PEUR BLEUE DANS LES CAMPAGNES - La Semaine Vétérinaire n° 1288 du 26/10/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1288 du 26/10/2007

À la une

Auteur(s) : Michel Bertrou*, Jean-Pascal Guillet**

La fièvre catarrhale ovine donne un coup de chaud aux professionnels de l’élevage. Plus de 5 000 foyers sont comptabilisés en France, environ 30 000 sont dénombrés en Europe. Praticiens et éleveurs jugulent tant bien que mal l’hémorragie financière liée à cette arbovirose.

Vivement l’hiver. En effet, le froid semble être la seule arme efficace contre la vague bleue qui s’abat actuellement sur la France. La fièvre catarrhale ovine, appelée aussi blue tongue, a déjà provoqué l’apparition de plus de 5 000 foyers dans l’Hexagone, depuis août dernier. Près de la moitié du territoire est désormais classée en périmètre interdit, au sein et à partir duquel les mouvements de ruminants, de leur semence et de leurs ovules sont limités et soumis à conditions.

La blue tongue est une affection saisonnière. Dans les régions tempérées, elle survient surtout en fin d’été ou en début d’hiver. Lorsqu’une baisse des températures est observée, une trêve est généralement notée. L’hiver dernier, celle-ci a néanmoins été de courte durée. « Les conditions météorologiques de l’année 2006 ont probablement favorisé “l’explosion” actuelle des cas de blue tongue. En effet, un phénomène d’ overwintering [durée de persistance du virus au-delà de l’hiver supérieure à cent jours] a été enregistré. Beaucoup d’animaux étaient vraisemblablement en virémie chronique jusqu’au printemps dernier. Parallèlement, des vecteurs, restés actifs tardivement en 2006, ont pu persister ou se multiplier encore pendant l’hiver. Tout cela a contribué à préparer le terrain en 2007 », expliquait Etienne Thiry, professeur de virologie à la faculté vétérinaire de Liège il y a quelques semaines(1).

L’épizootie survenue en France l’an passé (moins d’une dizaine de cas observés) n’était donc qu’un avant-goût du phénomène qui accable les éleveurs d’ovins et de bovins cette année. « C’est arrivé comme une vague, témoigne Alain Pois-mans, praticien à Auvilliers-les-Forges (Ardennes). Nous avons eu un premier cas pathologique le 21 août dernier concernant un mouton. Il s’agissait d’un cas typique de langue bleue avec mortalité. Dans les heures qui ont suivi, dix exploitations nous ont appelés. Un ou deux animaux y étaient atteints ; le lendemain, ce nombre était multiplié par dix. Dès qu’une exploitation était touchée, toutes celles du voisinage y passaient. En quinze ans de clientèle, je n’ai jamais connu une expansion aussi rapide d’une affection de groupe (…). Aujourd’hui, nous en sommes à plus de 800 foyers. »

Activités humaines, multiplication des échanges et changements climatiques

Le département dans lequel exerce Alain Poismans est l’un des premiers atteints cette année. En effet, les cas de blue tongue se concentrent principalement au nord-est de l’Europe. Ainsi, avec la France, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas sont les principaux pays touchés par l’arbovirose. L’Europe du Nord, dont l’Angleterre, compte actuellement plus de 30 000 foyers, au lieu de 2 000 l’année dernière.

D’où vient ce virus de sérotype 8 (BTV-8), qui n’a jamais été identifié sous de telles latitudes ? Comment a-t-il été introduit ? Selon Thierry Baldet, entomologiste au Cirad, le sérotype 8, responsable de l’épizootie au nord de l’Europe, est d’origine subsaharienne (voir entretien en page 39). « Nous ignorons comment il a été introduit si haut en Europe. Comme pour nombre de maladies vectorielles émergentes, il faut mettre cela sur le compte des activités humaines et de la multiplication des échanges. Mais une fois le virus introduit, nous avons des raisons de penser que les changements climatiques ont joué un rôle dans le développement de cette épizootie. »

Quelques césariennes tournent mal et il y a davantage de veaux prématurés

Un nouveau virus et un nouveau vecteur dans un nouveau biotope. Tous les ingrédients sont réunis pour donner un résultat détonnant. Première surprise : les bovins, habituellement simples réservoirs du virus, développent des signes cliniques de la maladie. Ils présentent une hyperthermie fugace qui peut passer inaperçue. Les signes généraux sont de l’abattement, de l’anorexie, une chute de la production laitière et une perte de poids. Des lésions ulcéreuses et nécrotiques sont notées sur le mufle et les naseaux. Du jetage nasal muco-purulent et des ulcérations de la muqueuse buccale sont visibles derrière les incisives et le bourrelet incisif. Ces lésions provoquent parfois de l’hypersalivation. Des œdèmes au niveau du bas des membres et une faiblesse musculaire provoquent des boiteries, voire un décubitus. Les mamelles présentent des érythèmes et de l’œdème, ainsi que des lésions ulcéreuses et nécrotiques sur les trayons. Une proportion importante de bovins sont infectés de manière subclinique.

