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Auteur(s) : Marine Neveux
Depuis l’été, plusieurs réunions ont abordé le sujet des chiens dits “dangereux”. L’occasion d’évoquer notamment les propositions émises par le ministère de l’Intérieur avant la “pause estivale”, consécutives à plusieurs cas dramatiques de morsures. Une réflexion s’est ainsi engagée au niveau de la profession, des différents intervenants ayant un lien avec l’animal de compagnie, mais aussi des ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture.
Nous allons dans le sens de l’évaluation individuelle des chiens. Il faut parvenir à sortir des catégories de race, estime Claude Beata, président de Zoopsy et vétérinaire comportementaliste. Nous avons travaillé sur la notion de risques et de crises avec ceux qui les gèrent et nous souhaitons éviter les mesures extrêmes. Nous devons en effet sortir de la catégorisation des animaux, car il n’existe pas des races dangereuses et d’autres qui ne le sont pas. » Plusieurs confrères ont abouti au même constat au cours de leur exercice. « Nous nous sommes aperçus que la catégorisation des chiens selon le type morphologique est inefficace et ne présage pas de la dangerosité d’un animal », surenchérit Claude Laugier, du bureau du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL).
Plusieurs intervenants soulignent par ailleurs les différents volets du problème lié aux chiens dangereux. Le premier est public, « avec une absence quasi totale de politique cohérente sur la place de l’animal de compagnie dans la société. Les dispositions prises à son égard font actuellement plus figure de “rustines” que de véritables mesures d’intégration du vivant aux côtés de l’homme, avec les bénéfices, mais aussi les contraintes et exigences qui y sont associés », remarque Claude Beata. L’autre volet concerne les accidents, parfois mortels, provoqués par des morsures de chiens, qui relèvent majoritairement du domaine privé, dont le cadre légal est différent du premier. Dans le domaine public, que penser de la limitation du champ d’action du maire et quels moyens proposer ou renforcer ? Dans la sphère privée, qu’en est-il de la responsabilité du propriétaire ?
Jean-Michel Michaux, président de l’Institut scientifique et technique de l’animal en ville (Istav) et enseignant à l’école d’Alfort, prône « la responsabilité individuelle et non collective ». « Lors des dernières réunions, j’ai apprécié la méthode utilisée et l’écoute dont a fait preuve le ministre de l’Agriculture, qui a permis de réaliser un véritable brain-storming d’où émergent des idées constructives », poursuit-il.
Il est en effet nécessaire d’aller au-delà de la loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux. Cette dernière a pourtant montré son efficacité : « Le sujet n’est plus d’une actualité brûlante au niveau des collectivités locales. Les élus témoignent d’une présence moins importante des chiens concernés, ainsi que d’une diminution des incidents et de l’utilisation de ces animaux à des fins douteuses », témoigne Jean-Luc Vuillemenot, secrétaire général de l’Association française d’information et de recherche sur l’animal de compagnie (Afirac). Mais la loi a aussi montré ses limites, notamment la difficulté de sa mise en application. « Nous rencontrons aujourd’hui sur le territoire des chiens qui ne devraient pas être présents », remarque ainsi Jean-Luc Vuillemenot. Il a toutefois « le sentiment que le niveau de sensibilisation des acteurs s’est accru. Chacun constate qu’il serait judicieux de prendre en considération cette responsabilisation pour l’accroître et la renforcer ».
« La visite sanitaire pour les chiens mordeurs mériterait d’être mieux appliquée, mieux valorisée, et devrait comporter un volet comportemental. Nous l’envisageons dans le contexte du mandat sanitaire, explique Rémi Gellé, président du SNVEL. Les vétérinaires sanitaires pourraient y être formés, comme ils le sont déjà dans le cadre de diverses maladies. »
« Le contexte du mandat sanitaire est en effet adapté, car il témoigne d’une responsabilité et d’un engagement fort de l’Etat en matière de sécurité publique, ajoute Claude Laugier. Le vétérinaire est par ailleurs familier de ce type de mission. Les morsures canines constituent un sujet grave. Il n’est pas possible de confier l’évaluation de la dangerosité d’un chien à un amateur, alors que cette évaluation s’inscrit dans un registre sanitaire et de sécurité publique. » Notre confrère estime ainsi qu’il convient de faire appel aux vrais professionnels et spécialistes de la santé animale que sont les vétérinaires. « L’expertise du vétérinaire, dans ce domaine, est fondamentale et reconnue par chacun, surtout si elle est encadrée par le mandat sanitaire. C’est une mission de service public. Par cette voie, l’Etat peut assurer ses missions régaliennes. » En outre, le maillage réalisé par les vétérinaires sanitaires permet de couvrir l’ensemble de l’Hexagone.
