses animales, en particulier chez les mustélidés (visons et furets) afin de détecter précocement la constitution de réservoirs ;
* s’assurer que l’abattage des visons a permis d’arrêter définitivement la propagation du virus variant isolé au Danemark ;
* détecter toute mutation parmi les SARS-CoV-2 isolés chez les animaux, en particulier chez les visons, pouvant limiter l’efficacité d’une vaccination future contre la Covid-19 ;
* mettre en œuvre les mesures de biosécurité les plus strictes dans les élevages de visons encore indemnes dans les autres pays ;
* éviter tout contact entre les personnes potentiellement infectées par le SARS-CoV-2 et leurs animaux de compagnie, notamment les furets, et d’observer les mêmes mesures barrière que vis-à-vis des personnes de leur entourage (port du masque, lavage des mains).

L'arrêt des élevages

Selon les annonces faites en septembre par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili les fermes de visons, dénoncées depuis longtemps par les défenseurs des animaux, devraient fermer d’ici 5 ans. Mais pour notre confrère Loic Dombreval, interviewé par France info le 5 novembre, compte tenu du risque sanitaire lié à la potentielle transmission par les visons de la Covid-19, l’arrêt des élevages devrait être immédiat. Le député LREM des Alpes-Maritimes qui souhaitait la suppression de ces fermes pour des raisons éthiques, avait  déjà émis cette idée en juin dernier quand le coronavirus se transmettait dans les élevages des Pays-bas. Le virus y avait alors entrainé l’abattage de millions d’animaux et l’arrêt précoce de l’industrie de la fourrure.

Impliquer davantage les vétérinaires dans la crise actuelle

Loic Dombreval a profité de l’occasion pour rappeler le rôle des vétérinaires dans la gestion des crises sanitaires. Il regrette que « les médecins et les vétérinaires ne se parlent quasiment pas ». Ces derniers devraient être davantage impliqués dans la crise actuelle. Notre confrère estime que l'apport d'un vétérinaire à la gestion sanitaire d'une telle crise pourrait être « extrêmement enrichissant ». Un spécialiste des animaux « apporterait une autre vision, avec la connaissance intime que les vétérinaires ont notamment des coronavirus et leur expression chez l'animal ». L'élu a même envoyé le 30 octobre une lettre sur ce sujet au président de la République : « l’équipe du Conseil scientifique n'est pas complète, il faut qu'elle soit enrichie de vétérinaires » a-t-il déclaré. Il précise que les vétérinaires sont associés à la gestion de la crise sanitaire Covid-19 dans des pays  comme par exemple l’Allemagne, l’Italie, la Chine, et la Belgique.

Bénédicte Iturria
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