L’histologie explique la qualité biomécanique et la finesse du toucher du pied de l’éléphant

Les antérieurs supportent 2,7 kg/cm² et les postérieurs 2 kg/cm² lorsque les quatre membres soutiennent la masse du plus grand animal terrestre. Les cinq tonnes de l’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana) reposent sur une organisation tissulaire remarquable. En effet, ses pieds sont dotés de structures internes spécialisées, capables de supporter sans douleur la masse et les variations de pression liées à la locomotion. Outre cette capacité à absorber les chocs et à protéger os, articulations et tendons, elles possèdent des récepteurs qui confèrent aux pieds une finesse du toucher particulièrement développée. Récemment, une équipe de chercheurs autrichiens, anglais, sud-américains et américains a particulièrement étudié, d’une part, la structure macroscopique⁽¹⁾ et microscopique et, d’autre part, leur lien avec les qualités biomécaniques et sensorielles des coussinets des pieds des éléphants⁽²⁾.

Le tissu conjonctif spécialisé confère viscoélasticité et rigidité

Les coussinets du pied, formés par l’hypoderme modifié, sont composés de lobules de tissu adipeux cloisonnés par du tissu conjonctif fibreux. Les cellules graisseuses, arrangées en lobules, ressemblent à des îlots compacts enchâssés dans une charpente constituée par les faisceaux élastiques. Les plus grands groupes de lobules sont enveloppés par des faisceaux de fibres de collagène. Une fonction de soutien est ainsi assurée par ces réseaux (^{voir figure 1}). Les coussinets graisseux des pieds des éléphants d’Asie contiennent plus de tissu conjonctif que les coussinets des éléphants d’Afrique. Il semble logique que la structure des coussinets du pied de l’éléphant garantisse la protection des os du pied en répartissant la charge du poids sur toute la surface palmaire/plantaire des os du carpe/tarse, du métacarpe/métatarse, du doigt. Sous l’effet de la compression, le volume de la chambre remplie de liquide doit rester constant. La répartition des charges résulterait du déplacement sur le côté du tissu adipeux. Les cloisons de collagène limiteraient la viscoélasticité du tissu adipeux et augmenterait la rigidité des coussinets. De plus, les colorations du tissu conjonctif fondamental au bleu alcian à pH = 4 et à pH = 2,5 ainsi qu’à la safranine O mettent en évidence respectivement la présence d’acide hyaluronique, connu pour ses propriétés visqueuses, et des protéoglycanes, véritables pièges à eau. Les couches de tissu conjonctif, plus nombreuses chez l’éléphant d’Asie, apporteraient une résilience supérieure à ses coussinets par rapport à son cousin d’Afrique.

A la différence des compartiments métapodiaux, peu de fibres élastiques ont été trouvées dans les compartiments digitaux. Il semblerait que cette partie du pied n’ait pas à subir de déformations aussi sévères que celles du compartiment métacarpien/métatarsien. De plus, leur matrice est riche en fibre de collagène qui entoure des adipocytes isolés plutôt que des adipocytes regroupés en lobules, d’où une rigidité supérieure à celle des compartiments métapodiaux. Enfin, des couches de tissu conjonctif confinent les compartiments digitaux dans des capsules qui conservent leur forme.

Les récepteurs corpusculaires dotent les pieds d’une haute sensibilité

Des corpuscules de Vater-Pacini, récepteurs spécialisés pour les pressions les plus fortes, ont été trouvés à la fois dans le derme, à la jonction des compartiments métacarpien/métatarsien, et dans tous les compartiments du coussinet (^{voir figure 2}). De nombreux corpuscules ont été observés dans les faisceaux de vaisseaux et de nerfs qui courent à travers le centre du coussinet, à partir du côté médial. Ces récepteurs apparaissent soit comme des corps solitaires, soit groupés par cinq. Les corpuscules de Meissner, récepteurs spécialisés pour les contacts légers, ont été identifiés dans les papilles dermiques, saillies fibreuses, vasculaires et nerveuses, qui sont nombreuses entre le derme et l’épiderme de la sole. Elles sont absentes dans les compartiments métapodiaux ou digitaux. Ces récepteurs sont trouvés en particulier dans les coussinets des doigts et des orteils et de la muqueuse orale des humains, des primates de certains rongeurs et marsupiaux. Curieusement, chez les neuf spécimens étudiés, ces mécanorécepteurs d’adaptation rapide sont absents de l’organe présumé le plus sensible, la trompe. L’association de ces récepteurs corpusculaires avec l’innervation dense détectée renforce l’hypothèse selon laquelle le pied des éléphants est très sensible et doté d’un toucher excellent.

• (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1275 du 23/6/2007, en page 39.

• (2) G.E. Weissengruber et coll. : « The structure of the cushions in the feet of African elephants (Loxondota Africana) », J. Anat., 2006, n° 209, pp. 781-792.