En outre, l’infection a également des répercussions sur les performances de reproduction des animaux. « Chez les ovins, le taux de morbidité doit être d’environ 70 %, avec un taux de mortalité de 10 à 40 % !, déplore notre confrère Alain Poismans. Pour les bovins, les taux sont variables. Cela peut aller jusqu’à 10 % de morbidité, avec une mortalité de 1 à 10 %, souvent avec des animaux stressés ou débilités. Quelques césariennes ont mal tourné et nous notons aussi davantage de veaux prématurés. Les chutes de production de lait sont importantes. Certaines fermes reviennent à leur production après trois semaines, mais d’autres gardent des séquelles. »

« Plusieurs milliers d’animaux pourraient devenir SDF dans notre région »

Les baisses de production, les mortalités et les frais liés aux soins vétérinaires effectués chez les animaux malades concourent à d’importantes pertes économiques pour les éleveurs, de même que la limitation des échanges commerciaux. En effet, en attendant la mise en application du protocole promis par Bruxelles, qui autorise sous conditions l’exportation d’animaux de la zone réglementée, les broutards restent bloqués(2).

« En Bourgogne, nous sommes surtout confrontés à un problème commercial. La région exporte 170 000 bovins maigres en Italie, dont la majeure partie en automne. Si la frontière italienne ne s’ouvre pas, plusieurs milliers d’animaux deviendront “sans domicile fixe” dans notre région herbagère naisseur où les éleveurs n’ont ni l’alimentation ni les locaux pour les garder », témoigne ainsi Jacques Manière, praticien à Decize, dans la Nièvre (voir témoignage en page 39).

Le gouvernement a déjà débloqué 13,5 millions d’euros en vue de prendre en charge une partie des coûts des analyses sérologiques, de participer à l’indemnisation des animaux morts et d’alléger les charges d’emprunts professionnels. « Nos incertitudes sont d’abord d’ordre économique, certains éleveurs ont engagé des frais vétérinaires importants et ils n’ont plus de trésorerie », estime pour sa part Alain Poismans. Les moyens de lutte contre la maladie paraissent insuffisants face à l’amplitude du phénomène. Ils consistent en des traitements symptomatiques, des abattages, une limitation des mouvements et une désinsectisation des animaux et des bâtiments.

Mais encore faudrait-il que la lutte insecticide  – fondée sur l’emploi de pyréthrinoïdes – soit organisée et généralisée…

En attendant le vaccin, une action de communication et de formation

« Les zones humides sont les plus touchées et, aujourd’hui encore, les pâtures sont envahies de moucherons. Si, depuis un an, le traitement insecticide est obligatoire chez les animaux qui sortent, les éleveurs ne s’y fient pas et ceux qui n’avaient pas l’habitude de traiter ne le font pas davantage (mes ventes d’insecticides n’ont pratiquement pas progressé cette année). Mais l’impact économique et moral de la maladie est particulièrement important. Nos clients nous appellent à l’aide, ils sont avides d’informations et pressés d’obtenir des réponses. En attendant la vaccination, nous avons une mission de communication et un rôle de formation », estime Alain Poismans. En effet, un vaccin, seul moyen efficace de maîtriser l’infection, est attendu pour 2008. Une série de campagnes vaccinales devraient ainsi être mises en œuvre à compter de cette date, pour lesquelles les praticiens seront sollicités.

« Bien entendu, notre crainte est aussi que l’épizootie reprenne l’année prochaine, et il n’est pas certain que le vaccin sera disponible à la mise en pâture, souligne néanmoins notre confrère des Ardennes. S’il est acquis maintenant qu’il reviendra aux vétérinaires d’assurer cette vaccination (le maillage vétérinaire a été mis à rude épreuve, mais il a une nouvelle fois prouvé sa nécessité), les doses seront-elles disponibles en quantités suffisantes pour satisfaire la demande ? S’il faut vacciner tous les animaux qui sortent (adultes, jeunes bovins et veaux), en deux fois si le vaccin est inactivé, nous devrons également faire face à de sérieux problèmes d’aménagement du travail. »

La fièvre catarrhale ovine est malheureusement une affection avec laquelle vétérinaires et éleveurs devront désormais compter dans leur pratique quotidienne…

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1280 du 31/8/2007, pp. 14-15.

  • (2) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1287 du 19/10/2007 en page 17.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Les présentations des autorités vétérinaires à la Commission européenne (réunion du comité santé animale des 2 et 3 octobre 2007) sont disponibles sur http://ec.europa.eu/food/committees/regulatory/scfcah/animal_health/presentations_en.htm#23102007

• La situation en France est détaillée sur http://agriculture.gouv.fr/sections/thematiques/sante-protection-animaux/maladies-animales/fievre-catarrhale-ovine

• La situation en Belgique est exposée sur http://www.afsca.be/crisis/sa-blueT/catarrhale_fr.asp

• Les symptômes observés en 2006 sont rappelés dans La Semaine Vétérinaire n° 1284 du 28/9/2007, pp. 34-36.

• Le Vade-mecum FCO est consultable en ligne à l’adresse http://blue-tongue.cirad.fr/Vademecum/Vademecum%20FCO.pdf

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