Les négociations conduites au sein de l’OMC secouent la filière avicole française - La Semaine Vétérinaire n° 1274 du 16/06/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1274 du 16/06/2007

Commerce international

Formation continue

FILIÈRES

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

La protection aux frontières de l’Union européenne, qui risque de chuter à 20 %, est le dernier rempart contre les importations massives de produits en provenance des pays tiers.

En juillet 1995, les accords du Gatt ont marqué un tournant décisif pour la filière avicole européenne (voir encadré). La diminution progressive des soutiens à l’agriculture a provoqué la confrontation des filières avicoles européennes et françaises avec la concurrence internationale, tant sur le marché des pays tiers qu’au niveau intracommunautaire. Les exportations européennes destinées aux pays tiers ont diminué de moitié entre 1995-1996 et 2004-2005. Quant aux importations européennes de produits avicoles, elles sont passées de moins de 250 000 tonnes équivalent carcasse (tec) durant la période 1990-1995 à 960 000 tec en 2003, puis 850 000 tec en 2005. Une nouvelle libéralisation du commerce international n’épargnera pas les filières avicoles européennes, en particulier si les réductions des soutiens à l’agriculture sont importantes.

Lors des Journées de la recherche avicole, organisées à Tours en mars dernier, Yves Trégaro, de l’Office de l’élevage, a présenté l’impact des accords du Gatt signés en 1995 et exposé les effets potentiels des négociations commerciales qui se tiennent dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les filières avicoles européennes et françaises. Son analyse se fonde sur les propositions de la Commission européenne émises le 28 octobre 2005. Contrairement à d’autres productions animales qui disposent de mesures de soutien interne, comme les quotas laitiers, l’OMC volailles repose exclusivement sur deux volets : la protection aux frontières à travers la mise en œuvre de droits de douane et les subventions à l’exportation caractérisées par l’octroi de restitutions aux industriels pour certains produits avicoles destinés au marché mondial.

Actuellement, avec 19 % des volumes européens produits et 33 % des volumes européens exportés, la France dispose d’une des premières filières avicoles d’Europe. Elle est en outre le premier pays exportateur européen.

La filière française du poulet congelé perd sa compétitivité

Depuis 2002, pour faire face aux atouts économiques et monétaires du Brésil et de la Thaïlande, les restitutions versées aux Européens ont augmenté, épuisant le contingent en valeur autorisé par le Gatt. De ce fait, les exportations de produits avicoles n’ont pu atteindre le plafond en volume autorisé par ces mêmes accords (en moyenne 70 % du contingent). Au cours des quatre dernières années, sur la totalité des exportations européennes vers les pays tiers, seulement 20 % bénéficiaient de restitutions, alors que cette part s’élevait à 68 % en 1995-1996 et à 44 % en 1996-1997. Contrairement à certains opérateurs, notamment les Pays-Bas et l’Allemagne, la France a conservé des flux soutenus d’exportations avec restitutions. Durant les cinq dernières années, elles ont représenté plus de 80 % des exportations européennes avec restitutions et près de la moitié des volumes totaux français exportés.

Plus des trois quarts des exportations aidées par l’Union européenne dans le secteur avicole concernent les exportations françaises de poulet congelé. « En l’absence de restitutions, la filière française de poulet entier congelé semble condamnée d’ici à quelques années, car elle n’est pas compétitive face au Brésil sur les destinations du Proche-Orient et du Moyen-Orient », explique Yves Tregaro. En effet, « dès août 2004, la Commission européenne a donné un signe d’ouverture, en proposant un démantèlement des restitutions d’ici à 2013, et une réduction substantielle d’ici à 2010 », précise-t-il.

La suppression des restitutions signe la fin de l’unique outil de gestion du marché avicole. En France, elle conduira à l’arrêt de la production de 200 000 tec de poulet par an. Ce secteur d’activité, majoritairement breton et finistérien, représente une production annuelle de 120 000 tec par quatre cents exploitations agricoles et mille emplois dans le secteur des industries agro-alimentaires. En 1999-2000 et en 2003-2004, la France a déjà connu deux plans de cessation d’activité. Le second s’est traduit par le retrait de 638 000 m2, soit 6 % du parc de bâtiments dédiés aux productions standard et certifiées. En Bretagne, la réduction a concerné 9 % du parc régional (359 000 m2).

La baisse des droits de douane renforce les positions brésiliennes et thaïlandaises

Les importations en provenance des pays tiers représentent aujourd’hui environ 8 % de la consommation européenne et près de 10 % des volumes importés dans le monde. Ayant perdu leur caractère dissuasif à la suite des accords du Gatt, les droits de douane européens ne peuvent plus endiguer le flux des importations de viande de volaille. En 2005, au niveau de l’Europe, ces dernières étaient constituées de viande congelée (43 %), pour l’essentiel découpée, et de produits transformés (35 %) de poulet. Le Brésil et la Thaïlande, avec respectivement 70 % et 20 % environ des volumes importés, dominent le marché communautaire.

