La “chance” des prescripteurs danois est expliquée aux praticiens français

Je suis un peu jaloux des conditions de prescription qui sont offertes aux vétérinaires danois », a témoigné notre confrère Jean-Marie Nicol au colloque « Tour du monde laitier », organisé près de Rennes le 12 septembre dernier par Schering-Plough, en marge du salon international de l’élevage (Space).

Chaque année, cette société réunit un “noyau dur” d’intervenants français de la filière laitière qui, à la suite d’un voyage à l’étranger, en réalise un compte rendu, en intégrant des éléments de comparaison avec le modèle français. Après le Québec et l’Irlande, c’est cette année le Danemark et le thème « Produire du lait en utilisant correctement les antibiotiques » qui ont été retenus.

A chaque mammite, une (ou deux) visite(s) et un prélèvement sont effectués

Au Danemark, les risques de résidus et la montée des phénomènes d’antibiorésistance ne sont pas pris à la légère.

Toute mammite a droit à une visite du vétérinaire pour un coût total de 65 € par vache et par an, hors déplacement, médicaments et urgences, sans aucune automédication de la part de l’exploitant. Dans le “contrat éleveur”, le praticien revient impérativement au sixième jour si la vache n’est pas guérie. Sans contrat, il se déplace pour réaliser toutes les administrations de médicaments. De nombreuses substances qui, en France, sont administrées par l’éleveur chez ses propres animaux, sont strictement administrées par un vétérinaire au Danemark. C’est le cas de la plupart des injectables par voies intraveineuse et intra-utérine, mais aussi du sélénium, des corticoïdes, des anti-inflammatoires non stéroïdiens, des bêta-agonistes, de la progestérone, des prostaglandines, des anesthésiques, des fluoroquinolones, etc.

Ordonnance systématique, étiquetage individuel des médicaments délivrés, gestion stricte des non-utilisés : le modèle danois possède quelque chose d’éblouissant aux yeux du prescripteur vétérinaire français. Un peu trop ? Des schémas sur le choix de l’antibiotique à employer en première intention, en seconde, etc., lors d’une mammite ont été élaborés. Ils encadrent strictement la prescription, restreignant la liberté du prescripteur et rendant le travail de prescription peut-être un peu routinier… Un prélèvement en vue d’une analyse bactériologique est systématiquement effectué au tarissement et lors de mammite clinique, augmentant encore le coût pour l’éleveur (65 € hors contrat, incluant déplacement, honoraires et médicaments en élevage conventionnel). Les prescriptions sont enregistrées dans des logiciels “centralisateurs” (Vetmap, Vetstat) qui permettent de dégager des informations sur le risque inhibiteur, l’antibiorésistance, etc. L’activité du praticien est alors rythmée par les rapports à rédiger et les comptes rendus à lire.

La filière laitière danoise s’offre la garantie-vétérinaire

Un seul groupe laitier achète presque tout le lait du pays : Arla foods, le leader européen devant le français Lactalis, d’où un poids de l’aval sur les éleveurs non négligeable. Le modèle danois de prescription est une vitrine économique, un “plus qualité” pour des produits laitiers majoritairement exportés. Etats-Unis, Japon, la filière lait danoise a su conquérir des marchés réputés difficiles en misant sur la qualité, surtout sanitaire, des produits. Les vétérinaires y sont une assurance pour un produit sensible aux crises d’image. Elle est donc bien loin l’idée du vétérinaire “vendeur de médicaments”. Historiquement, les vétérinaires ne délivraient pas les médicaments dans ce pays, mais cela a changé depuis 1990, par souci de simplification semble-t-il (peut-être l’éleveur ne doit-il plus “courir à la pharmacie” ?). Le prix du médicament reste administré par l’Etat et la marge dégagée est de l’ordre de 5 %.

La filière laitière danoise n’est pas à un changement près. Son nombre de producteurs est en chute vertigineuse : en dix ans, 45 % d’exploitations laitières en moins et 20 % de vaches laitières en moins, mais des volumes produits en considérable hausse.

L’endettement de ceux qui restent atteint des montants astronomiques. Le rendement laitier annuel moyen est presque de 8 000 kg de lait par vache, contre 6 000 environ en France. La productivité du travail agricole est championne du monde : 137 000 l de lait par unité de travail agricole (UTA).

Les outils dont se sont dotés les producteurs danois servent la compétitivité économique de leur filière, mais pas, semble-t-il, leur qualité de vie. L’éleveur laitier « passe son temps dans les vaches », comme ailleurs, et peut-être davantage encore, car la majorité des travaux de culture, etc., sont sous-traités.

Dans l’empire du lait danois, le vétérinaire est donc un bijou de la couronne, et l’éleveur, simple régisseur, assure le lustre sanitaire du palais à grands frais.