« Nous proposons d’associer à la visite des chiens mordeurs une consultation comportementale dont la périodicité pourrait varier selon les individus. Tous les praticiens pourraient y contribuer, car l’effectif des seuls vétérinaires comportementalistes ne suffirait pas à assurer la couverture de l’ensemble du territoire. En outre, chaque confrère dispose d’une base de connaissances qu’il peut compléter dans ce cadre », estime Claude Beata. Il serait ainsi envisageable d’évaluer tous les chiens qui posent un problème et, tant que le système des catégories 1 et 2 demeure, d’apprécier les individus qui en font partie, ce qui leur permettrait éventuellement de s’affranchir du port de la muselière, etc. En outre, il pourrait exister une évaluation sur la base du volontariat. « Ces évaluations mèneront sans doute à prendre conscience que beaucoup de chiens ne sont pas dangereux, mais ont besoin d’une éducation. »
« Je soutiens une telle appréciation comportementale qui inclurait un examen médical pour évaluer le chien dans sa globalité, ce qui ne peut être effectué que par un vétérinaire », ajoute Christian Diaz, président de l’Association francophone des vétérinaires experts (AFVE) et vétérinaire comportementaliste.
Une évaluation comportementale modifierait-elle la responsabilité des confrères ? « En réalisant un tel acte, les vétérinaires n’auraient pas pour autant un rôle de police et cette démarche ne constituerait pas un transfert de garde juridique. Les praticiens resteraient soumis au devoir d’information qui s’applique aujourd’hui », explique Christian Diaz. En outre, « il convient de garder à l’esprit que, lors d’une visite comportementale, les chiens sont évalués dans les conditions de la clinique, et non au domicile du propriétaire, par exemple. Ce point est à préciser sur un certificat ».
« Jusqu’à présent, le vétérinaire a donc pour mission d’informer le propriétaire et, éventuellement, les autorités, dans le respect du secret professionnel, que le chien présente ou non un danger. Il revient au maître et, le cas échéant, aux autorités, de prendre des mesures adéquates », poursuit Christian Diaz.
Pour sa part, « le maire a la possibilité et la responsabilité de faire appel à un vétérinaire pour la réalisation d’une visite comportementale, dans le but de juger de la dangerosité d’un chien », souligne notre confrère Jean-Michel Michaux. En effet, l’article 211-11 du Code rural donne au maire tous les pouvoirs pour imposer un certain nombre de mesures en présence d’un chien dangereux.
« La visite pubertaire du chien (comme celle à l’achat) serait aussi primordiale, afin de rappeler aux propriétaires un certain nombre de données, de réévaluer les chiens qui ont des difficultés à se détacher de leur mère, etc. », estime Claude Beata. « Une telle visite est intéressante, mais doit rester dans le domaine de l’incitation », juge pour sa part Jean-Michel Michaux.
« L’identification constitue aussi un point essentiel. Elle doit être un outil pour responsabiliser les propriétaires », insiste Rémi Gellé. Elle est d’autant plus importante « que le développement du commerce et des ventes de chiens via l’Internet ou encore les petites annonces contribue à créer une “nébuleuse” », remarque Jean-Luc Vuillemenot.
En effet, le débat sur les chiens dangereux souligne de nouveau l’inutilité d’établir une réglementation si elle n’est pas appliquée. « Il est essentiel de recueillir la motivation des services de l’Etat, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les directions des services vétérinaires et les douanes, pour lutter contre les trafics », insiste Jean-Michel Michaux.
Selon Claude Laugier, « nous disposons d’un arsenal législatif déjà assez complet. L’une des premières étapes est d’abord une application plus rigoureuse des textes qui existent. Par exemple, un contrôle plus strict de l’identification est indispensable ». Notre confrère, qui estime également que la visite pubertaire mérite d’être encouragée, juge que « celle d’achat est aussi une pierre angulaire du dispositif d’ores et déjà en place. Il serait intéressant d’y inclure le conseil en éducation et en comportement. Ces mesures ne seraient pas forcément inscrites dans les textes, mais envisageables dans le cadre des bonnes pratiques commerciales ». « Il faut aussi donner aux autorités les moyens d’appliquer une volonté politique », ajoute Jean-Luc Vuillemenot.
« Nous préconisons en outre la création d’un observatoire des morsures canines, car il n’existe actuellement en France aucune étude statistique exhaustive sur laquelle s’appuyer pour avoir un panorama complet de celles-ci. Nous pourrions, par exemple, envisager l’utilisation dans ce cadre du système Sigal. L’observatoire pourrait alors être contrôlé par l’Etat », explique Claude Laugier.
Lors de la mise en place de la loi du 6 janvier 1999, l’administration s’était engagée à réaliser un état des lieux et à fournir des chiffres afin qu’un bilan puisse être dressé. Or aucune donnée n’a été communiquée. Ainsi, le phénomène des chiens dangereux est mal connu et mal identifié : ni le ministère de la Santé, ni celui de l’Intérieur, ni les assurances, ni les vétérinaires ne sont capables de faire une photographie à une date précise.
« Si nous entendons faire changer la situation, il faut d’abord que nous la connaissions, que nous puissions définir quel chien mord, dans quelles circonstances, etc., souligne Claude Beata. Il conviendrait de travailler sur la nomenclature médicale pour qu’il y ait un seul code identifiant les morsures canines. Actuellement, en effet, elles peuvent être classées sous des dénominations variées dans le système médical (infectiologie, accident domestique, etc.), ce qui complexifie leur recensement. »
Toutes ces pistes seront étudiées par les différents acteurs en lien avec l’animal de compagnie lors de leur prochaine réunion, organisée d’ici à quelques jours.
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