Selon une note d’analyse du Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture, les caractéristiques du secteur apicole rendent difficiles une structuration en « filière » comme cela existe pour les animaux de rente. Les intérêts divergents des différents acteurs « viennent lézarder un projet intégrateur à ce jour incertain ».
Peut-on parler de filière apicole, comme on parle de la filière bovine, porcine ou des filières avicoles ? Pas vraiment, selon une récente note d’analyse du Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture. Cette note passe en revue les caractéristiques du secteur, ainsi que les dynamiques professionnelles et politiques associées. Il en ressort que l’apiculture est un cas à part parmi les secteurs de productions agricoles. Le premier maillon, les producteurs, est caractérisé par un mixte entre des amateurs qui ne vont pas faire commerce de cette activité, et des « professionnels » qui en tireront une rémunération, quelle qu’elle soit, notamment avec la vente des produits de la ruche. Tous les professionnels ne sont pas égaux : en effet, il existe une très grande hétérogénéité dans la taille des ruchers. Selon les données 2020 de la direction générale de l’alimentation, 92% des « apiculteurs »* déclarés ont moins de 50 colonies, 4% entre 50 et 150, 3% entre 150 et 400 et 1% plus de 400 colonies. L’apiculteur est aussi autonome : 70% du miel produit en 2020 a été conditionné par les apiculteurs eux-mêmes. En aval, il y a une dizaine de conditionneurs professionnels, lesquels vont donc importer massivement du miel d’autres pays pour alimenter leur secteur d’activité. Ces conditionneurs vendent surtout à la grande et moyenne distribution. Ainsi, le secteur apparaît-il faiblement segmenté par rapport à d’autres.
Une difficile organisation collectiveDes tentatives de structuration sont en cours depuis les années 1980, avec en 1987 la naissance de la première interprofession apicole, mais qui s’est arrêté en 1992 « suite à la démission de syndicats de producteurs en désaccord avec l’utilisation des cotisations prélevées ». Plus tard, de nouvelles dynamiques structurelles ont eu lieu, avec des financements publics associés, jusqu’à une nouvelle organisation interprofessionnelle en 2018. « Néanmoins, la permanence des clivages entre acteurs s’est de nouveau traduite par les démissions, en 2022, des mêmes syndicats d’apiculteurs qu’au début des années 1990. » Pour le Centre d’études et de prospective, d’une part, l’hétérogénéité des acteurs aux intérêts divergents, ‘objectifs de production pour les uns, de défense de l’environnement pour les autres », rend difficile les tentatives de structuration. « Maintenir la présence de l’ensemble des acteurs du secteur apicole au sein des instances de concertation comporte aussi bien des enjeux économiques (l’accès aux aides) que politiques (influer sur la gouvernance des orientations données à ce secteur), mais ne contribue pas à faciliter la structuration de la filière », est-il souligné dans la note. Au final, en souhaitant organiser l’ensemble des acteurs qui pratiquent l’apiculture, les pouvoirs publics se sont heurtés et se heurtent à des divergences d’intérêts, qui viennent lézarder un projet intégrateur à ce jour incertain. »
Une « géopolitique de la fleur » à définirDe même, la faible segmentation du secteur freine toute tentative de structuration. « Cette forte autonomie, confortée par l’image véhiculée auprès du public, se traduit par une certaine atomisation d’acteurs qui inviterait à se fonder sur un cadre d’analyse plus souple que celui de la filière afin de mieux appréhender les dynamiques de ce secteur d’activité », est-il indiqué. Au delà de la compréhension des dynamiques en cours dans ce secteur, la note met aussi en avant les tensions qui peuvent exister entre apiculteurs et organisations environnementales pour qui les abeilles mellifères peuvent concurrencer les pollinisateurs sauvages sur la ressource alimentaire. « Si des dialogues existent entre ces différents acteurs, l’analyse plus fine des enjeux liés à l’occupation des territoires, par les abeilles, permettrait de dessiner les contours d’une « géopolitique de la fleur », qui reste encore à écrire. »
* La déclaration des ruches, quel que soit leur nombre, est obligatoire. Un détenteur d’une seule ruche peut être ainsi qualifié d’apiculteur, amateur dans ce cas. En 2020, environ 71 300 apiculteurs étaient répertoriés, pour 1,6 millions de colonies.