Des milliers de crocodiles résident aux portes de la capitale malgache

L’élevage Reptel est situé à moins d’une demi-heure de Tananarive, la capitale malgache. Depuis 1992, cette société associe un parc animalier à son activité d’élevage et de transformation. Chaque année, cette ferme de 18 000 spécimens produit 6 000 crocodiles dont les peaux sont destinées à l’industrie du luxe, à partir de deux sources d’approvisionnement en œufs. La première, le farming, consiste à récolter les œufs pondus par le cheptel reproducteur de l’exploitation. Le ranching, pour sa part, est la collecte d’œufs dans le milieu naturel. Le farming, plus aisé à contrôler, permet de sécuriser la production. L’autre méthode vient en complément.

Le respect de l’orientation de l’œuf est primordial pour sa pérennité

La période d’accouplement à la ferme suit les rythmes naturels, elle a donc lieu entre juillet et août. Chacune des 120 femelles du cheptel reproducteur pond environ 40 œufs. Dans la ferme, la surveillance quotidienne des pontes est optimisée. Cela permet une collecte rapide des œufs. Pour le ranching, le ramassage est confié à des collecteurs locaux qui connaissent les habitudes des crocodiles. Une fois le nid localisé, ils déterrent rapidement les œufs après la ponte et leur apportent un soin scrupuleux (identification de l’œuf, annotation de son axe vertical, dépôt dans une boîte isotherme garnie de vermiculite). Le respect de l’orientation de l’œuf est primordial pour sa pérennité. En effet, une rotation peut provoquer une perte de viabilité. Un avion affrété par Reptel les récupère périodiquement.

Le farming permet de meilleures performances

Grâce à des conditions de collecte précoces et clémentes (peu de transport, placement rapide en incubateur), le taux d’éclosion des œufs issus du farming est meilleur que lorsqu’ils proviennent du ranching (80 à 90 % d’éclosion au lieu de 70 à 80 %). Dans les deux cas, les taux d’éclosion sont supérieurs à ceux observés dans la nature, où moins de 1 % des œufs pondus donnent un crocodile adulte. Dans l’élevage, les pertes les plus importantes (5 %) interviennent la première année. Les deux suivantes, elles se limitent à 2 % par an. En revanche, le coût d’un animal obtenu via le farming reste supérieur à celui d’un animal provenant du ranching, en raison des frais d’entretien du cheptel reproducteur.

Plus d’un an de soins attentifs est nécessaire

L’excellence des résultats de l’élevage Reptel ne doit rien au hasard. Entre le moment où les œufs sont collectés et la fin de la période de nursery, les petits crocodiles sont l’objet de toutes les attentions. Dès leur arrivée dans les locaux, les œufs sont préparés, brossés, désinfectés puis séchés afin d’éliminer tout risque de contamination. Ils sont numérotés selon le nid dont ils proviennent. Chacun est ensuite placé dans un tiroir à claies de la salle d’incubation. A partir de cet instant, la température (31,5°C +/- 0,1°C), l’hygrométrie et la qualité de l’air sont strictement contrôlées pendant les douze semaines d’incubation. Durant cette étape, les œufs sont régulièrement inspectés pour s’assurer de leur état sanitaire.

Après l’éclosion, les nouveau-nés sont transférés dans la nursery, constituée de bassins hors-sol de 20 m² dans lesquels les paramètres d’ambiance sont strictement contrôlés. De 34°C à leur arrivée dans la nursery, la température descend progressivement à 30°C dans les semaines qui précèdent le transfert des jeunes crocodiles dans les bassins extérieurs. Au niveau de la nursery, un statut sanitaire optimal est garanti par un nettoyage régulier des bassins. Pour préserver la tranquillité des animaux, les visites quotidiennes se limitent à la distribution de l’aliment et à la surveillance. Au cours de la croissance, la densité est progressivement diminuée.

Les bassins permettent un compromis entre confort et qualité de la peau

Après dix mois de confinement, les jeunes crocodiles découvrent le grand air dans des bassins extérieurs, où ils restent jusqu’à leur abattage. Pour rationaliser la gestion et limiter la compétition alimentaire, les animaux sont regroupés par taille (deux à trois lots au maximum pour chaque classe d’âge). Le sexe n’entre pas en ligne de compte pour le tri. Si l’état de certains se dégrade, ils peuvent exceptionnellement être placés en observation dans un bassin d’isolement.

