« Une gouvernance des risques est nécessaire pour restaurer la confiance sociale »

La Semaine Vétérinaire : Comment expliquez-vous que la société civile soit globalement opposée aux organismes génétiquement modifiés (OGM) ?

Annie Clerc de Marco : L’est-elle vraiment ? Si nous définissons ce dont il s’agit, comment expliquer que la société civile s’enthousiasme, avec respect et reconnaissance, à la sortie de “bébés bulles” et, en même temps, se mobilise pour détruire un champ d’OGM ? Si l’opinion publique rejette les organismes génétiquement modifiés, c’est probablement dû à l’ignorance, à la confusion et à la médiatisation qui conduisent à l’idéologie et aux “représentations fantasmatiques” des applications d’une science “magnifique et triomphante” d’une part, “diabolique et dévoyée” de l’autre. En effet, nos représentations mentales se nourrissent de bribes d’informations que nous relions pour donner un sens à un phénomène inexplicable. C’est ainsi que la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine s’est expliquée par la “déviance d’une agriculture productiviste” – transformant avec des farines animales de paisibles herbivores en redoutables carnivores – plus que par “l’énigme” du prion.

Face à l’audace des mentalités rationnelles, nous assistons à un retour de la peur et de son cortège de pensées archaïques. La nature se sacralise. Exploitée, violée, manipulée, elle devient un être fragile qu’il convient de ne pas toucher au risque de la voir, rebelle et vengeresse, nous sanctionner pour ne pas avoir respecté ses lois immuables. Les OGM ne sont pas un problème exclusivement scientifique et technique, mais une interrogation sociale, morale, voire existentielle. Ils sont l’exemple même de la crise de confiance induite par les scandales de santé publique et de celle de la prospective elle-même. Le progrès n’est plus le mythe fondateur de la modernité et du bien commun. Perçu comme porteur de catastrophes, il menace l’eau, l’air, la planète… l’homme !

S. V. : Quelle démarche adopter pour faire appréhender au mieux le sujet complexe des OGM à la société civile ?

A. C. M. : Plutôt que de garantir l’illusion du risque zéro, véritable délire sécuritaire, il convient d’examiner les tensions et les conflits entre l’innovation, les valeurs sociétales exprimées et la prise de risque. Sans révélation des enjeux et des stratégies d’anticipation et de contrôle des risques, le rapport bénéfice/risque se lit comme de plus en plus de profits pour les firmes et les acteurs économiques et industriels, et de plus en plus de risques pour les populations, victimes exposées.

Si nous sommes des “consommateurs” de progrès et d’innovations, nous redoutons, en même temps, les conséquences d’une science arrogante et surpuissante. Ainsi, le monde rationnel devient un “univers sorcier” où les événements et les faits nous échappent, pour ne devenir que le siège de nos émotions et des peurs ancestrales dont nous avions cru nous débarrasser. L’alliance de la science, de la technique et de l’économie se révèle “diabolique” et nous avons de plus en plus peur parce que nous avons beaucoup à perdre.

Le risque sort de l’univers exclusivement scientifique et technique et de la prérogative des experts pour s’exprimer sur le champ social. Seule la démarche en gouvernance des risques a la capacité d’intégrer les notions d’acceptabilité sociale et d’utilité des produits, pour une vision commune à partager.

L’approche multidisciplinaire pourra répondre aux sujets complexes et multifactoriels dès lors que les logiques d’affrontement “émergées” (pour autoriser ou bloquer des décisions quant à des résultats incertains, au nom d’un “principe” qui est loi, la précaution) seront remplacées par une démarche diagnostique, de quête de la compréhension et de restauration de la confiance sociale.