Alain Grépinet (A 70), vétérinaire, réagit à un arrêt de la Cour de cassation de décembre dernier et nous invite à réfléchir à notre approche de la campagne et du monde agricole.
Je m’adresse à vous tous, et à vous seulement, mesdames et messieurs qui, venant des villes dont vous ne supportez plus les tragédies modernes (la foule, la circulation, les pollutions, les trafics de drogues, l’insécurité ambiante, les incivilités de toutes natures, etc.), venez vivre à la campagne et n’en supportez plus les inconvénients, au point de ne pas hésiter à poursuivre devant les tribunaux ces agriculteurs que vous poussez au désespoir – oui, au désespoir et à la faillite ! - et que, ce faisant, vous êtes en train d’anéantir. Une honte ! Ces situations ubuesques, que vient – hélas ! – de confirmer et d’illustrer un arrêt de la Cour de cassation, en date du 7 décembre 2023, méritent quelques explications et commentaires. (…) D’abord, je m’adresse à vous, que d’aucuns appellent les « néoruraux », en tant que vétérinaire, ancien praticien rural, qui ai fait des centaines de milliers de kilomètres pendant plus de vingt ans, dans plusieurs campagnes où j’ai eu le bonheur de travailler, le jour et la nuit, les dimanches et jours fériés (…). Je me sens donc totalement autorisé à vous faire part de mes commentaires, face à certains de vos comportements, de plus en plus choquants, voire scandaleux. (…)
Dois-je vous rappeler que la campagne, dans sa globalité, appartient d’abord à ceux qui l’entretiennent, la font vivre et fructifier, y vivent en permanence - souvent depuis plusieurs générations - ; elle est donc, cette campagne, et d’abord, le lieu de vie, le lieu de travail de tous les agriculteurs, quels que soient leur statut et leurs activités, grâce auxquels elle est ce qu’elle est, même si elle n’est pas parfaite. Vous n’êtes que des subalternes : ce mot n’est ni péjoratif, ni injurieux, il désigne une simple réalité sociologique. La campagne, c’est d’abord le monde paysan, dans toute sa diversité, riche d’une longue histoire et porteuse de missions essentielles. En avez-vous conscience lorsque vous osez vous rebeller contre l’un d’entre eux, au motif que vous seriez incommodés, dans le nouvel environnement où vous cherchez à vous réfugier, par des odeurs, des bruits?
Connaissez-vous vraiment ces gens qui y travaillent tous les jours, sans répit, connaissez-vous leurs horaires de travail, leurs contraintes, leurs soucis ? Leurs difficultés, les investissements qu’ils sont obligés de faire pour survivre et tenter de prospérer ? Demandez leur combien de jours de vacances ils prennent chaque année, lorsque cela est possible ? Et comparez leurs réponses aux privilèges qui sont les vôtres !
