La prétendue « qualité de soins » élève-t-elle toujours la profession ?

Au détour d’un article de canine, je tombe sur une photo, une de plus, qui me stupéfait. Dans un bloc opératoire équipé des dernières technologies au service d’un monitoring infaillible, trois hommes de l’art, gantés, vêtus de casaques chirurgicales, de calots et de masques, l’ensemble à usage unique, sont penchés sur un patient qui paraît bien petit. De quoi s’agit-il ? D’une chirurgie cardiaque chez un enfant nouveau-né atteint d’une malformation congénitale ? Non, le patient est un teckel de trois ans qui souffre d’une dorsalgie chronique.

A six heures d’avion, en Afrique noire, une aide-soignante est accroupie dans une case et soigne la jambe d’Akossiwa, allongée sur le sol. Une plaie ? Non, la jambe est gangrenée, putréfiée jusqu’à mi-tibia. L’aide-soignante retire des lambeaux de peau, libérant des colonies d’asticots grouillants. Je lui recommande de porter des gants pour ce type d’intervention. Elle en sort un – le seul – de sa trousse de soins et l’enfile sur sa main gauche. Il est jauni et séché. Il a déjà servi et servira encore. Akossiwa agite inlassablement une poignée d’herbes sèches au-dessus de sa jambe pour éloigner les mouches. L’histoire de cette villageoise est banale, elle s’est simplement blessé un orteil d’un coup de houe. La plaie s’est infectée. Elle n’avait pas d’argent pour se procurer des antibiotiques. Les villageois n’en ont pas pour lui payer l’amputation de sa jambe. Akossiwa meurt quelques jours plus tard. De retour en France, je lis l’article⁽¹⁾ d’un confrère parisien qui se dit choqué de savoir que la moitié des praticiens vétérinaires opèrent sans gants stériles et avec des fils usagés, mais se réjouit que l’on commence enfin à parler de qualité de soins dans la profession.

Je fais part de ma réflexion à une jeune consœur qui m’explique qu’elle a appris à poser des cathéters avec des gants stériles. Notre confrère parisien peut donc être rassuré. Le cas d’Akossiwa est sensiblement différent : la soigner avec des gants stériles n’aurait rien changé pour elle puisque son sort était scellé au moment des soins. Mais celui de l’aide-soignante demeure incertain : soigner à mains nues des patients dont six sur dix sont séropositifs au VIH n’est pas sans risques.

Loin de moi toute intention de porter une attaque personnelle à l’encontre de mon confrère ou de tenter de caractériser la futilité de son art au service du bien-être de la gent canine. Je n’oserai pas plus mendier et trier les poubelles de déchets médicaux des 50 % de mes confrères qui, par leurs pratiques irréprochables, élèvent le niveau de qualité de soins de la profession, pour les envoyer à quelques dispensaires africains.

Notre aide-soignante africaine a lavé son gant. Il est déjà sec et soigneusement rangé dans la trousse de soin.

• (1) La Semaine Vétérinaire n° 1208 du 7/1/2006 en page 9.