L’anesthésie d’un animal obèse est étroitement surveillée - La Semaine Vétérinaire n° 1266 du 21/04/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1266 du 21/04/2007

Anesthésie et surcharge pondérale

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Carole Ballin

En présence d’un chien ou d’un chat à « risque », obèse et/ou âgé, le respect des bonnes pratiques anesthésiques est essentiel.

De plus en plus de chiens sont concernés par l’obésité, en particulier des races comme les ratiers, le labrador, le sharpeï, le carlin, le bouledogue ou encore le cocker. Les chats sont loin d’être épargnés par cette surcharge pondérale imputable à un excès de masse grasse. En outre, le syndrome d’obésité est notamment associé au vieillissement des populations canines et félines.

Les exigences sans cesse accrues des propriétaires en termes de qualité et de niveau de soins obligent parfois les praticiens à pratiquer des anesthésies “risquées” chez des animaux âgés et en surpoids. Le respect des bonnes pratiques, définies en 2002 par l’association 4AVet(1) et résumées par le prénom Elsa (voir encadré), est de rigueur pour toutes les anesthésies générales, mais doit être encore plus scrupuleux chez ces animaux à risque. L’obésité impose en effet de suivre ces mêmes règles, mais déclinées selon ce qui est connu de la physiopathologie de ce syndrome (hypertension, insulinorésistance, dysfonction autonome, etc.).

Certaines modifications physiopathologiques imposent de prendre des précautions

Un animal en surcharge pondérale possède un volume circulant plus important, avec cependant une moindre quantité hydrique par rapport à son poids. Le signe de la persistance du “pli de peau”, qui permet habituellement de repérer une déshydratation, est peu sensible chez l’animal obèse. En raison de l’adiposité, l’élasticité de la peau est en effet conservée, malgré une déshydratation avérée. Cette dernière doit être intense avant d’être cliniquement perceptible. En outre, les besoins en oxygène sont accrus chez l’animal obèse, notamment en raison de l’augmentation de la masse maigre associée à la prise de poids. Une préoxygénation pendant dix à vingt minutes avant l’induction est un élément clef de sécurité, car elle permet de prévenir l’hypoxémie/hypoxie susceptible d’apparaître avec la narcose. L’amplitude de la ventilation est réduite, avec parfois une tachypnée perceptible même au repos.

Lorsqu’il est anesthésié, l’animal en surpoids placé en décubitus, surtout dorsal, hypoventile rapidement. La quantité d’oxygène dans le sang diminue (hypoxémie) et le dioxyde de carbone s’accumule (hypercapnie). Le poumon s’atélectasie. Les doses d’anesthésiques à administrer doivent donc être adaptées.

De plus, le système nerveux autonome orthosympathique et parasympathique est beaucoup moins réactif. La capacité physiologique à corriger une hypotension est diminuée. La fréquence cardiaque est élevée : ainsi par exemple chez un animal obèse qui saigne abondamment, le risque de collapsus cardiaque est important. Chez l’animal en surpoids, la “réserve fonctionnelle” (aptitude à compenser une détresse vitale), cardiovasculaire et respiratoire, est globalement amoindrie.

Un examen clinique minutieux précède chaque anesthésie

Chez un animal en surpoids, une mise à jeun de douze heures est insuffisante en raison d’un retard de vidange gastrique. Le risque de vomissements est important. Les fréquences cardiaque et respiratoire, les éventuelles dyspnées et l’hypertension artérielle sont à contrôler. Ces informations conditionnent le choix des examens complémentaires potentiellement pertinents pour préciser l’état de santé de l’animal à anesthésier. Les valeurs d’hématocrite et de protéines totales constituent des informations souvent utiles.

L’augmentation des besoins en oxygène favorise en effet l’hypoxie tissulaire peranesthésique et l’hématocrite donne une idée de la capacité de transport de l’oxygène. Une analyse d’urine, une créatinémie, une échocardiographie, un électrocardiogramme sont à pratiquer. Lors de troubles respiratoires, une radiographie thoracique de face et de profil, ainsi qu’une gazométrie peuvent aussi être effectuées afin d’évaluer l’efficacité de la respiration. Enfin, un ionogramme peut se révéler pertinent dans diverses situations (déshydratation, insuffisance rénale, etc.). Il est par ailleurs important de bien évaluer les risques selon la classification ASA (voir encadré) et d’obtenir le consentement éclairé du client. Une voie vasculaire sécurisée est obligatoirement posée. Des solutés cristalloïdes (Ringer lactate ou NaCl à 0,9 %) sont administrés (à raison de 5 à 10 ml/kg/h) afin de prévenir l’hypotension et notamment ses conséquences rénales. La perfusion s’effectue en peranesthésie (phase de réveil comprise). Cependant, une perfusion trop longue de soluté salé isotonique, sans surveillance de la natrémie, expose l’animal obèse à des risques iatrogènes d’hypernatrémie.

L’intubation est systématique, y compris lors d’anesthésie courte

L’intubation est une nécessité à la fois pour éviter et contrôler les problèmes fréquents d’hypoventilation, mais également en raison des risques élevés de fausse route lors de vomissements. Ainsi, le ballonnet de la sonde endotrachéale doit être suffisamment gonflé afin de prévenir les risques de pneumonie.

