La mutation du gène MDR1 et ses risques médicaux chez le chien - Ma revue n° 1671 du 01/04/2016 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 1671 du 01/04/2016

MÉDECINE CANINE

Formation

Auteur(s) : Élodie Goffart

Fonctions : Docteur vétérinaire,
praticienne dans l’Essonne

Le colley, ainsi que d’autres races cousines sont prédisposés à une mutation génétique qui les rend intolérants à plusieurs médicaments, notamment à certaines familles d’antiparasitaires.

La mutation MDR1 est une anomalie génétique fréquente chez certaines races canines comme le colley. Elle mérite d’être connue pour prévenir le propriétaire des risques et favoriser le dépistage.

Une maladie des “museaux longs”

Sur le plan historique, depuis bien longtemps, les vétérinaires savaient que quelques familles de médicaments étaient mal tolérées chez certaines races de chiens. Dans les campagnes, à l’époque où l’ivermectine s’utilisait (“hors AMM”) comme antiparasitaire chez le chien, les praticiens avaient observé que les races dites “à museau long” présentaient une sensibilité de type toxicité aiguë et dramatique à ce type de molécules. Les colleys et les races apparentées (border collie, en particulier) montraient, peu de temps après l’injection, des symptômes neurologiques pour lesquels aucun traitement n’a été trouvé, et qui amenaient très rapidement, dans la majorité des cas, au décès de l’animal.

Pendant longtemps, cette sensibilité médicamenteuse spécifique est restée inexpliquée. Une particularité métabolique de ces races canines a été suspectée, mais jamais prouvée. Il a fallu attendre les années 1990 pour que l’origine génétique de l’intolérance soit démontrée.

Gène Multidrug resistance

Les gènes MDR, pour Multidrug resistance (multirésistance aux molécules), sont connus depuis des années. Ils codent pour des protéines reconnues comme responsables de résistance à certains traitements. Ils ont été isolés dans de nombreuses espèces, en particulier chez l’homme où ils sont responsables, dans certains cas, de l’inefficacité des chimiothérapies anticancéreuses. En effet, il a été démontré que ces gènes codent pour une protéine membranaire, la glycoprotéine P, qui modifie la perméabilité de la cellule à certaines molécules.

À partir des recherches effectuées chez l’homme et les rongeurs, il a été suspecté qu’une mutation d’un gène MDR pouvait être la cause des intolérances à certaines molécules chez le chien. Plusieurs études au cours de la décennie 1990-2000 ont confirmé la défaillance d’un gène, appelé MDR1, chez certaines races de chiens. La mutation de ce gène provoque une perte de plus de 90 % de la glycoprotéine P. Celle-ci ne réalise alors plus sa fonction de transporteur membranaire et entraîne une modification du métabolisme de certaines molécules avec l’apparition de signes de toxicité plus ou moins graves.

Toxicité par overdose

Chez les mammifères, la glycoprotéine P est présente à des degrés différents dans les tissus suivants : capillaires de la barrière hémato-encéphalique, cellules du tube digestif, cellules du placenta, cellules rénales et canalicules biliaires. Elle participe à la protection de l’organisme en permettant l’évacuation des médicaments des cellules, ainsi qu’en augmentant l’excrétion de substances au niveau rénal, biliaire et intestinal.

Lorsque la glycoprotéine P est absente ou non fonctionnelle, certaines molécules (par exemple l’ivermectine) ne sont plus évacuées du système nerveux central et s’accumulent jusqu’à provoquer des symptômes neurologiques, un coma, puis la mort.

De même, d’autres médicaments vont voir leur absorption intestinale accrue et leur élimination diminuer, provoquant un taux plasmatique trop élevé et une toxicité par accumulation.

Mutation simple ou double

D’un point de vue pathologique, la mutation du gène MDR1 entraîne la synthèse d’une glycoprotéine P tronquée et non fonctionnelle. Les chromosomes existant sous forme de paires homologues, chaque chien possède deux gènes MDR1. Son génome peut donc présenter :

• Deux gènes mutés : chien homozygote muté ou -/-. Il ne possède pas de glycoprotéine P.

