Les intoxications de ruminants par les rodenticides anticoagulants sont rares - La Semaine Vétérinaire n° 1199 du 22/10/2005
La Semaine Vétérinaire n° 1199 du 22/10/2005

Toxicologie en élevage

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Jean-Pascal Guillet

Lorsqu’elles surviennent, elles touchent principalement des jeunes animaux, qui développent alors des signes d’hémorragie. La proportion de cas asymptomatiques est plus élevée chez les adultes.

Les rodenticides anticoagulants présentent un risque toxique avéré chez les espèces non-cibles, comme les carnivores domestiques. Les publications qui rapportent des cas d’intoxication de ruminants sont rares. Seul le coumafène, premier raticide anticoagulant commercialisé, a été testé chez le veau en 1955. L’administration de 200 mg/kg pendant douze jours a été nécessaire pour observer des symptômes hémorragiques. Les auteurs ont conclu à l’impossibilité de l’intoxication d’un bovin par un tel produit. En 1997, un cas d’intoxication probable à la bromadiolone chez un bovin a fait l’objet d’une publication(1).

Philippe Berny, professeur à l’école de Toulouse, et son équipe ont analysé les données recueillies par le Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) et le laboratoire de toxicologie de l’école de Lyon entre 1991 et 2000(2). L’objectif de l’étude était d’estimer l’importance de ce type d’intoxication, en nombre de cas et en gravité, et de dégager des hypothèses sur la sensibilité des ruminants aux dérivés ayant une action anti-vitamine K. En milieu rural, la lutte contre les rongeurs repose sur l’emploi de rodenticides anticoagulants. Ils sont classés en anticoagulants de première génération (coumafène, coumatétralyl, chlorophacinone et diphacinone), actifs après une consommation répétée, et de seconde génération (brodifacoum, bromadiolone, difénacoum, diféthialone et flocoumafène), actifs après une seule prise.

Plus de 4 000 appels concernent les chiens

Les résultats de l’étude montrent que les intoxications par les anticoagulants sont principalement observées chez le chien et le chat, aussi bien pour les appels reçus au CNITV qu’au niveau des résultats du laboratoire de l’école de Toulouse. De 1991 à 2000, le CNITV a reçu 89 454 appels. Dans 5 550 cas, il s’agit d’exposition probable ou certaine à un anticoagulant (voir ci-contre). 290 appels concernent les ruminants, soit 5,2 %. Ils se répartissent en 213 expositions certaines ou probables chez les bovins, 57 chez les caprins et 23 chez les ovins, dont 3 impliquant les deux dernières espèces. 4 053 appels concernent les chiens et 411 les chats.

Au laboratoire de toxicologie de l’école de Lyon, seulement quelques analyses ont confirmé des cas d’intoxication de ruminants domestiques par un anticoagulant pendant cette période (voir la colonne “autres” du graphique en page 44). En revanche, 25 cas ont concerné des chevreuils, soit 1,9 %. « Cela est certainement lié à l’existence d’un réseau de surveillance de la faune sauvage [réseau Sagir] à l’origine de la remontée régulière d’informations du terrain », estiment les auteurs. « Cela confirme la possibilité d’intoxication de ruminants par les anticoagulants », ajoutent-ils.

Les signes cliniques se rapprochent de ceux observés chez les carnivores

L’analyse des appels téléphoniques reçus au centre d’informations toxicologiques révèle que, chez les ruminants, la proportion de cas présentant des signes cliniques est significativement plus élevée chez les jeunes non sevrés que chez les adultes. Les appels concernant ces derniers sont plus nombreux, mais la proportion de cas asymptomatiques y est plus conséquente.

« Cette distinction d’âge est importante dans la mesure où il est souvent admis que les ruminants sont peu sensibles aux anticoagulants lorsque leur rumen est fonctionnel », soulignent les auteurs. Ils avancent une hypothèse pour expliquer cette faible sensibilité. Le rumen pourrait agir sur les anticoagulants soit par dilution, diminuant la biodisponibilité, soit par dégradation ruminale sous l’action des bactéries et des protozoaires, comme c’est le cas pour les mycotoxines, soit par l’apport conséquent de vitamine K.

Lors de l’appel au CNITV, les symptômes rapportés sont de nature hémorragique : jetage, méléna, diarrhée (voir tableau ci-dessous). Les modifications hématologiques sont fréquemment citées, par exemple une diminution de la numération globulaire ou une augmentation des temps de coagulation. Des troubles nerveux et comportementaux sont également notés (prostration, ataxie, anorexie). « Ils peuvent être rattachés à un éventuel affaiblissement consécutif aux pertes sanguines de l’animal », interprètent les scientifiques. Ce tableau clinique ne se distingue pas nettement de ce qui est observé chez les autres espèces.