Dois-je aussi vous rappeler, mais le savez parfaitement !, qu’en venant habiter à la campagne vous saviez parfaitement ce que vous alliez y trouver, à moins d’être totalement naïfs : des animaux de la ferme, aussi variés que nécessaires, des animaux de basse-cour, des chiens, des engins motorisés dont l’usage est indispensable pour travailler la terre, produire et – ne l’oubliez jamais ! – vous nourrir. Est-ce que c’est vous qui devez vous adapter à cette campagne où vous aspirez vivre, ou bien est-ce que c’est l’ensemble du monde agricole qui doit impérativement et urgemment s’adapter à ce que vous en attendez ? Ou, plutôt, à ce que vous en exigez ? (…) Vous savez également que, d’une façon de plus en plus récurrente, certains d’entre vous décident de déposer plainte contre tel ou tel autre de leurs voisins, au motif que leurs modes de vie et de travail les dérangeraient - quelle outrecuidance ! - pendant leurs séjours néo-ruraux. Eh oui, c’est le monde à l’envers, comme dans tant d’autres domaines ! Dieu merci, dans la plupart des cas, lorsque vous décidez d’aller vivre à la campagne, alors que vos futurs voisins, agriculteurs, paysans, éleveurs y sont déjà installés depuis longtemps, les juges chargés d‘instruire vos plaintes vous déboutent, au motif, précisément, qu’ils étaient là souvent bien avant vous et que, par conséquent, vous ne pouviez ignorer a priori tout ce que vous allez ensuite leur reprocher. (…)
Lorsque vous gagnez, comme ce fut tout récemment le cas de cet agriculteur de Saint-Aubin-en-Bray, dans le département de l’Oise, le véritable motif invoqué, puis retenu, et qui fait débat, n’est rien d’autre, en général, que ce que l’on désigne sous l’appellation de « trouble anormal de voisinage ». C’est bien, en effet, ce que vous invoquiez lorsque vous dites ne plus pouvoir supporter, par exemple, les odeurs, en effet spéciales, liées à la présence de tous les animaux qui vivent là, à la campagne, dans leur milieu naturel ; (…) par exemple aussi, le chant du coq, le matin, (…) les bruits des tracteurs et autres engins dont les paysans ont besoin pour faire fonctionner leur entreprise ; les clarines des vaches lorsqu’elles ont encore ce privilège ; et même dans certains villages, les cloches de l’église dont certains nouveaux-arrivés osent exiger qu’elles soient arrêtées, parce qu’elles troubleraient leur sommeil ! ... quand je vous dis que l’on marche sur la tête !… (…)
Vous avez tous entendu parler du coq « Maurice », de l’Ile d’Oléron, qui a été, en 2019, la vedette d’un procès très médiatisé et au terme duquel sa propriétaire avait finalement gagné face à ses voisins accusateurs qui ne voulaient plus l’entendre chanter, le matin de bonne heure alors que c’est précisément dans sa nature. J’en ai rédigé une longue analyse dans un ESSAI1, sous le titre « La leçon de Maurice » -, parce que, persuadé qu’une pédagogie bien conduite peut toujours être utile, je crois qu’on n’expliquera jamais assez pourquoi et comment on pourrait éviter ce type de conflits de voisinage, conflits ridicules, et rarement justifiés.
La qualification « trouble anormal de voisinage » n’est pas en soi, évidemment, une absurdité à partir du moment où ce trouble est avéré, répétitif - et non occasionnel -, intense et à l’origine de troubles connexes qui, à eux seuls, suffisent, en général, à en démontrer la réalité, la gravité et les conséquences. Donc, le débat ne se situe pas sur l’existence ou non de ces anomalies ; personne ne les ignore, personne n’en conteste la réalité, à commencer par tous celles et ceux qui y sont les premiers exposés, à savoir les agriculteurs eux-mêmes et leurs familles. Ils s’y habituent naturellement, au point de ne plus y prêter attention ; si donc il y a des victimes de ces « troubles anormaux », ce sont bien d’abord eux, les ruraux, qui en seraient les premiers atteints, preuve aussi qu’ils sont les premiers concernés pour essayer, par tous moyens, d’en diminuer les effets, en premier lieu sur eux-mêmes et, par conséquent sur tout le voisinage. (…) La campagne est certainement encore, dans bien des endroits, un havre de paix, un lieu où l’on peut vivre sereinement, loin du vacarme et des nuisances grandissantes des villes, mais à condition de savoir en amont ce qu’elle est vraiment et ce que l’on va y trouver. (…)
Comment définir les troubles anormaux du voisinage, notamment à la campagne ?
