L’évolution de l’anolis brun peut se traduire par un raccourcissement des membres

Le lézard anolis brun (Anolis sagrei) représente un bel exemple d’évolution accélérée. Présent aux Bahamas, il est habituellement terrestre et peu arboricole. Soumis à la menace d’un prédateur, le lézard à queue bouclée de Cuba (Leiocephalus carinatus), il modifie au cours du temps la longueur de ses membres pour lui échapper⁽¹⁾. Les chercheurs ont introduit ce prédateur sur six îles où vit l’anolis brun. Six autres îles, sans prédateur, ont servi de contrôle. Les changements observés se décomposent en deux périodes. Dans les six premiers mois, les anolis pourvus de longs membres ont le mieux survécu. Mais au cours des six mois suivants, la tendance s’est inversée : les anolis pourvus de membres plus courts ont résisté au prédateur. En effet, ils ont pu se réfugier dans les arbres, où le lézard à queue bouclée ne s’aventure pas. L’anolis est devenu nettement plus arboricole : à l’issue d’une année d’expérimentation (soit une génération pour cette espèce), 90 % des individus grimpaient aux arbres, contre 60 % dans les îles qui servaient au contrôle.

L’anolis devrait garder des membres courts si son prédateur est toujours présent

La réduction de la taille des membres s’explique par la nécessité, pour les anolis menacés de prédation, d’utiliser des branches plus hautes, et de section plus réduite, et donc de disposer d’un système locomoteur adapté à ces nouvelles contraintes de l’environnement. Les chercheurs remarquent, détail qui n’est pas sans importance, que s’ils avaient attendu un an avant de tirer les conclusions de l’expérimentation, ils n’auraient jamais détecté la transition entre les pattes longues et les pattes courtes… Ils prédisent que sur une période à plus long terme, en cas de présence permanente du lézard de Cuba, l’anolis brun ne pourra que rester arboricole, et garder ses membres courts. De fait, d’autres exemples, dans les Caraïbes, montrent que c’est bien l’évolution constatée. Avec cette expérimentation, la plasticité morphologique de l’anolis brun est démontrée. L’espèce était déjà connue, comme beaucoup de reptiles, pour changer de couleur de peau (dans la gamme du brun et du noir) particulièrement vite, selon les paramètres environnementaux ou physiologiques (par exemple, stress, modification des températures, recherche de nourriture, etc.).

• (1) J. Losos et coll. : « Rapid temporal reversal in predator-driven natural selection », Science, 17/11/2006.