Les bovins font l’objet d’une plus grande surveillance que les petits ruminants

Le nombre d’animaux concernés par un seul appel reçu au CNITV est plus élevé lorsqu’il s’agit de petits ruminants (33,4 en moyenne, au lieu de 6 pour les bovins). Néanmoins, la sévérité des cas semble plus importante chez les bovins. « Il peut s’agir d’un biais lié à la plus grande valeur économique des animaux et au suivi plus régulier mis en place par l’éleveur, alors que les petits ruminants, qui ont une faible valeur économique individuelle, ne font pas l’objet d’une surveillance permanente », avancent les auteurs de l’étude. C’est pourquoi certains symptômes sont détectés chez les bovins, alors que rien n’est observé chez les petits ruminants. La mortalité et la morbidité moyennes sont respectivement de 19 % et de 16 % chez les bovins. Elles s’élèvent à 3,3 % et 9,2 % chez les ovins et les caprins.

Les produits les plus vendus sont souvent impliqués dans les intoxications

Trois anticoagulants commercialisés en France dépassent 10 % des motifs d’appels au centre d’informations toxicologiques vétérinaires, toutes espèces confondues. Il s’agit de la chlorophacinone (21,5 %), du difénacoum (15,5 %) et de la bromadiolone (13,3 %).

Chez les ruminants, les produits le plus souvent incriminés sont la chlorophacinone (26,9 %), la bromadiolone (15,9 %) et le difénacoum (12,1 %). Il s’agit des plus vendus en France.

Une trentaine de cas d’intoxication de ruminants par des rodenticides anticoagulants ont été confirmés par le laboratoire de Lyon de 1991 à 2000. La bromadiolone est mise en cause dans 25 cas et le chlorophacinone dans 5. « La prépondérance de cas d’intoxication à la bromadiolone reflète l’usage en plein air de ce composé (dans le cadre de la lutte contre le ragondin, le rat musqué ou le campagnol terrestre) et l’importance des intoxications de ruminants sauvages », selon l’équipe de scientifiques.

Les valeurs moyennes et médianes de concentration hépatique de bromadiolone chez les ruminants intoxiqués sont comprises entre 1 et 1,5 µg/g. Pour la chlorophacinone, la teneur moyenne s’échelonne de 1 à 1,5 µg/g et la médiane de 0,5 à 1 µg/g. « Une valeur plus élevée est notée pour la bromodialone, alors que les appâts ont une concentration (50 mg/kg) souvent inférieure à celle utilisée avec la chlorophacinone (75 mg/kg). Cela va dans le sens d’une rémanence et d’une accumulation hépatique plus importantes de la bromadiolone », expliquent les auteurs. Ces valeurs sont comparables ou légèrement supérieures aux valeurs hépatiques mesurées chez les carnivores ou les rapaces. En conclusion, Philippe Berny et ses collaborateurs estiment que les données disponibles sont peu nombreuses et que des études complémentaires seraient nécessaires pour connaître la sensibilité réelle des ruminants aux rodenticides anticoagulants disponibles dans le commerce.

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 851 du 12/4/1997 en page 38.

  • (2) P. Berny et coll. : « Intoxication des ruminants par les raticides anticoagulants : quelle réalité ? », Revue de médecine vétérinaire, 2005, 156, pp. 449-454.

Le CNITV recense les intoxications

Le Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) fonctionne comme un centre antipoison.

Les appels téléphoniques, reçus de toute la France, sont traités par des vétérinaires ou des étudiants vétérinaires. Pour chaque appel, une fiche de renseignements est remplie. Elle indique le nom du demandeur, le ou les animaux impliqués, les produits suspectés, les signes et les lésions observés, ainsi que les recommandations de traitement.

Les suspicions d’intoxication à un produit sont classées en quatre catégories : « certaines », « probables », « possibles » ou « improbables ». La base de données contient actuellement plus de 100 000 cas validés.

Le laboratoire de toxicologie de l’école de Lyon reçoit des demandes d’analyses lors de suspicions d’intoxications d’animaux domestiques ou sauvages. Une intoxication est définie comme un cas pour lequel trois conditions sont réunies :

- une exposition possible de l’animal au produit ;

- des résidus d’anticoagulants détectés dans le foie ou le sérum ;

- l’animal présente des signes cliniques d’hypocoagulabilité ou des lésions hémorragiques avec absence de coagulation.

J.-P. G.
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