Pourquoi les girafes ont-elles un si long cou ? - La Semaine Vétérinaire n° 1269 du 12/05/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1269 du 12/05/2007

Mystère de l’évolution

Formation continue

FAUNE SAUVAGE ET NAC

Auteur(s) : Alain Zecchini

Compétition alimentaire, sélection sexuelle, etc. : l’explication définitive n’est pas acquise.

Unique dans ses proportions par rapport au reste du corps, le cou des girafes reste un mystère de l’évolution. Après Darwin, l’explication de la compétition alimentaire s’est longtemps imposée. Selon lui, cette particularité avait permis aux ancêtres des girafes de s’assurer un avantage évolutif. Ainsi, en saison sèche, quand les feuilles sont rares, ils pouvaient brouter à des hauteurs interdites à d’autres espèces. Les individus ayant de longs cous auraient transmis leurs gènes aux générations suivantes.

Des mutations induites par la pression de sélection

En 1949, l’hypothèse darwinienne est remise en cause (voir bibliographie 1). En effet, si des sécheresses récurrentes avaient incité les premières girafes à se nourrir en hauteur, en raison de la raréfaction des pousses basses, les girafons, les subadultes et les femelles, dans l’impossibilité d’atteindre les mêmes niveaux, auraient dû disparaître. Dès lors, comment expliquer la survie de l’espèce si seuls les mâles adultes pouvaient continuellement trouver des ressources alimentaires ?

Suivant une autre hypothèse (voir bibliographie 2), le long cou serait apparu dans une optique de thermorégulation. Cette particularité permet en effet d’augmenter la surface corporelle de l’animal, facilitant la dissipation de la chaleur.

Certains ont également suggéré que leur long cou permet aux girafes de voir plus haut que les autres ongulés, et de repérer ainsi plus facilement les prédateurs. Cette hypothèse semble intuitivement vraie, même si le phénomène n’a pas été rigoureusement démontré. Il se déduit de la proportion assez faible de girafes succombant à la prédation (cela vaut pour une étude sur l’ensemble des classes d’âge, car les girafons, eux, paient un lourd tribut). Mais cette observation tient certainement aussi au fait que la girafe représente un réel adversaire, en raison de sa grande taille et des armes que sont ses sabots. Elle peut, parallèlement, se camoufler efficacement, les taches de sa robe se confondant avec la végétation.

Pour sa part, l’hypothèse de la sélection sexuelle s’est heurtée frontalement à celle de la compétition alimentaire (voir bibliographie 3). Leurs auteurs mettent l’accent sur le comportement des mâles qui se battent entre eux à l’époque de la reproduction. Ils utilisent leur cou pour frapper celui de leur adversaire et se donnent des coups de tête violents. Dans ce contexte, un cou allongé permet de démultiplier la force de l’impact. Les cous des mâles sont de 30 à 40 cm plus longs que ceux des femelles et 1,7 fois plus lourds. Les mâles les mieux pourvus, à cet égard, sont dominants. Une telle théorie pose toutefois la question de savoir pourquoi les femelles sont également dotées d’un long cou… Pour les scientifiques, il s’agirait alors d’un produit secondaire de l’évolution génétique des deux sexes, qui est commune.

Les constats de différentes études écologiques contemporaines ont plutôt suivi l’argumentation développée en 1949. Ainsi, au Serengeti (Tanzanie) notamment, en saison sèche, les girafes broutent essentiellement les buissons bas de Grewia. Ce n’est qu’en saison humide, quand les nouvelles feuilles sont plantureuses et appétentes, qu’elles choisissent l’acacia, pour ses pousses situées aux paliers supérieurs. A Tsavo (Kenya), la moitié des broutis s’effectuent sur des feuilles situées à moins de 2 m de hauteur, donc à la portée des petits ongulés comme le gérénuk ou le petit koudou, ce qui montrerait qu’il n’y a pas de compétition. Plus globalement, les femelles, mais aussi les mâles non dominants, s’alimenteraient généralement à hauteur d’épaule. Seuls les dominants le feraient plus volontiers à 5 m ou davantage.

La survie de tous les ongulés dépend de la permanence de la ressource végétale

Récemment, la théorie de la compétition alimentaire a connu un surcroît de vigueur (voir bibliographie 4). Dans la réserve de faune de Lion Sands (Afrique du Sud), des barrières de 2,2 m ont été érigées autour d’un peuplement d’acacias de plus de 4 m de hauteur. Cela excluait, a priori, les brouteurs autres que les girafes, qui ne peuvent s’alimenter à plus de 2,5 m. Des acacias non clôturés, à une dizaine de mètres, servaient de témoins. Tous les arbres ont été examinés avant et pendant la saison sèche. A chaque hauteur de référence (1 m pour les steenbocks, les impalas, les kudus et les girafes, 2,5 m pour les kudus et les girafes, 4 m pour les girafes), un index de broutage a été relevé. Cet index représentait “l’unité de broutage girafe” (UBG), c’est-à-dire la longueur moyenne de végétation (144 mm) correspondant à une prise. Les résultats montrent que pour les arbres clôturés, la biomasse végétale est restée intacte à 1 m de hauteur, et presque préservée à 2,5 m (puisque les barrières n’étaient qu’à 2,2 m). Pour les arbres témoins, la biomasse est largement réduite à 1 m et 2,5 m, bien moins à 4 m. Cela tendrait à prouver que les girafes, en présence de compétiteurs, s’alimentent aux niveaux supérieurs.

Toutefois, cette expérimentation ne devrait pas mettre un terme à la controverse. Comment expliquer, par exemple, la survie (passée et actuelle) des jeunes girafes et des jeunes arbres, si la végétation basse est systématiquement broutée ? La seule réponse possible serait l’existence, en permanence, d’une masse de végétation suffisante pour nourrir à la fois les girafes jeunes, adultes, ainsi que les autres brouteurs, et pour laisser à cette ressource le volume nécessaire à sa régénération (voir bibliographie 5). Ainsi, il est légitime d’émettre quelques doutes sur la validité de l’hypothèse initiée par Darwin, notamment sur la réduction décisive de la ressource végétale en saison sèche. Le débat reste ouvert.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1 - C. Pincher : « Evolution of the giraffe », Nature, 1949, vol. 164, n° 4157.
  • 2 - A. Brownlee : « Evolution of the giraffe », Nature, 1963, vol. 200.
  • 3 - R. Simmons et L. Scheepers : « Winning by a neck : sexual selection in the evolution of the giraffe », The American Naturalist, 1996, vol. 148, n° 5.
  • 4 - E. Cameron et J. du Toit : « Winning by a neck : tall giraffes avoid competing with shorter browsers », The American Naturalist, 2007, vol. 169, n° 1.
  • 5 - G. Mitchell et J.D. Skinner : « On the origin, evolution and phylogeny of giraffes Giraffa camelopardalis », Transactions of the Royal Society of South Africa, 2003, vol. 58, n° 1.
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