• Un seul gène muté : chien hétérozygote ou -/+. La quantité de protéine produite n’est pas connue, peu d’études ayant été réalisées sur le sujet.

• Aucun gène muté : chien homozygote sain ou +/+. Il synthétise la glycoprotéine P normalement.

Prédisposition des chiens de berger

Il existe des prédispositions raciales à cette toxicité médicamenteuse liée au gène MDR1 (encadré). Chez le chien, des études laissent penser que tous les individus qui portent actuellement la mutation partageraient un ancêtre britannique commun. Les nombreux croisements réalisés à cette époque entre divers chiens de berger expliqueraient pourquoi la mutation est particulièrement fréquente chez les colleys et les races apparentées.

Ainsi, parmi les races considérées comme présentant une prédisposition se trouvent le berger allemand blanc (berger blanc suisse), le berger australien, le bobtail, le border collie, le colley, le shetland, le lévrier de soie (silken windhound), le wäller, le whippet à poils long, etc.

Clinique dominée par des troubles nerveux

Chez les chiens sensibles, l’intoxication aux molécules concernées par la mutation du gène MDR1 survient le plus souvent dans des circonstances accidentelles, soit par l’ingestion d’un médicament laissé à la portée du chien et non destiné à celui-ci, soit à la suite d’une automédication par les propriétaires. Il importe donc de prévenir ceux qui détiennent des chiens de races prédisposées de l’éventualité d’une intolérance médicamenteuse de leur animal, mais aussi de toujours demander la race du chien au client lors de la vente au comptoir des médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance (certains vermifuges comme la milbemycine, notamment).

L’intolérance au traitement se manifeste par des signes cliniques apparaissant le plus souvent dans les 48 heures qui suivent l’administration. Les principaux symptômes sont des troubles du système nerveux central, dominés par des troubles locomoteurs (ataxie, parésie ou paralysie), une dépression du système nerveux central (prostration voire coma) ou une stimulation neuromusculaire (tremblements). L’animal présente également des troubles oculaires (mydriase, cécité/amaurose) et digestifs, avec une hypersalivation, des vomissements, des régurgitations et de l’anorexie. Les troubles nerveux sont, de loin, les plus fréquents, suivis par les troubles digestifs.

Un traitement en trois étapes

Le traitement vise d’abord à freiner l’absorption de la molécule, en fonction du mode d’administration du médicament suspecté. Lors d’administration cutanée, si celle-ci est récente, l’équipe vétérinaire peut tenter une décontamination cutanée par lavage à l’eau tiède et au savon. Lors d’administration orale, il est possible de faire vomir l’animal (dans les 2 heures après ingestion) ou, suivant le temps écoulé depuis cette administration, de limiter l’absorption par divers moyens (ingestion de charbon, par exemple).

La deuxième étape du traitement consiste à soutenir les grandes fonctions (le système cardiorespiratoire, notamment) et à accélérer l’élimination du toxique incriminé. La mise en place d’une perfusion permet d’activer cette élimination par voie urinaire, mais également d’avoir à disposition une voie veineuse pour l’éventuelle administration d’un traitement. Elle sert, en outre, à corriger la déshydratation, les troubles électrolytiques et acido-basiques éventuels, et assure une volémie suffisante au bon fonctionnement cardiovasculaire, autorisant un apport sanguin correct aux différents organes. L’oxygénothérapie, voire la mise sous respirateur, permet aux chiens de dépasser le stade critique de l’intoxication.

Enfin, le vétérinaire instaure un traitement symptomatique, selon les signes présentés. Des convulsions sont souvent rapportées dans le cas d’intoxication aux avermectines. Le traitement fera donc appel à des anticonvulsivants (diazépam, puis barbituriques si celui-ci s’avère insuffisant, ou propofol). Lors de troubles digestifs, des pansements gastriques peuvent être administrés. Le maintien d’une température corporelle adéquate n’est également pas à négliger au cours de ces intoxications.

