Les interactions bénéfiques entre deux espèces de poissons passent par l’observation mutuelle

Si de nombreuses espèces animales, à l’instar de l’homme, se rendent des services réciproques, il peut arriver qu’un comportement altruiste ne soit pas immédiatement payé en retour, tout en étant utile à son auteur. En effet, les bénéficiaires d’un tel comportement pourront être incités à aider l’altruiste ultérieurement. Ils auront repéré son attitude coopérative et pourront, à leur tour, leur offrir un gain en engageant une relation avec lui.

Cette interaction a été mise en lumière avec le couple de poissons happeur à deux lignes (Scolopsis bilineatus) et labre nettoyeur (Labroides dimidiatus)⁽¹⁾. Le labre débarrasse le happeur de ses ectoparasites. Toutefois, il fait preuve d’une préférence pour le mucus de son hôte, mais celui-ci s’y montre évidemment réfractaire. Comment le happeur fait-il pour empêcher le nettoyeur de lui retirer son mucus ? Il choisit des nettoyeurs coopératifs. Il observe leur manège avec d’autres happeurs. S’il constate que le nettoyage s’est déroulé sans réactions négatives de l’hôte, c’est bien qu’il s’est porté sur les ectoparasites, et non sur le mucus.

Il reste à savoir pourquoi. Les auteurs de l’étude ont disposé, dans un aquarium, deux récipients, contenant chacun des petites crevettes et des miettes de nourriture, actionnés par des poulies (de haut en bas). Les labres, naturellement, ont une attirance plus forte pour les crevettes (matérialisant le mucus) que pour les miettes de nourriture (symbolisant les ectoparasites). Mais s’ils commencent par manger les crevettes, le récipient concerné leur est enlevé (avec les miettes qui s’y trouvent) ainsi que l’autre récipient resté intact. Ils perdent ainsi à la fois les crevettes restantes et toutes les miettes de nourriture. Ils sont incités, de cette façon, à choisir les miettes. De même, en conditions naturelles, s’ils se portent sur le mucus, ils s’attirent les réactions hostiles des happeurs (tout comme les récipients remontés qui manifestent une certaine forme d’hostilité).

Un comportement qui est le fruit de l’expérience

Selon les auteurs, ce comportement des nettoyeurs fait appel à des processus cognitifs assez simples, non fondés sur la mémoire, mais sur l’observation directe : les labres ont plus de deux mille interactions avec leurs “clients” chaque jour, percevant ainsi les réactions à leur comportement.

• (1) R. Bshary et A. Grutter : « Image scoring and cooperation in a cleaner fish mutualism », Nature, 22/6/2006.