EN PRATIQUE RURALE, LE RÉFÉRÉ EST ENCORE TABOU - La Semaine Vétérinaire n° 1230 du 17/06/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1230 du 17/06/2006

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Auteur(s) : Jean-Pascal Guillet

Structurer un réseau de compétences complémentaires et proposer une liste de ruraux référents. Tel est le vœu de certains confrères qui souhaitent dynamiser l’activité rurale, en répondant au plus près aux nouvelles attentes des éleveurs.

En effet, pour l’instant, les praticiens n’osent pas, ne désirent pas ou ne pensent pas référer des cas jugés difficiles, contrairement à ce qui se fait couramment en canine.

Confronté à un cas difficile, un praticien rural fait rarement appel à un confrère ou une consœur. Alors que le référé est depuis longtemps entré dans les mœurs en canine, il semble encore tabou dans le cadre d’une activité rurale. Pourtant, le contexte agricole y est favorable. La taille des élevages bovins a tendance à augmenter et les demandes des éleveurs deviennent de plus en plus pointues : exigences techniques et rentabilité sont les maîtres mots des exploitants qui résistent à la nouvelle politique agricole commune (PAC).

Les praticiens qui exercent seuls ou au sein de petites structures pourraient avoir du mal à répondre à l’ensemble des attentes de leurs clients, notamment en ce qui concerne le suivi de troupeau (gynécologie, qualité du lait, parasitisme, etc.). D’autant que l’adoption d’une approche zootechnique et alimentaire de l’élevage devient souvent incontournable. Or, dans ces domaines, les praticiens n’ont pas pignon sur rue. D’autres sont sur les rangs, tels que les techniciens d’élevage, les contrôleurs laitiers, les firmes d’aliments, etc.

Si le praticien n’apporte pas de réponse immédiate aux demandes de l’exploitant, celui-ci n’insistera pas et ira voir ailleurs. Ainsi, l’idée de faire appel à des vétérinaires “spécialisés” au sein d’un réseau de compétences a été avancée par plusieurs confrères, ainsi que des représentants de la profession(1).

Les praticiens ruraux boudent les structures vétérinaires de référé

« Pour l’instant, aucune tentative de mise en place d’un système de référents ruraux n’a réellement fonctionné, regrette Jean-Louis Cosson, praticien à Rouen (Seine-Maritime), président du Groupement technique vétérinaire (GTV) haut normand. Pourtant, le contexte y est favorable. La demande technique des éleveurs s’accentue. S’ils ignorent qu’un praticien peut leur apporter une réponse, ils iront voir ailleurs. A terme, si les confrères et les consœurs lâchent prise, le risque est que la relation entre éleveur et vétérinaire se distende. »

Michel Vagneur, consultant en nutrition animale, reconnaît faire peu de référés auprès de praticiens. « Je travaille essentiellement pour des firmes d’alimentation animale, mais je réponds aussi aux demandes des confrères. Auprès de ces derniers, j’interviens surtout en tant que formateur, car je pense que des critères simples, acquis en formation pratique, peuvent être particulièrement efficaces sur le terrain. Je fais donc peu de référés auprès des confrères et des consœurs ruraux, mais je ne les refuse pas ! »

Certaines structures, créées en vue de proposer des référés, ont finalement dû se tourner vers d’autres activités, faute de demandes. C’est le cas notamment de VT Consultant, un Groupement d’intérêt économique (GIE) fondé il y a une vingtaine d’années. « Il s’agissait alors de constituer un groupe de vétérinaires dynamiques capables de gérer des cas difficiles en élevage. Aujourd’hui, il rassemble trente et un praticiens, principalement mayennais. L’activité du GIE se résume en fait à la mise en place d’essais cliniques, ainsi qu’à la réalisation de séances de formation d’éleveurs à la demande de la Chambre d’agriculture. L’activité de référé n’a pas fonctionné. Nous ne réalisons que cinq ou six visites par an dans ce cadre, dans des élevages bovins, notamment des contrôles dynamiques de traite. Ce sont majoritairement les confrères seuls qui nous appellent », témoigne Gilbert Laumonnier, praticien à Ernée (Mayenne), administrateur de la structure.

Le frein financier des éleveurs pourrait sauter et les visites de référé se développer

« Dans les grosses structures vétérinaires, les associés se réfèrent les cas entre eux, selon notre confrère. Par ailleurs, les exploitants ne sont pas encore prêts à payer le prix du référé. Mais cela pourrait changer avec l’augmentation de la taille des élevages. » Lors d’un référé chirurgical, l’animal peut éventuellement être déplacé. Joël Bedouet, praticien à Evron (Mayenne), constate que de plus en plus de bovins d’autres clientèles lui sont amenés au cabinet en vue d’interventions de chirurgie osseuse. Pour les visites d’élevages, le problème est différent, puisque le vétérinaire référent doit se déplacer, ce qui ajoute au coût de l’intervention.