La conception des bassins assure un compromis entre le confort des animaux et l’optimisation de la qualité de leur peau. Les crocodiles peuvent s’installer sur la berge, dans l’eau ou à l’abri du soleil. Pour préserver la qualité de la zone ventrale de la peau (celle dont la valeur marchande est la plus importante), la pente et la granulométrie du bord de la berge, ainsi que la profondeur des bassins sont étudiées pour limiter les risques de rayure des écailles.

L’état sanitaire est optimisé par le contrôle du stress des crocodiles

A première vue, un crocodile semble robuste. Pourtant, il est particulièrement sensible au stress (thermique, prophylactique, alimentaire et lié au changement d’habitude). Le contrôle de l’état sanitaire passe en priorité par la limitation des facteurs de stress et de la variation des paramètres d’élevage (contrôle fin de la température, de l’hygrométrie et de la qualité de l’air). La qualité de l’aliment doit rester constante. La limitation du stress exige également le respect de détails dans les interactions quotidiennes avec les animaux, comme des horaires réguliers, une limitation du bruit, etc. A la fin de la période d’élevage, les crocodiles atteignent leur maturité immunitaire et deviennent alors résistants aux agents pathogènes.

Même si notre confrère Marc Gansuana, praticien de l’élevage, reconnaît le plaisir et la satisfaction communes à tout vétérinaire ou éleveur de sauver l’un de ses animaux, le jeu n’en vaut pas toujours la chandelle. Dans la plupart des cas, son action consiste à déterminer la variable environnementale à l’origine de l’affection et revenir à des conditions optimisées. Peu de traitements sont administrés aux animaux malades (hormis l’alimentation complémentée en oxytétracycline lors d’entérite).

Par rapport à l’espérance de vie d’un crocodile du Nil dans la nature, qui peut atteindre cent ans, le cycle de production des spécimens de l’élevage de Reptel est assez court. Une trentaine de mois s’écoulent entre la ponte et l’abattage des animaux. Ils mesurent alors de 1,20 m à 1,50 m, pour une taille à l’éclosion de 25 cm. Les crocodiles grandissent de 5 cm par mois pendant leurs années d’élevage, ce qui est bien supérieur à la croissance en milieu naturel. Outre les conditions d’élevage optimisées, le programme alimentaire explique ce niveau de performances.

Le premier poste de dépenses est celui de l’alimentation

L’alimentation représente 70 % du coût de production. Le deuxième poste de dépenses est constitué par les frais de collecte en ranching (rétribution des collecteurs, transfert en avion). Les 20 % restants couvrent les frais vétérinaires, de personnel et d’infrastructure. L’alimentation, servie à une température minimale de 25°C, est constituée en grande partie de poissons pêchés localement, complémentés en vitamines (en particulier la vitamine B) et en calcium. En l’absence de prémixes spécifiques aux crocodiles, les responsables de l’élevage utilisent ceux destinés aux volailles. Durant les trois premiers mois de leur vie, les crocodiles sont alimentés quotidiennement. Cette fréquence diminue pour atteindre cinq fois par semaine vers huit mois puis trois à quatre fois par semaine.

La peausserie est le principal débouché de l’élevage

La raison d’être de Reptel a toujours été la production de peaux de qualité (70 % du chiffre d’affaires). Les derniers 30 % sont constitués par les activités liées au parc Croc farm, attenant à l’élevage, et à la vente de la viande. L’essentiel des peaux produites est destiné à l’exportation (France, Etats-Unis et Japon), pour les grandes marques du luxe.

Juste après l’abattage, les animaux sont dépecés. Les peaux sont débarrassées de tout résidu de chair puis salées, avant de suivre un traitement tenu secret (obtention de “peaux vertes”). La société a choisi d’abandonner le tannage au chrome au profit d’une solution plus écologique à base d’écorces de mimosa.

Une partie des peaux sont transformées à la ferme. Les artisans maroquiniers, qui représentent 20 % des cent dix salariés que compte Reptel, produisent des articles destinés au marché local, mais néanmoins de luxe (les articles de maroquinerie sont vendus à la ferme, dans quelques boutiques duty free de l’aéroport, ainsi qu’à l’hôtel Hilton de Tananarive).