Ces troubles peuvent être définis comme des nuisances, c’est-à-dire des causes de mal-être qui, elles-mêmes se traduisent, dans les faits, comme des sources d’inconfort, d’agacement, de gêne qui, ensemble, - selon l’expression populaire - « pourrissent la vie » des personnes qui en deviennent les victimes. En première analyse, rien ne devrait nuire à la tranquillité de quiconque. On dit aussi qu’il y a trouble anormal du voisinage lorsque la nuisance qui en est la cause « excède les inconvénients normaux du voisinage ». Toute forme de voisinage peut être ou devenir, par nature, une source d’inconvénients ; puisque c’est naturel, c’est acquis, tout un chacun le sait ; si l’on n’accepte pas de les supporter, il suffit alors de changer d’endroit et d’aller là où il n’y a personne, ou presque. Il y a là deux éventualités : soit la personne qui est la cause d’une nuisance était déjà présente là où elle vit, bien avant que n’arrive celle qui en deviendrait la victime, et il n’y a donc aucune raison pour que ce soit elle qui soit amenée à faire cesser le trouble, (…) voire à partir, au motif, précisément, de cette antériorité qui est souvent retenue par les tribunaux pour débouter les plaignants ; soit, le fauteur de trouble est la personne qui vient ensuite et se moque totalement de troubler la tranquillité des gens déjà installés dans son voisinage. Dans le premier cas de figure, - en l’occurrence une ferme avec des animaux, cas de loin le plus fréquent - l’éleveur ne peut pas, non plus tout se permettre et il doit veiller, c’est l’évidence, à ce que les inconvénients « normaux », je dirais plutôt « naturels », de ce voisinage, n’excèdent pas un certain seuil, ce qui est souvent la règle ; (…) toute la difficulté réside dans la nécessité d’évaluer in concreto les troubles invoqués, dans leur intensité, leur durée, leur répétitivité, leur intensité, leur gravité et leurs conséquences ; et, in fine, dans la qualification, mais aussi dans la quantification du trouble allégué.
Dans le deuxième cas de figure, celui d’une personne qui, par exemple, viendrait s’implanter à la campagne, dans un voisinage où résident déjà un certain nombre de personnes, quelles qu’elles soient, et y créer un élevage (…) qui d’évidence deviendrait lui-même source de nuisances, cette même personne aura sans doute peu de chances de pouvoir s’implanter durablement, sauf si elle consent à faire rapidement tous les investissements susceptibles de rendre ces nuisances supportables, donc acceptables.
Les fondements juridiques : qu’est-ce que la responsabilité ?
Le cœur du débat est clair : tout un chacun est censé, à travers son activité, son mode de vie, sa situation, ne pas gêner ses voisins au-delà d’une certaine limite, considérée comme supportable. Et si ce n’est plus le cas, peuvent s’ensuivre des dommages, susceptibles de devoir être réparés ; cela en vertu des articles 1240 et suivants du Code civil, dont je ne retiendrai ici que ceux qui nous intéressent au premier chef :
Article 1240 : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Article 1241 : « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».
Article 1243 : « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ».
J’ai enseigné, pendant plus de vingt ans, le droit de la responsabilité dans une Ecole nationale vétérinaire2 aux étudiants de dernière année, avant qu’ils n’aillent eux-mêmes assumer, sur le terrain, leurs propres responsabilités - civile, pénale, administrative -, tout au long de leurs années d’exercice. Je ne vais pas faire ici un cours de droit sur les responsabilités qui sont les vôtres, (…)
Je me contenterai de vous rappeler, s’agissant, tout particulièrement, de la responsabilité civile qu’elle est le fait de répondre de ses actes, et plus précisément des conséquences de ses actes ; lorsque celles-ci se traduisent par des dommages, ils doivent être prouvés, autant que faire se peut ; ensuite, il faut démontrer qu’il y a bien un lien de causalité entre la ou les causes dénoncées comme telles et le ou les dommages dont vous demandez réparation. Ceux-ci peuvent ou doivent faire, évidemment, l’objet d’une réparation, cette dernière n’étant pas forcément et toujours à la hauteur de ce qu’espère la prétendue victime, à moins qu’elle ne soit le véritable prétexte - inavoué - de l’action intentée.
