Les protozoaires du rumen sont impliqués dans le transfert de l’antibiorésistance

Si le transfert de la résistance aux antibiotiques entre les espèces bactériennes dans le rumen est connu depuis vingt-cinq ans, la démonstration de l’implication des protozoaires du rumen dans le transfert de gènes bactériens conférant une antibiorésistance est, quant à elle, récente.

Une équipe de chercheurs américains du Centre national de pathologie animale du service de recherche de l’agriculture (USDA-ARS) a d’une part étudié le rôle des protozoaires du rumen (RPz), et d’autre part identifié et caractérisé le transfert de la résistance à la ceftriaxone depuis un isolat de Klebsiella résistant à cette molécule (K. pneumoniae TCR2003) vers Salmonella, quant à elle sensible (Salmonella enterica sérotype Typhimurium SL1344). En effet, K. pneumoniae TCR2003 possède un plasmide porteur d’un gène codant pour la production d’une bêtalactamase, laquelle confère la résistance à la ceftriaxone de cette bactérie.

Pas de transfert du plasmide lors d’inhibition ou de non-ingestion par les protozoaires

Des co-incubations de ces deux populations bactériennes ont été conduites en présence de RPz, in vitro mais aussi in vivo (chez des veaux, des chèvres et des moutons).

In vitro, après une nuit d’incubation à 37° C, des donneurs TCR2003 résistants à la ceftriaxone, des receveurs SL1344 sensibles à la ceftriaxone et des RPz bovins contenant des SL1344 résistants à la ceftriaxone sont isolés (^{voir photo}). Les mêmes résultats sont observés avec les RPz caprins. Lors de co-incubation de ces bactéries avec des RPz dont l’ingestion a été inhibée, aucun isolat de SL1344 résistant à la ceftriaxone n’est trouvé, confirmant ainsi le rôle direct joué par les protozoaires.

Des veaux de race prim’holstein ou jersiaise, dont le poids est compris entre 30 et 50 kg, ainsi que des chèvres et des moutons d’environ 80 kg, reçoivent par voie orale un challenge contenant les souches de TCR2003 et ST1344. Les animaux sont euthanasiés vingt-quatre à trente-six heures après l’administration orale. L’identification bactérienne est réalisée à partir du liquide abomasal. Pour les trois catégories d’animaux, SL1344 résistant à la ceftriaxone est isolé à partir du liquide abomasal. En revanche, aucune salmonelle SL1344 résistante à la ceftriaxone n’est isolée chez les veaux et les moutons dont le rumen a été préalablement défauné.

Les analyses PCR (polymerase chain reaction) mettent en évidence 100 % d’identité entre les plasmides de Klebsiella TCR 2003 et de Salmonella SL1344 résistantes à la ceftriaxone.

La conjugaison est la voie de transfert du gène de résistance

Des études ultérieures conduites in vivo (bovin) montrent que le transfert de gènes à Salmonella SL1344 peut également exister avec d’autres donneurs que Klebsiella TCR2003 et pour d’autres plasmides. Par ailleurs, l’échange de gènes dans le rumen apparaît directement relié à la sensibilité des bactéries à la digestion par les RPz. Si Salmonella survit à l’intérieur des RPz, il semble que Klebsiella en est incapable.

Pour les scientifiques, le phénomène décrit est probablement le résultat de la combinaison du stress induit par les protozoaires du rumen et du rassemblement des bactéries à l’intérieur de ces protozoaires. Le seuil atteint par la concentration des bactéries qui se trouvent dans ces derniers favoriserait le transfert de plasmides. Bien que des modalités similaires soient observées chez les macrophages, il est improbable qu’un tel seuil bactérien soit atteint.

Selon les chercheurs, la conjugaison est la voie de transfert de gènes entre TCR2003 et SL1344 pour quatre raisons. D’abord, aucune transformation⁽¹⁾ naturelle n’est rapportée chez Salmonella. Ensuite, le plasmide responsable de la résistance à la ceftriaxone est conjugatif. En outre, la conjugaison intra-protozoaire est déjà démontrée dans le cas d’autres bactéries. Enfin, l’acide nalidixique, inhibiteur de la conjugaison, empêche le transfert du plasmide de résistance à la ceftriaxone au sein d’une population de Salmonella enterica sérotype Typhimurium résistantes à l’acide nalidixique (expérience réalisée in vitro).

D’autres voies de transfert du matériel génétique n’ont pas été étudiées, comme la transduction par des bactériophages et la conjugaison simple sans médiateur.

Les futurs travaux de recherche porteront sur l’intérêt d’une défaunation durable du rumen pour tenter de réduire la propagation de la résistance aux antibiotiques des bactéries. Néanmoins, les chercheurs observent que la conjugaison peut se produire à un autre endroit si des protozoaires y sont présents, par exemple dans le cæcum.

• (1) La transformation est le procédé par lequel des segments d’ADN libres passent dans des cellules bactériennes dites compétentes. Cet ADN s’insère dans le chromosome de la cellule réceptrice pour être exprimé.

• Source : Z.P. McCuddin et coll : « Klebsiella to Salmonella gene transfer within rumen protozoa : implications for antibiotic resistance and rumen defaunation », Vet. Microbiology, 2006, n° 114, pp. 275-284.