Les clés d’une longue vie sont de croître lentement, d’avoir peu de descendants et de supporter l’eau glacée !

Des esquimaux ont eu une drôle de surprise lorsqu’ils ont découpé une baleine boréale (Balaena mysticetus), capturée en mai dernier sur la côte de l’Alaska. En effet, dans les tissus de l’animal, se trouvait une pointe de harpon. Les historiens consultés ont pu déterminer que ce type de harpon avait été fabriqué pendant quelques années seulement, à la fin du XIX^e siècle à Bedford (Massachusetts). La baleine en question avait donc été harponnée sans succès vers l’an 1880, alors qu’elle était âgée d’environ dix ans, et avait ainsi gardé ce bout d’acier pendant cent quinze ans ! Si d’ordinaire, l’âge d’une baleine ne peut être qu’estimé, la preuve de la longévité est ici indiscutable. Dans un autre cas, en 1999, une baleine de deux cent onze ans a été identifiée, ce qui constitue le record absolu pour tous les vertébrés. D’autres espèces sont également connues pour leur longévité, comme l’illustre tortue des Galápagos nommée Harriet, qui aurait cent soixante-quinze ans.

Les espèces en situation de danger produisent plus tôt des descendants

D’où peut provenir une telle aptitude à la longévité ? Elle pourrait être liée à la vitesse du vieillissement, en lien avec la présence ou non de prédateurs ou de compétiteurs alimentaires. En effet, les espèces qui vivent en situation de danger permanent produisent plus précocement des descendants, comme pour assurer la survie de leur espèce ; tandis que celles qui vivent en situation non conflictuelle se reproduisent plus tardivement et prennent leur temps pour atteindre l’âge adulte. Ce sont ces dernières espèces qui vivent le plus longtemps. Steven Austad (université du Texas), ayant remarqué que d’autres espèces de baleines n’atteignent pas ces âges records, explique cette différence en notant que la baleine boréale vit dans l’océan Arctique, où elle n’est pas en butte à la compétition pour la nourriture, puisqu’elle la recherche dans les profondeurs glacées. L’homme semble être une exception au milieu de ses voisins biologiques, car il vit, par exemple, beaucoup plus longtemps que le chimpanzé dont le patrimoine génétique est pourtant si proche. Selon Steven Austad, cela résulte du fait que l’homme vit en société, ce qui le protège des prédateurs. La baleine boréale atteint la maturité sexuelle vers l’âge de vingt ans, âge de sa première mise bas. Le deuxième jeune vient seulement quatre à sept ans plus tard. Lorsque l’homme commença à la chasser, au XIX^e siècle, elle était incapable de lutter pour sa survie en augmentant sa fécondité. L’espèce a donc failli disparaître. Depuis lors, sa population a progressé lentement, mais elle fait encore partie des espèces en danger. Dans un monde largement dominé par l’homme, l’animal sauvage, d’une façon générale, parviendra de plus en plus difficilement à atteindre un âge avancé.

• Source : Carl Zimmer, « For a long life, go slow, have fewer children and enjoy cold water », New York Times, 23/6/2007.