Dans le cas de l’éleveur, dont la condamnation par la Cour d’appel d’Amiens a été confirmée par l’arrêt de la Cour de cassation, le 7 décembre 2023, il est permis de s’étonner, lorsque ce dernier affirme ex abrupto que les nuisances générées par l’exploitation « excèdent (…) les inconvénients normaux du voisinage » et que « la preuve était rapportée des troubles allégués, consistant (…) en des odeurs nauséabondes, des bruits d’animaux, de machines, et aussi en la présence envahissante d’insectes », que la preuve – s’il n’y en a qu’une ? – n’ait pas été détaillée, explicitée, ce qui permettrait alors de mieux comprendre pourquoi et comment, dans ce cas précis, le seuil d’« inacceptabilité »3 des nuisances invoquées a pu être atteint. (…) On peut légitimement se poser plusieurs questions qui remettent en cause, profondément, les conditions d’exercice et même la survie de certains élevages, à court et moyen termes :
- Si les décisions de justice à venir condamnent les agriculteurs à modifier tout ou partie de leurs installations, afin de ne plus infliger de « troubles anormaux de voisinage » et, ainsi, de permettre aux « néoruraux » de venir s’installer tranquillement dans nos campagnes, rendant la vie des agriculteurs de plus en plus difficile, voire totalement impossible, on va devoir se poser deux premières questions majeures : que vont devenir ces agriculteurs ? Cette question intéresse-t-elle vraiment notre société ? Mais aussi celles-ci : a-t-on le droit de les « déraciner » en agissant de la sorte ? Ne sont-ils pas prioritaires sur les terres de leurs ancêtres ou sur celles qu’ils ont acquises légalement pour exercer leur activité, source du gagne-pain de leur famille ? Cet aspect humain du problème ne devrait-il pas être le premier qu’il faille soulever ? (…)
- Ne serait-il pas temps que le législateur redéfinisse clairement les droits et devoirs respectifs de chacune des catégories de personnes qui ont fait le choix de vivre à la campagne, sans méconnaître les priorités de chacune d’elles et les véritables buts recherchés ? L’environnement rural est spécial, il lui faudrait donc une législation, elle aussi spéciale, qui tiendrait compte, prioritairement, du modus vivendi des agriculteurs - puisqu’ils sont les premiers acteurs des lieux -, puis des droits et obligations de tous celles et ceux qui veulent vivre à la campagne, censés en accepter d’emblée les inconvénients. Si les néoruraux n’en acceptent, une fois les lieux investis, ni l’évidence, ni les règles, ils voient ce qu’il leur reste à faire… Un député de la Lozère, Pierre Morel-à-L’Huissier, (lui-même avocat) avait déjà été saisi de cette problématique et a réussi à faire voter une loi4, qui va déjà dans le bon sens, mais on voit bien qu’il faut aller encore plus loin, afin de mieux protéger tous ces agriculteurs qui nous font vivre ; oui, vivre…., ne l’oublions jamais !
- Au coeur de toutes ces questions, se dessine, en filigrane, un autre argument qui va bien au-delà de l’aspect humain des situations en conflit, c’est sa dimension éthique dont on ne peut pas faire l’économie, ou faire semblant de l’ignorer. Intenter une action – même si, dans certains cas, elle est légitime – contre des agriculteurs, en l’occurrence des éleveurs, au motif qu’ils sont à l’origine d’un environnement que ne supporteraient pas des gens venus de la ville, recèle, chez ces gens-là précisément, quelque chose d’immoral, voire de révoltant, et dont je comprends parfaitement qu’il puisse choquer la conscience collective. (…) L’arrêt du 7 décembre, qui a condamné l’éleveur à verser plus de cent mille euros de dédommagements - ce n’est pas rien ! -, pourrait bien donner de mauvaises idées à d’autres grincheux… Est-ce que toutes les actions intentées sont vraiment et totalement désintéressées ? voilà une bonne question. Encore quelques mots pour préciser ce qu’il faut entendre par éthique : malgré leurs étymologies comparables et les multiples abus de langage qui en résultent, la morale et l’éthique ont des significations différentes : selon le philosophe André Comte-Sponville, « Une éthique répond à la question Comment vivre ? Elle est toujours particulière à un individu ou à un groupe. C’est un art de vivre : elle tend le plus souvent vers le bonheur ». Et d’ajouter : « la morale est constituée par des commandements ou, du point de vue du sujet, par des devoirs ». L’éthique, au contraire, « est constituée plutôt par des conseils ». La morale est « une doctrine du devoir », alors que l’éthique est « une doctrine du bonheur ». « La morale commande », alors que « l’éthique recommande ». Jean-Marie Domenach, ancien professeur de l’Ecole polytechnique, l’a dit autrement, mais aboutit au même constat : « Par éthique, j’entends l’énoncé de principes concernant la bonne manière de vivre et de se comporter avec autrui ». Donc, lorsque j’évoquais la dimension éthique que peut prendre toute action intentée contre un agriculteur, je visais très précisément cet « art de vivre » ou cette « bonne manière de vivre et de se comporter avec autrui », qui semblent avoir disparu, hélas, de notre vie sociale. (…)
