Vétérinaire rurale : un exercice au bord de la rupture ? - Le Point Vétérinaire.fr

Vétérinaire rurale : un exercice au bord de la rupture ?

Tanit Halfon | 25.07.2019 à 16:03:00 |
Marie-Christine Weibel
© Marie-Christine Weibel

Une consoeur du département de l’Aude a été contrainte de fermer son cabinet vétérinaire mixte et de licencier ses 5 salariés. En cause : des difficultés financières liées à des tarifs de prophylaxies animales trop faibles, auxquelles s’ajoute le coût des gardes en rural.

Marie-Christine Weibel, conseillère ordinale régionale, et praticienne mixte dans la commune de Couiza, dans le département de l’Aude, a choisi de fermer son cabinet vétérinaire mixte le 26 juillet et de licencier ses 5 salariés. En cause : des difficultés financières, conséquence directe de tarifs insuffisants des prophylaxies animales, et la nécessité d’assumer seule les gardes en rurale. Si elle a alerté plusieurs fois sur sa situation, la vétérinaire estime ne pas avoir été assez entendue, aucune aide financière ne lui ayant été accordée ou proposée pour poursuivre sa mission de vétérinaire sanitaire. Elle nous explique les raisons qui l’ont amenée à fermer son cabinet, et notamment pourquoi elle a fait le choix de ne pas abandonner simplement l’exercice rural au profit de la canine.

« Le cabinet de Couiza existe depuis 1999. J’y suis arrivée en salariée en 2004 puis je l’ai repris en 2006. Tout d’abord, il faut savoir que l’Aude est un département d’hyper-ruralité. Les conditions d’élevage y sont plus difficiles qu’ailleurs, avec des zones plus arides (garrigue) que d’autres. La majorité de ma clientèle rurale est située en zone aride. Il s’agit d’élevages principalement extensifs, disposant de peu voire pas de moyens de contention ni de bâtiment. Cela contraste avec la zone située de l’autre côté du fleuve Aude, qui est caractérisée par une plus grande culture d’élevage et des terres plus riches tout comme sur le plateau plus au sud.

En Avril 2017, , un confrère de Belcaire, la clientèle voisine au sud, située à 45 kilomètres de la mienne, est malheureusement décédé des suites d’un accident de voiture pendant son exercice, qu’il avait eu 15 mois auparavant. Associé principal d’un cabinet mixte, sa disparition s’est accompagnée d’une mise en liquidation de sa clientèle à l’été 2017. J’ai récupéré l’équivalent de 50% de clientèle rurale en plus en septembre 2017, ce qui me faisait un total de 120-130 éleveurs bovins/ovins suivis. Cela n’était théoriquement pas un problème pour moi : ces éleveurs étaient en réalité installés plus près de mon cabinet, et il se trouve que n’ayant par chance jamais connu de problème de recrutement en 15 ans, j’avais une consoeur prête à venir travailler pour assumer la surcharge de travail !

En parallèle, un changement de réglementation a imposé d’effectuer deux visites de prophylaxie pour les cheptels estivants au lieu d’une seule, ce que nous avons fait du 1er octobre 2017 au 31 mai 2018. C’est à ce moment-là que je me suis rendue compte d’un trou dans ma trésorerie de plus de 9000 euros ! Après analyse, il s’est avéré que cette perte était la conséquence directe des campagnes de prophylaxie. Le forfait alloué aux vétérinaires du département pour les déplacements ne couvrait les frais que pour parcourir en tout 12,5 kilomètres …Ma clientèle faisant plus de 50 km de rayon , avec la moitié au delà de 20 km, cela portait le rayon payé à 6.25km… En clair, cela veut dire que le cabinet a financé sur ses fonds propres la prophylaxie imposée par l’Etat. D’ailleurs, je me suis rendue compte que de nombreux praticiens étaient en réalité dans la même situation que la mienne. Certains n’effectuent les prophylaxies que sur leurs jours de congés pour éviter les tensions avec leurs associés, d’autres fonctionnent avec des emprunts de trésorerie…

Suite à ce constat, je me suis rapprochée des services vétérinaires pour réviser urgemment les tarifs, chose qui s’est avérée impossible, les tarifs étant négociés pour une année, jusqu’en décembre 2018. J’ai malheureusement eu la naïveté ou la stupidité de ne pas faire grève immédiatement, afin de ne pas bloquer les éleveurs dans leurs certifications.

La conséquence : j’ai dû appeler ma centrale d’achat pour demander un étalement des paiements…et je ne me suis pas versée de rémunération d’octobre à décembre 2018, tout en poursuivant les visites de prophylaxie. Aboutissant à une nouvelle perte de 4500 euros.