La surveillance des fonctions vitales est la même que pour n’importe quelle anesthésie, avec cependant une attention particulière portée sur la pression artérielle et les signes cliniques cardiovasculaires. Un dispositif Doppler de mesure de la pression artérielle est mis en place. La couleur des muqueuses est vérifiée, le pouls périphérique régulièrement contrôlé. La bonne élimination du CO2 est suivie (capnographie). L’objectif est d’obtenir un animal anesthésié en normocapnie (ETCO2 entre 40 et 45 mmHg) afin de s’assurer de la bonne efficacité ventilatoire. Les risques cardiovasculaires sont en effet accrus en cas d’hypocapnie (défaut d’inotropie) ou d’hypercapnie (dysrythmie).

La profondeur de l’anesthésie est régulièrement surveillée et ajustée

Les animaux obèses dorment souvent mal, ou trop ou pas assez. Il est donc important de bien surveiller les signes cliniques de la profondeur anesthésique tels que l’absence de réflexe palpébral, la bascule du globe oculaire, le diamètre pupillaire, le relâchement de la mâchoire, la stabilité des fréquences cardiaques et respiratoires. Un ajustement régulier de la profondeur de l’anesthésie est nécessaire.

L’induction se fait préférentiellement par voie intraveineuse (titration) en administrant l’agent anesthésique jusqu’à l’obtention de la narcose souhaitée. Ensuite, l’entretien de cette dernière doit être réalisé par un système d’administration (intraveineuse ou respiratoire) continue (perfusion ou anesthésie volatile), avec toujours une ventilation étroitement surveillée. L’ajustement de la narcose ne doit en aucun cas faire oublier la nécessité d’entretenir une analgésie suffisamment puissante pour contrôler la douleur chirurgicale.

Ces animaux à risque dorment souvent longtemps et ont des réveils longs. Ceci est notamment le cas lors d’hypoventilation, avec l’emploi d’anesthésiques volatils, et lors de recours aux bolus répétés de dissociatifs.

Les protocoles anesthésiques sont également à adapter

Un réveil rapide est toujours à privilégier. Les prémédications par voie sous-cutanée ou intramusculaire sont à éviter. Il convient en outre de limiter l’usage des médicaments susceptibles de s’accumuler, comme les barbituriques. Ceux à longue durée d’action comme l’acépromazine, la kétamine, la tilétamine/zolazépam doivent souvent faire l’objet d’une utilisation parcimonieuse afin d’en limiter la durée d’action.

Une connaissance rigoureuse des spécialités est essentielle. Les doses requises pour obtenir une intensité d’effet ad hoc sont souvent plus élevées, mais sont à l’origine d’une durée plus longue. Selon des données issues de la médecine humaine, le diazépam (Valium®) a une demi-vie d’élimination accrue, son effet est donc prolongé. Le propofol a la particularité de peu s’accumuler dans les graisses et est ainsi un agent de choix pour la narcose chez l’animal obèse. Concernant les α2-agonistes, le débat de leur utilisation dans ce cadre est ouvert. En effet, il est établi que chez le chien en surpoids, le nombre et l’affinité des récepteurs α2 au niveau central sont diminués, alors que celle des récepteurs α2 périphériques reste inchangée. Par ailleurs, les α2-agonistes diminuent la concentration d’insuline, or un animal obèse est fréquemment insulinorésistant et pourrait donc voir son équilibre glycémique compromis par l’usage de tels médicaments.

Anesthésier un animal obèse exige donc d’adopter des règles de bonnes pratiques. Une surveillance cardiovasculaire et respiratoire est essentielle. Les phases d’induction et de réveil “à risque” doivent être particulièrement contrôlées. En outre, dans la mesure du possible, une perte de poids est toujours préférable avant d’anesthésier un animal pour une intervention chirurgicale de convenance.

  • (1) 4AVet : Association vétérinaire pour l’anesthésie et l’analgésie animale.

Grille de risque ASA

• ASA 1 : l’animal ne présente aucune affection, le risque anesthésique est estimé à 1 accident mortel sur 1 500 anesthésies.

• ASA 2 : l’animal présente une affection à faibles répercussions systémiques (1 mortalité pour 100 anesthésies).

• ASA 3 : l’animal présente une affection à répercussions systémiques modérées (10 à 20 % de mortalité).

• ASA 4 : l’animal présente une affection à répercussions systémiques sévères (40 à 50 % de mortalité).

• ASA 5 : l’animal est moribond.

C. B.

Bonnes pratiques Elsa

• Examen clinique et évaluation du risque anesthésique.

• Lignes de vie vasculaire et respiratoire.

• Surveillance de la narcose et des fonctions vitales.

• Adaptation du protocole et de l’analgésie.

C. B.

CONFÉRENCIER

Patrick Verwaerde, DMV, MSc, PhD, maître de conférences en anesthésie-réanimation-urgences à l’ENVT.

Article réalisé d’après la conférence « Anesthésie générale du chien obèse : les enjeux et comment faire en pratique ? », présentée lors du symposium Janssen du 8 mars 2007.

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