Le pronostic est variable selon la molécule en cause, la quantité administrée et le statut génétique du chien (homozygote ou hétérozygote). Cependant, il s’agit toujours d’une situation grave, avec un risque élevé de mortalité.

Comment dépister ?

Un test de dépistage facile et peu onéreux existe aujourd’hui. Il suffit de prélever quelques cellules dans la bouche du chien avec une brossette et d’envoyer l’écouvillon au laboratoire : l’analyse du gène MDR permet de déterminer si le chien est homozygote sain (sans risque), hétérozygote (mutation d’un seul gène), chez qui le risque est présent mais avec des symptômes généralement moins sévères, ou homozygote muté (si les deux gènes ont muté). Dans ce dernier cas, il est indispensable d’adapter l’arsenal thérapeutique (encadré) et de déconseiller absolument l’automédication aux propriétaires.

Le résultat définitif, valable toute la vie de l’animal, est obtenu en une dizaine de jours. La réalisation du test coûtera environ 80 à 90 € (prélèvement chez le vétérinaire et analyse au laboratoire). Il n’est pas nécessaire que l’animal soit à jeun pour pratiquer le prélèvement. En revanche, il convient d’éviter de le faire boire ou manger dans les 20 minutes qui le précèdent, afin d’éviter de souiller l’échantillon avec des résidus alimentaires.

PRÉVALENCE DE LA MUTATION MDR1 ET IMPACT SUR LA SÉLECTION GÉNÉTIQUE

De nombreuses études ont évalué la fréquence de la mutation génétique MDR1 chez les chiens de race colley et apparentés dans différents pays.

• En France, chez le colley, race historiquement concernée, près de 87 % des chiens sont porteurs de la mutation.

• Le berger australien compte 58 % de porteurs. Cependant, la mode récente de la race a rendu le problème plus important.

• Le berger blanc suisse (57 % de porteurs) et le shetland (30 %) sont également concernés. Ce sont des races de plus en plus fréquemment rencontrées dans les cliniques vétérinaires.

La plupart des élevages sensibilisent désormais les futurs propriétaires au risque lié à la mutation, en distribuant des documents informatifs ou en réalisant les tests de dépistage avant même la vente de l’animal. En outre, quand cela est possible, ils tentent de diminuer l’importance de l’anomalie en choisissant de ne faire reproduire que les chiens homozygotes normaux. Cette sélection génétique, encouragée par les clubs de race, prendra cependant du temps et il faut s’attendre à voir encore au quotidien des chiens homozygotes mutés ou de statut inconnu. La vigilance reste donc de mise pour le choix des traitements dans ces races.

LES MÉDICAMENTS CONTRE-INDIQUÉS

Chez un chien porteur de la mutation du gène MDR1, les médicaments à proscrire sont les lactones macro-cycliques (ivermectine, doramectine, moxidectine, milbémycine oxime, sélamectine), qui provoquent une toxicité neurologique très rapide évoluant vers un coma puis la mort. Le lopéramide (agent antidiarrhéique) entraîne des signes nerveux (ataxie, parésie, hypermétrie, apathie, coma), associés ou non à des signes cardiorespiratoires (bradycardie, polypnée) et digestifs (anorexie). L’émodepside (antiparasitaire interne) est suspecté de provoquer des cas de neurotoxicité modérée (tremblements, ataxie). Ces molécules sont strictement contre-indiquées chez les chiens homozygotes mutés.

D’autres molécules sont à administrer sous surveillance thérapeutique et/ou à dose réduite. Ainsi, l’acépromazine (agent tranquillisant), le butorphanol (agent analgésique) et certains anticancéreux (vincristine, vinblastine, doxorubicine) doivent être utilisés avec précaution, en diminuant les doses de 25 à 50 % et sous surveillance étroite. La digoxine et le diltiazem (traitements cardiaques) sont également à manier prudemment, en raison de la modification de leur métabolisme chez les chiens à gène muté.

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