« Les éleveurs n’étaient jusque-là pas prêts à investir dans le conseil. Cependant, la taille des troupeaux a tendance à augmenter. En conséquence, les répercussions économiques d’un problème de qualité du lait, de dégradation de la fécondité ou de sous-production, par exemple, sont plus importantes. Le frein financier des éleveurs devrait ainsi sauter et les suivis de troupeaux se développer. Ils auront de plus en plus un esprit d’entrepreneurs, estime-t-il. Mais, dans tous les cas, il revient au vétérinaire d’initier la démarche. Il ne doit pas attendre la demande mais, au contraire, la précéder. »

« Ce que l’éleveur souhaite, c’est avant tout que son problème soit résolu ! »

Même lorsque les éleveurs sont prêts à payer la visite d’un référent, les praticiens n’osent pas, ne pensent pas ou ne souhaitent pas faire appel à un confrère. « En référant, les confrères ont sans doute peur de passer pour des incompétents aux yeux de leurs clients. Ce qui est une grosse erreur. En outre, dans le domaine de l’alimentation et du logement, les éleveurs sont déjà en relation avec de nombreux autres intervenants, ce qui ne facilite pas les choses. Le vétérinaire n’est pas forcément au premier rang, comme c’est le cas pour les maladies infectieuses par exemple. Pourtant, il peut se démarquer par ses atouts : son indépendance, sa capacité de synthèse et sa polyvalence. Mais il faudra rester vigilant par rapport à des approches trop commerciales qui peuvent pénaliser son image », selon Michel Vagneur. Un frein psychologique existe, estime également Joël Bedouet. Les praticiens ont peur de reconnaître la limite de certaines compétences et pensent que référer les dévalorise. « Or ce n’est absolument pas le cas, au contraire ! Ce que l’éleveur souhaite, c’est avant tout que son problème soit résolu et pas forcément que ce soit son vétérinaire traitant qui le fasse. »

En acceptant qu’un confrère ou qu’une consœur mette les bottes dans un de leurs élevages, outre la peur de la concurrence, les praticiens peuvent également craindre d’être confrontés à des méthodes de travail différentes et d’être ainsi déstabilisés vis-à-vis de leur client. « Ils redoutent peut-être que le référent applique dans l’élevage une approche différente de la leur, qui les décrédibiliserait et remettrait en cause leur façon de travailler. Les vétérinaires ont parfois des “philosophies” bien différentes selon les clientèles. Les praticiens ne se rendent pas compte que référer leur apporte quelque chose, que c’est bénéfique », selon Jean-Louis Cosson.

Des praticiens s’organisent afin de développer un réseau de compétences

C’est pourquoi, lorsque les praticiens prennent la décision de référer, ils font appel à quelqu’un de confiance, dont ils ont déjà entendu parler, la plupart du temps grâce au bouche à oreille. Solliciter des firmes de services ou les écoles vétérinaires est une autre possibilité. « Nous sommes régulièrement contactés par des vétérinaires ou directement par des éleveurs », explique ainsi Marie-Anne Arcangioli, maître de conférences en pathologie des animaux de production, à l’école vétérinaire de Lyon (voir page 37). Cela peut aboutir à des visites d’élevage, une petite dizaine par an, qui sont réalisées avec un groupe de sept ou huit étudiants. Cela se fait, bien entendu, en concertation avec le vétérinaire traitant qui est informé des conclusions de la visite. La démarche doit être bien structurée, comme le souligne Michel Vagneur : « Quand un praticien me sollicite en tant que référent, la méthode appliquée est toujours la même. Je clarifie d’abord les choses : qui fait quoi, etc. J’évalue également la gravité du cas. En effet, aucune solution miraculeuse ne peut être apportée à certains cas “désespérés”. Je peux être amené à demander à ce que des analyses ou des corrections alimentaires partielles soient réalisées avant ma visite. Je passe généralement une demi-journée dans l’élevage. S’ensuit un compte rendu écrit que je commente oralement au vétérinaire traitant et à l’éleveur. Une des clés de la réussite est que tout le monde soit convaincu de l’intérêt de cette démarche. En effet, le conseil ne sera adopté que si l’éleveur est motivé. Par ailleurs, un suivi réalisé par le vétérinaire traitant est indispensable. »

Les commissions techniques de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) représentent d’autres “viviers” de praticiens pouvant être sollicités en tant que référents. Pour faciliter cette démarche et encourager les praticiens à travailler en réseau, des GTV régionaux s’organisent, comme celui de Haute-Normandie, afin de mettre en place un réseau de compétences complémentaires et ainsi dynamiser l’activité rurale (voir l’article ci-contre). En effet, « l’idée de l’omnipotence du praticien qui doit être capable de tout faire est en train de disparaître, estime Marie-Anne Arcangioli. Pour l’instant, les confrères ruraux n’ont pas le réflexe d’appeler d’autres praticiens ». Mais cela pourrait bientôt changer.

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1183 du 21/5/2005 en pages 1 et 60 ; n° 1188 du 25/6/2005 en pages 6-8 ; n° 1212 du 4/2/2006 en page 26. Voir aussi : M.-A. Arcangioli et R. Rupert : « Comment résoudre un problème d’élevage par une visite ? Comment l’intégrer et la développer dans sa clientèle ? Gérer l’échec, savoir référer », Journées nationales des GTV, Dijon 2006.

Pourquoi référer ?

Référer peut faire suite à :

- un stress de ne pas savoir répondre à la demande ;

- un manque de temps, surtout dans les petites structures ;

- un manque de rentabilité estimée ;

- un besoin d’intervention d’un tiers, directement ou à la suite d’un échec, notamment lors de cas litigieux, dans lesquels éleveur et praticien ne font plus attention à la demande de l’autre.

Source : congrès GTV 2006 (intervention de M.-A. Arcangioli et R. Rupert).

J.-P. G
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