Fin décembre, à la seconde réunion de la commission bipartite, nous sommes parvenus à un accord, à savoir une facturation pour moitié par forfait jusqu’à 20km et pour l’autre moitié en frais réels au delà, l’idée étant que les vétérinaires ne perdent au moins plus d’argent à défaut d’en gagner…ce qui a été pratiquement le cas pour ma structure. De plus, nous avons signé cette fois-ci pour une demi-saison, et non pas une année entière, afin de pouvoir évaluer au plus rapidement les tarifs à l’été et suivre ainsi le calendriers des prophylaxies bovines.

Malheureusement s’est ajoutée une difficulté supplémentaire liée aux gardes...Nous les partageons avec 4 cabinets, dont 2 seulement font de la rurale. Avec au final, des gardes en rurale qui reviennent un soir sur deux, et un weekend sur deux. Fin mars 2019, le confrère mixte en question étant en surcharge de travail, et n’arrivant pas à recruter de salarié, a choisi d’abandonner son activité rurale. De mon côté, si je voulais pouvoir continuer à assurer la permanence et la continuité des soins en rural, il me fallait 12 300 euros TTC pour financer un salarié en plus à sa place – sans oublier le fait que j’assurais jusqu’à présent mes gardes gratuitement comme nous le faisons tous…même si nous sommes dans une zone où nous sommes peu dérangés, il faut être là pour le vêlage du samedi soir , la colique du dimanche…

J’ai donc recommencé à alerter tout le monde, et à prévenir finalement en mai que j’envisageais de fermer totalement mon cabinet en juillet, et de déménager avec mon mari, médecin généraliste, si je devais continuer à payer pour travailler à temps sur plein .

J’aurais pu décider de stopper la rurale qui ne représente que 25% de mon chiffre d’affaire, mais beaucoup plus en temps et fatigue physique et morale. Mais cette option m’est inconcevable. Parce que je suis profondément attachée à mon exercice de vétérinaire mixte. Et parce que laisser tomber les éleveurs tout en continuant à vivre à leurs côtés, avec mes enfants dans la même école que les leurs….j’aurais eu honte de moi. Malgré deux réunions en présence de la sous-préfète début juillet, puis des diverses collectivités territoriales, aucune aide ne m’a été accordée...tous me demandaient d’attendre encore un peu le temps qu’ils réfléchissent à une solution. Mais il était trop tard : j’avais des obligations envers mes 5 salariés, qui m’ont soutenu à 100% pendant cette épreuve, je devais disposer d’un minimum de temps pour organiser un déménagement, prévoir la rentrée scolaire de mes enfants dans une nouvelle commune…

Le licenciement de mon personnel, pour lequel je vais m’endetter auprès de ma famille,  est prévu pour le 31 août, pour mettre ensemble “notre cabinet en carton“. Je vais m’installer avec ma famille dans le Gers, une de mes ASV me suit, peut-être aussi un autre vétérinaire. Un confrère va récupérer la clientèle rurale, mais je crois qu’il ne se rend pas compte dans quoi il s’engage.

Au début, je culpabilisais, me disant que cette situation était de ma faute, que j’aurais dû m’organiser autrement plus rapidement. En fait, j’avais confiance sur le fait que la situation allait se débloquer, avec l’appui des services vétérinaires de mon département.

Il faut arrêter de penser que les 4000 vétérinaires exerçant en rural peuvent travailler à perte, car certains confrères le pensent, pendant que les éleveurs, eux, touchent des primes. Certains éleveurs se demandent d’ailleurs, à juste titre, pourquoi les vétérinaires ne reçoivent pas aussi des subventions européennes.

Pour ma part, je vais continuer à suivre cette problématique au niveau ordinal, afin d’aider les praticiens à mieux négocier les tarifs de prophylaxie, repérer les zones à risque et essayer d’apporter des solutions locales à des problèmes qui ne sont pas toujours d’ordre financiers, mais mettent en péril le maillage vétérinaire et la santé des confrères autour. J’invite d’ailleurs tout confrère vivant ou ayant vécu ce genre de situation, à oser contacter un membre de son conseil de l’ordre ou de son syndicat sensibilisé au sujet, ou moi directement. »

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Le maillage vétérinaire, une question explosive !

