Industrialisation de l’agriculture, perte de biodiversité et flambée des transports apparaissent comme des facteurs favorisant les pandémies, comme l’a expliqué l’écologue Serge Morand, lors d’une conférence à VetAgro Sup, sur le « One Health en pratique ».
« Une épidémie d’épidémies ». Ce constat a été posé par le biologiste et écologue de l’évolution, directeur de recherche au CNRS et chercheur associé au Cirad, Serge Morand, venu s’exprimer le 9 mars dernier sur le campus vétérinaire de Vetagro-Sup (Marcy L’Etoile) dans le cadre de la première session du nouveau diplôme d’établissement intitulé « One Health en pratiques ». Ce constat, qui résonne avec la pandémie en cours de Covid-19, découle directement d’une autre problématique tout aussi actuelle, qui est l’impact des activités humaines sur les écosystèmes.
Depuis la seconde moitié du XXème siècle, le nombre d’épidémies augmente. En 1950, moins de 100 épidémies s’étaient déclarées à travers le monde alors qu’actuellement, plus de de 800 sont recensées chaque année. Ce qui est frappant, c’est que non seulement les épidémies sont de plus en plus nombreuses, mais elles concernent maintenant une grande diversité de maladies, ayant chacune leur propre mode d’action et donc impliquant des stratégies différentes de gestion. De plus, alors que jusqu’en 1960, la plupart des épidémies touchaient principalement un seul ou quelques pays frontaliers, on observe depuis une globalisation des maladies avec une diffusion transcontinentale. Par ailleurs, 60 % des maladies infectieuses émergentes depuis 1940 sont des zoonoses dont 72% dues à la faune sauvage. Ce phénomène d’accélération des épidémies concerne également les maladies animales et végétales.
Des contacts étroits entre faune sauvage et domestique
La grande accélération de l’élevage et son intensification dans le monde autour de 1960 a eu de graves conséquences sur les écosystèmes. La demande croissante de viande entraîne une transformation de l’agriculture ayant pour conséquence la déforestation, une industrialisation des modes d’élevage, une augmentation du recours aux antibiotiques et aux biocides en général, et une utilisation importante de moyens de transports. Non seulement ces phénomènes entraînent une perturbation des écosystèmes et de leur résilience, mais ils sont également responsables d’un grand nombre de zoonoses liées à des contacts rapprochés entre la faune sauvage et la faune domestique. La crise sanitaire de 1998 provoquée par le virus Nipah en Malaisie en est un bon exemple. La déforestation, liée à l’exploitation de palmiers à huile et aux incendies dus aux phénomènes météorologiques d’El Niño, a engendré le déplacement de chauves-souris vers les zones d’élevages porcins. La proximité de ces espèces a facilité le franchissement de la barrière d'espèces, en permettant la diffusion du virus Nipah de la chauve-souris vers le porc, puis du porc vers l’homme, générant l’infection de 265 personnes et le décès de 105 d’entre elles. Outre les aspects sanitaires dramatiques, cette crise a eu de graves répercussions économiques. D’abord l’abattage préventif de plus d’un million de porcs, et la mise en place de mesures de biosécurité drastiques, avec la réquisition d’îles consacrées exclusivement à l’élevage de porcs. Puis le remplacement des races autochtones par des variétés productives a entraîné une perte importante de la diversité génétique des élevages.
Perte de biodiversité
On peut encore aller plus loin dans l’exploration des conséquences liées aux relations entre les êtres humains, la faune domestique et la faune sauvage. Une étude a notamment montré que l’émergence de la bactérie Salmonella enteritica chez l’Homme remontait à la période néolithique et donc à l’apparition de la domestication. Ainsi, le nombre de maladies partagée entre l’Homme et les animaux est proportionnel au temps de domestication de l’espèce. Nous partageons donc plus de pathogènes avec le chien, la vache ou encore le cochon. Ces animaux domestiques, proches de l’Homme, peuvent donc servir de passerelle voire d’amplificateur pour les pathogènes hébergés par la faune sauvage. La perte de diversité génétique dans les élevages – notamment intensifs - aggrave ce phénomène, en rendant les animaux plus sensibles à certains pathogènes, moins résilients et donc davantage susceptibles de transmettre une maladie à l’Homme.