- Se pose aussi la question de savoir si, en condamnant quelques éleveurs (ou trop d’éleveurs), on ne risque pas, du même coup, de dissuader un certain nombre de jeunes qui seraient disposés à reprendre des exploitations agricoles, mais qui, voyant le sort réservé à certains de ceux qui ont osé, ont toutes raisons de s’interroger et, parfois, de renoncer à franchir le pas. Quand on sait, par ailleurs tout ce que cela représente d’investissements financiers et humains, de sacrifices personnels et familiaux, de risques de toutes natures, on peut imaginer et comprendre , (…) que notre agriculture risque fort, dans les années à venir, de connaître des défections, des déboires et de décourager de plus en plus de jeunes, pourtant motivés.
- Alors qu’en sera-t-il lorsque nous ne serons plus en capacité de produire nous-mêmes ce dont nous avons besoin, en commençant déjà par la nécessité de nourrir notre population ? Serons-nous condamnés à importer la plupart des aliments dont nous aurons besoin ? Ce qui serait un comble, alors que notre pays a été si longtemps capable de produire l’essentiel de nos besoins alimentaires. Par ailleurs, tous les produits importés ont-ils les mêmes qualités, y compris sanitaires, que celles qui nous sont déjà imposées par notre législation nationale, plutôt stricte en la matière ? On sait bien que ce n’est pas toujours le cas. Les exemples sont légion ; on devrait y réfléchir plus sérieusement.
J’en viens maintenant à cet autre concept qui, lui, n’a pas de définition, ni d’articles dans le Code civil, contrairement à la responsabilité civile, je veux parler du Respect, que j’écris ici volontiers avec une lettre majuscule, et qui mérite quelques explications, dans la mesure où son absence est souvent à l’origine de tant et tant de malentendus, eux-mêmes sources de procédures que, dans bien des cas, on aurait pu éviter…
Le respect : est-ce vraiment un mot désuet ? Tout le monde croit savoir, au moins intuitivement, ce que cela veut dire ; de nombreux faits divers nous démontrent, hélas, tous les jours qu’il n’en est rien et que, sur ce point précis, si le respect n’est pas perçu instinctivement pour ce qu’il devrait être dans tous les faits de la vie courante, il devrait a minima être enseigné, naturellement, d’abord par les parents, puis par les enseignants ; quelle banalité ! Force est de constater qu’aujourd’hui on est loin du compte et que si tant et tant de dérapages, accidents et autres comportements violents sont devenus des faits divers ordinaires, à évolution exponentielle, c’est qu’il y a eu forcément, quelque part, des faillites lors de l’apprentissage des « bonnes manières ». Suivez mon regard, diraient certains, en direction de l’éducation…
Le respect, dont je parle ici, pourrait être défini comme une façon de penser, puis d’agir qui conduit tout un chacun à accorder, naturellement, une certaine considération à tout être vivant et à notre environnement commun. Avoir du respect pour quelqu’un c’est donc d’abord lui manifester un certain égard, faire preuve d’une certaine discrétion ou retenue, signes qui sont garants d’un comportement qui est immédiatement apprécié, puis assimilé à la norme ; c’est cette normalité, d’ailleurs, qui en justifie le bien-fondé. On voit bien, dès lors, que ce respect-là entre les personnes n’a de sens que s’il est réciproque. Envers un animal, comme envers notre environnement commun - la nature -, ce même respect n’a de sens et nous engage que s’il est perçu comme une obligation, un ensemble de devoirs, puisque seules les personnes, qu’elles soient physiques ou morales, sont en capacité d’assumer des responsabilités, le cas échéant. Ainsi appréhendé, le respect est bien l’un de ces repères dont notre société a absolument besoin pour fonctionner « normalement » ; si ce repère essentiel est galvaudé ou disparaît, on voit bien ce qu’il en résulte partout, et tous les jours. C’est l’absence de ce respect élémentaire qui est hélas, trop souvent, le facteur déclenchant de tant et tant d’incompréhensions et de conflits de voisinage.