Bien entendu, les pays importateurs font appel aux contingents qui bénéficient de droits douaniers réduits, mais l’écart entre le coût de départ dans le pays exportateur et celui du marché communautaire, ainsi que les frais de transport et le droit de douane leur permettent également d’exporter des volumes conséquents à droits pleins. Pour les deux dernières années, l’écart de prix entre les pays de départ et d’arrivée, relativement stable, est évalué à 0,75 €/kg pour le poulet congelé, soit autant que la valeur du produit au départ du Brésil. Le coût du transport est estimé à 0,20 €/kg, les droits de douane à 0,33 €/kg. Il existe donc un avantage indéniable pour les opérateurs brésiliens. Sur la totalité des volumes importés en 2004-2005, 93 % étaient à droits pleins (voir graphique 1). Si la proposition de l’Union européenne du 28 octobre 2005 était mise en œuvre, la protection moyenne du secteur avicole passerait de 35 % à 20 %.

Durant son intervention, Yves Trégaro a indiqué les conséquences prévisibles pour les découpes de poulet congelées et les produits transformés. « Actuellement, les découpes de poulet congelées en provenance du Brésil atteignent le marché communautaire à un prix compris entre de 2,60 et 2,80 €/kg, droits de douane compris, soit à un tarif comparable ou légèrement inférieur au prix intracommunautaire » (voir graphique 2). Avec une réduction des droits de douane de 1,02 €/kg à 0, 67 €/kg, le prix des découpes importées s’établirait autour de 2,30 €/kg pour un tarif intracommunautaire de 2,80 €/kg (voir graphique 2). Cet écart peut profiter directement aux opérateurs brésiliens ou à la fois au secteur de la production et aux intermédiaires (transport, etc.). « Dans les deux cas, la diminution des droits de douane renforce la présence des opérateurs brésiliens sur le marché européen. » L’analyse conduit à des conclusions similaires pour le secteur des produits transformés. L’étude des préparations à base de poulet montre un écart de 0,90 €/kg entre celles provenant du marché communautaire et les préparations issues d’importations brésiliennes, en faveur du Brésil (voir graphique 3). Dans le cas des préparations de dinde, l’écart est évalué à 0,80 €/kg. Mise en place d’une OMC unique, renégociation de la politique agricole commune (Pac) à partir de 2008-2009, réductions des fonds européens destinés au secteur agricole : « La diminution des soutiens à l’agriculture européenne semble inéluctable dans les prochaines années. » Pour Yves Trégaro, si le maintien d’une certaine protection est envisageable pour les découpes congelées de volailles, il n’existe en revanche aucune solution pour les produits transformés. Dans ce contexte, quelle est la meilleure carte à jouer pour la filière avicole et, plus globalement, pour l’agriculture française, en particulier en termes d’exportations ? Comme 72,5 % des exportations agricoles françaises concerne l’Union, la France aurait tout intérêt à privilégier le marché européen plutôt qu’à s’éparpiller. L’innovation est la seconde piste stratégique. En effet, « dans un pays industrialisé, aux coûts de main-d’œuvre élevés, la vraie compétitivité réside dans les produits sophistiqués », soulignait ainsi Lucien Bourgeois, économiste à l’assemblée permanente des chambres d’agriculture, dans Le Monde daté du 3 mars dernier.

  • Voir aussi La Semaine Vétérinaire n° 1206 du 17/12/2005 en page 31, n° 1207 des 24 et 31/12/2005 en page 19 et n° 1269 du 12/5/2007 en page 26.

  • (1) Aides découplées non liées à la production ni au prix du marché, à la recherche, à la formation, au conseil, à la protection de l’environnement, aux zones défavorisées, aux cessations d’activité et à la suite de catastrophes naturelles.

Le Gatt et l’OMC

Les règles qui régissent le commerce entre les pays sont gérées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Née en 1995, elle a succédé à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le Gatt (General Agreement on Tariffs and Trade), créé au lendemain de la seconde Guerre mondiale. Le dernier cycle de négociations du Gatt, l’Uruguay round, signé à Marrakech en 1994, a eu pour originalité principale de mettre fin à l’exception agricole. Pour la période de 1995 à 2001, cet accord s’est traduit par une diminution des aides aux exportations de 21 % en volume et de 36 % en valeur, une baisse de 36 % des droits de douane et une réduction de 20 % des soutiens internes. Concernant ce dernier point, les aides de la “boîte verte”(1) sont autorisées sans limites. Auparavant, chaque pays pouvait librement accorder des subventions aux exportations et maintenir des restrictions aux importations.

Organisée à Doha (Qatar) du 9 au 14 novembre 2001, soit deux ans après l’échec de négociations de la conférence de Seattle, la 4e conférence ministérielle de l’OMC a lancé un nouveau cycle de négociations, le programme de Doha pour le développement. Depuis, aucune des négociations relatives à la baisse des droits de douane et à la réduction des subventions agricoles n’a abouti (Cancun en 2003, Genève en 2004, Hong-Kong en 2005, etc.). Depuis le 30 avril dernier, de nouvelles négociations sont engagées.

L’OMC compte actuellement 149 membres, regroupés en groupes d’intérêt, Union européenne, groupe de Cairns (Nouvelle-Zélande, Australie, Canada, Thaïlande, etc.), G20 (Brésil, Chine, Inde, Afrique du Sud, etc.), G10 (Suisse, Japon, Corée du Sud, Norvège, Israël, etc.), Etats-Unis, PVD (pays en voie de développement, majoritairement africains).

C. B.-C.
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