14,4 milliards d’euros…ce montant colossal correspondrait à la valeur des exportations annuelles d'animaux vivants, de denrées d'origine animale et de matériel génétique animal…un montant qui dépend du statut sanitaire de la France et de la fiabilité de ses réseaux sanitaires, expliquait le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) dans une note de synthèse d’août 2016 sur le maillage vétérinaire. Enjeu économique, mais aussi social, sanitaire….les raisons sont multiples pour que la question du maillage vétérinaire devienne préoccupante. Ainsi, face au risque de désertification vétérinaire dans les territoires ruraux, une feuille de route ministériel « Réseau de vétérinaires dans les territoires ruraux en production animale » avait été élaborée dès 2016. En parallèle, une évolution des modalités de fixation des tarifs des prophylaxies animales avait été initiée via l’arrêté du 27 juin 2017. Une évolution qui n’a pourtant pas permis d’éviter la fermeture du cabinet de Couiza, dans l’Aude (cf le témoignage ci-dessus). Ce qui rejoint d’ailleurs les conclusions d’un rapport de mission du CGAAER daté de juillet 2018. Il y était signalé « qu’au niveau départemental et malgré certains progrès, il n’y a eu aucune avancée dans l’objectivation des coûts, ni dans la rédaction de cahiers des charges explicitant les obligations réciproques des éleveurs et des vétérinaires. La campagne de prophylaxies 2017-2018 n’a généré qu'une seule demande d’arbitrage, même si certains tarifs paraissent particulièrement bas. La rédaction de 62 % des conventions tarifaires ne respecte pas la nomenclature de l’arrêté ministériel du 27 juin 2017. » Face à ce constat, le conseil a renouvelé sa recommandation : envisager des commissions bipartites nationales et non plus départementales.

Le cas de l’Aude sera-t-il moteur dans le dossier des tarifs de prophylaxies animales ? A voir. En tout cas, la sénatrice du département, Mme Gisèle Jourda, a officiellement interpellé le ministre de l’Agriculture à ce sujet le 11 juillet dernier. Relatant le cas de Couiza, et rappelant que « contrairement aux médecins et aux pharmaciens, l'astreinte des vétérinaires de campagne – pourtant peu rémunératrice – ne fait pas l'objet d'une compensation de l'État », il lui apparaît que « le volontarisme politique est seul à même de  rééquilibrer le modèle économique de ces services indispensables dans le monde rural. » Elle propose notamment « d'autoriser les agences régionales de santé à lancer des expérimentations concernant la rémunération par l'assurance maladie de l'astreinte et des gardes des médecins vétérinaires de campagne. » Quelle sera la réponse du ministre ?

Tanit Halfon
3 commentaires
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Christophe Georgens, Vétérinaire le 26-07-2019 à 11:18:25
C'est pas trop tôt! Signer des conventions collectives salariales et ne pas du tout en tenir compte pour fixer les tarifs de prophylaxie qui ne couvrent alors plus les frais. Je ne parle pas de la pseudo mission de service public concernant les animaux errants financée par les structures privées elles-mêmes avec des mairies qui sont surdouées pour appliquer la politique de l'autruche. Et que dire de la rurale financée par la canine pour laquelle l'Etat demande de tout abandonner en cas de crise sanitaire sans contrepartie financière…. si les structures vétérinaires abandonnent leur activité rurale les unes après les autres il ne faut pas se demander pourquoi …. et je n'ai même pas parlé du recrutement devenu impossible, des contraintes anormales des gardes, des impayés et de leur recouvrement pour le moins difficile, etc, etc.
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Christophe Georgens, Vétérinaire le 26-07-2019 à 11:18:25
C'est pas trop tôt! Signer des conventions collectives salariales et ne pas du tout en tenir compte pour fixer les tarifs de prophylaxie qui ne couvrent alors plus les frais. Je ne parle pas de la pseudo mission de service public concernant les animaux errants financée par les structures privées elles-mêmes avec des mairies qui sont surdouées pour appliquer la politique de l'autruche. Et que dire de la rurale financée par la canine pour laquelle l'Etat demande de tout abandonner en cas de crise sanitaire sans contrepartie financière…. si les structures vétérinaires abandonnent leur activité rurale les unes après les autres il ne faut pas se demander pourquoi …. et je n'ai même pas parlé du recrutement devenu impossible, des contraintes anormales des gardes, des impayés et de leur recouvrement pour le moins difficile, etc, etc.
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Asquaw le 09-08-2019 à 10:19:05
pas étonnant, mais toujours dommage pour les éleveurs déjà en difficulté ...
je n'en suis pas encore là, mais je ralentis sur la rurale et je pense l'arrêter à +/- moyen terme ... solo depuis 7ans 1/2 par manque de vétos, charge financière salariales beaucoup trop élevées pour la rurale et obligations/interdictions de la convention collective et du droit du travail incompatible entre un service rural et le salariat ... sans parler des gardes impossibles ! ... plus de 7 ans que l'on tire la sonnette d'alarme ... sans réactions ou presque à part les "on te comprend, on connait ta situation, tiens bon" ... oui, ça m'aide bien tiens ! mais si un client porte le pet quand je ne suis pas là car personne ne veut faire de tour de garde ... j'ai même 2 clients qui viennent de changer de véto sanitaire sous la pression des vétos voisins qui refusent de dépanner quand je suis absente( alors qu'ils sont toujours prévenus) et menacent les éleveurs déjà dans l'embarra ! merci la "confraternité" ... tiens ça commence par "con" ...
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