En parallèle, la destruction des habitats naturels liée à l’activité humaine a de graves répercussions sur les écosystèmes telles qu’un déclin des pollinisateurs, une disparition massive des populations animales sauvages, une baisse de la diversité génétique et donc une amplification du risque d’épidémie. En effet, dans les lieux où les écosystèmes sont préservés avec une grande diversité d’espèces, certaines d’entre elles sont des espèces « cul-de-sac » qui ne transmettent pas la maladie permettant ainsi un effet de « dilution » du risque d’infection. En cas de disparition de ces espèces, le risque de transmission du pathogène à d’autres espèces – dont l’Homme – peut alors augmenter. Les milieux riches en biodiversité contribuent au contraire à réduire la transmission des maladies zoonotiques et sont donc plus résilients. De ce fait, en raison de la grande biodiversité qui y existe, certaines zones telles que l’Asie du Sud-Est apparaissent comme des points chauds en termes d’extinction d’espèces et donc d’émergence de maladies infectieuses.
Si on ajoute à l’industrialisation de l’agriculture et à la perte de biodiversité, le phénomène de globalisation avec l’explosion du trafic aérien et maritime, on se retrouve alors dans des situations de potentielles pandémies, comme on l’observe aujourd’hui avec le covid-19
La solution est globale
Alors que faire ? Si Serge Morand n‘a pas présenté de solutions concrètes, il lui paraît important de travailler sur les causes responsables de ces épidémies émergentes plutôt que de les traiter a posteriori. Il lance un appel à un changement de mode de vie en redéfinissant la notion de prospérité qui, selon lui, ne devrait plus être basée sur la seule valeur monétaire, mais bien sur l’amélioration de la qualité de vie et la promotion d’une meilleure santé pour tous, ainsi que sur le respect de l’intégrité des systèmes naturels. Cependant, les systèmes actuels de gouvernance et d’organisation des connaissances humaines sont insuffisants pour faire face aux menaces pour la santé planétaire. La course à la publication, qui met l’accent sur la résolution immédiate des crises sanitaires et leurs effets, empêche de s’intéresser à leurs vraies causes plus profondes. A plus long terme, l’enjeu serait alors de réfléchir à la « déglobalisation » de nos économies et de nos systèmes de production pour nous protéger des nouvelles crises à venir. Economiquement et politiquement, ce type de solutions peut impliquer aussi de grandes conséquences, comme le retour du protectionnisme et la fermeture de certaines frontières, y compris au sein même de l’Europe.
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Les concepts « One Health » et « EcoHealth » pour lutter contre les épidémies
Concept né au début des années 2000, le « One Health » souligne l’idée que les santés humaines et animales sont étroitement liées et dépendent de la santé de l’écosystème dans lequel elles évoluent. Cette approche multidisciplinaire semble aujourd’hui des plus pertinentes afin de détecter, de traiter et de prévenir efficacement la flambée d’épidémies d’origine animale, en questionnant de façon multisectorielle les mécanismes de surveillance, d’évaluation des risques et de prévention des dangers sanitaires.
L’ampleur des épidémies que nous vivons aujourd’hui nécessite une approche globale afin d’appréhender au mieux les différents enjeux de telles crises. C’est pourquoi la FAO (organisation mondiale de l’alimentation), l’OIE (organisation mondiale de la santé animale) et l’OMS (organisation mondiale de la santé) collaborent étroitement autour du concept « One Health » afin de gérer les risques sanitaires à l’interface des trois santés. Cette stratégie internationale, qui prend tout son sens dans la lutte par exemple contre l’antibiorésistance, renforce aussi le rôle des vétérinaires qui sont de véritables sentinelles pour détecter et surveiller les maladies qui viennent des animaux, si possible avant qu’elles ne touchent les hommes.
Le concept « EcoHealth », très proche, renvoie à une prise en compte plus forte du fonctionnement des écosystèmes dont les animaux et les hommes font partie. Dans ce cadre, les écologues ont un rôle majeur à jouer pour nous faire comprendre la complexité du vivant et les dynamiques d’évolution et d’interaction entre les espèces dans un monde de plus en plus globalisé.
Il manque juste un "petit détail", qui concerne la surpopulation humaine. Pas facile à évoquer, et encore mois facile d'y trouver des solutions...
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