Dans mon Essai intitulé Regards sur la condition animale5, je n’ai pas pu ne pas parler, évidemment, de ce qu’il faut entendre par « Respect de la vie ». (…), l’un de ces points communs, très forts, qui constituent, ensemble, ce que j’ai appelé « le trinôme singulier de la vie », lui-même constitué de l’ensemble du monde animal, de l’espèce humaine (du fait, précisément, de ses responsabilités) et de l’environnement qui nous est commun. (…) Lorsque j’observe que des gens, venus de la ville cherchent désespérément à aller habiter à la campagne (…) on peut être choqué par le comportement de ceux qui arrivent là, par exemple dans une ancienne ferme, s’installent, s’approprient, en effet – c’est bien le terme – les lieux, l’environnement, sans respecter d’emblée tout ce qui s’y trouve déjà. (…) Il est devenu nécessaire de rechercher, puis proposer des solutions susceptibles d’améliorer cet état de choses et, à tout le moins, d’en prévenir les risques.
Deux excellentes initiatives ont été prises, dans plusieurs villages de France et qui vont, assurément, à mon humble avis, dans le bon sens : la première a été l’idée qu’ont eue de nombreuses mairies d’afficher aux entrées de leurs villages une pancarte, de belle taille, en couleurs, expliquant aux citadins et autres touristes ce qui les attend et, notamment, les prévenant très courtoisement qu’en venant dans leur village, ils vont trouver des animaux qui s’expriment, donc des bruits spécifiques, des odeurs, des couleurs, bref un environnement très spécial, comme je l’ai déjà souligné ; c’est le moins qu’on puisse dire. Tel, par exemple, ce panneau très explicite, agrémenté de dessins qui saisissent le regard : « ATTENTION VILLAGE FRANÇAIS. Vous pénétrez à vos risques et périls. Ici, nous avons des clochers qui sonnent régulièrement, des coqs qui chantent très tôt, des troupeaux qui vivent à proximité, certains ont même des cloches autour du cou, des agriculteurs qui travaillent pour vous donner à manger. Si vous ne supportez pas ça, vous n’êtes pas au bon endroit. Sinon, nous avons de bons produits de terroir, des artisans talentueux et heureux de vous faire découvrir leur savoir-faire et leur production ». Voilà qui est bien dit, juste et force … le respect. C’est clair, n’exclut personne, avertit et informe. Et sous-entend, très élégamment : « si vous ne supportez pas ça, vous n’êtes pas au bon endroit ! ». Obsédé par l’obligation d’informer – qui fut l’une de mes obligations professionnelles -, (…) je souhaiterais même que tous nos villages français - qui sont le cœur et l’âme d’une grande partie de notre pays - adoptent eux aussi ce type de panneaux, en général bien présentés, agréables à lire et souvent bien acceptés par les visiteurs.
L’autre initiative, qui relève du même souci d’informer correctement tout nouvel acquéreur d’un bien dans l’un de ces villages, consiste à le prévenir et à le mettre en garde, puis à lui faire reconnaître par écrit, dans l’acte notarié lui-même, qu’il a non seulement été parfaitement informé de ce qu’il va découvrir dans son nouveau lieu de vie, mais aussi et surtout qu’en apposant sa signature sur l’acte il « renonce à exercer tout recours contre le vendeur à quelque titre que ce soit ». Voilà qui a le mérite de la concision et de la clarté. Tous les nouveaux acquéreurs d’un bien immobilier à la campagne, ainsi informés en bonne et due forme, deux fois plutôt qu’une, ne pourraient plus dire, a posteriori, qu’ils ne savaient pas, sauf, évidemment, à démontrer, le cas échéant, les caractères excessifs d’une quelconque nuisance, vraiment insupportable. (…)
Mesdames et messieurs les « néoruraux » - je n’aime plus trop ce terme qui pourrait vous paraître désobligeant, lui préférant celui de « villageois », puisqu’il désigne, sans distinctions, tous ceux qui entendent vivre ensemble dans le même village - , je vous ai écrit, dans cette Lettre ouverte, l’essentiel de ce que m’a inspiré l’arrêt de la Cour de cassation, du 7 décembre 2023, qui n’a donné aucune chance au malheureux éleveur qui en a été la victime. Qu’avez-vous pensé de l’extraordinaire élan de solidarité qui s’est ensuite manifesté un peu partout, pour le soutenir, l’aider, le réconforter ? Mon plaidoyer, ici résumé dans ces lignes, n’en est qu’une miette…..
La campagne est un monde merveilleux, je vous le redis en connaissance de cause. Si vous avez l’intelligence et la volonté de chercher à y vivre, précisément, en bonne intelligence, vous y trouverez beaucoup de bonheur, vous comprendrez mieux ce qui s’y passe et vous en accepterez d’autant plus facilement les inconvénients « consubstantiels » qui en sont aussi l’une de ses incontournables facettes.
Et, surtout, n’oubliez jamais, comme l’a si bien écrit Sylvie Brunel, professeur à la Sorbonne, dans son livre que vous devez lire avant d’aller chercher refuge à la campagne, intitulé « NOURRIR Cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre » : « Jamais nous n’avons eu autant besoin des agriculteurs, jamais nous ne les avons autant maltraités. Ils exercent pourtant le plus beau métier du monde. A notre service. »
Cette réflexion, lapidaire, que je fais mienne, pourrait même être l’un des sujets de philosophie, lors d’une prochaine session du baccalauréat avec, à la clé, cette question toute simple : « Qu’en pensez-vous ? ».
Il me faut quand même clore ce long plaidoyer sur une note optimiste, puisque je le suis résolument : lorsque je vous ai interpelés, au tout début de cette Lettre ouverte, m’adressant « à ceux qui n’aiment pas la campagne mais veulent y vivre », j’avais tout simplement déduit des plaintes, déposées contre des éleveurs, que vous cherchiez à leur faire abandonner leur moyen d’exister et de survivre, afin de vous assurer - prioritairement -l’environnement dont vous rêviez. Il me paraissait donc évident que vous n’aimiez pas cette campagne-là, qu’en réalité vous ne connaissez pas. (…) Si, donc, cette Lettre vous a aidé à comprendre, enfin, ce qu’est la campagne – la vraie ! – et quels en sont les véritables enjeux, et si, de surcroît, j’ai réussi à vous convaincre qu’il vous faut en accepter « le revers de la médaille », alors vous y serez bien acceptés, dans l’intérêt de tous, le vôtre, bien sûr, mais aussi celui de tous celles et ceux qui en sont – eux - les authentiques acteurs.
Et je m’adresserai, alors, désormais, autrement, à vous tous, « mesdames et messieurs les villageois de France, qui aimez la campagne et pouvez donc y vivre ! ».
1 Regards sur la condition animale, éditions MAÏA, 2023, page 164
2 Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse
3 Les mots « acceptable » et « inacceptable » sont corrects ; en revanche, si le mot « acceptabilité » est français, celui d’ « inacceptabilité » ne l’est pas ; bizarre… ; je n’en n’ai pas trouvé d’autre.
4 Loi du 29 janvier 2021
5 Editions MAÏA, octobre 2023
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