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Auteur(s) : Stéphanie Padiolleau
A l’heure où les distributeurs annoncent une augmentation du prix des produits laitiers, l’avenir de la filière lait reste nébuleux. Les constantes hausses des tarifs de l’énergie, l’accroissement du prix des céréales et la prochaine suppression des quotas laitiers, sans négliger la possible compétition territoriale avec la production d’agrocarburants, sont autant de facteurs d’inquiétude pour les éleveurs.
En France, la surface agricole utile (SAU) représente environ 29 millions d’hectares, soit 54 % du territoire national. Elle comprend les terres arables (grandes cultures, cultures maraîchères, prairies artificielles, jachères), les surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, alpages) et les cultures pérennes de type vergers ou vignes. L’augmentation de la population et les modifications du mode de vie conduisent à une redistribution de l’orientation des terrains d’une activité agricole vers une occupation non agricole. Ainsi, chaque année, la superficie dédiée effectivement à l’agriculture perd 10 m2 par habitant, soit la surface agricole d’un département tous les six à huit ans. Ces terrains “artificialisés” sont affectés à la création de réseaux routiers, à la construction de lotissements ou se transforment en espaces de loisirs pour les familles ou encore en pré pour les chevaux. Certaines surfaces sont aussi alourdies de contraintes environnementales relatives à la protection de l’eau (zones inondables, périmètres de captage) ou à la préservation de la faune et de la flore.
L’une des menaces pour l’élevage est liée au changement d’orientation de la production de certaines parcelles ou à la reconversion des éleveurs en producteurs de matières premières pour les agrocarburants.
Le comité d’experts de l’Office national interprofessionnel des grandes cultures (ONIGC), qui a estimé la surface nécessaire pour atteindre le but européen de 5,75 % d’utilisation d’agrocarburants en 2010, produit des conclusions trompeuses. Selon lui, l’objectif français de 7 % d’incorporation pourra être atteint en consacrant 1,713 million d’hectares aux agrocarburants, soit un peu plus de 6 % de la SAU. Actuellement, quelque 600 000 ha sont déjà affectés à cette production, et 700 000 autres produisent du colza exporté. Ainsi, le déficit à combler représenterait 1 % de la SAU et n’aurait pas ou peu d’impact sur le reste de l’agriculture. Toutefois, rien n’indique que tout ou partie du colza actuellement expédié à l’étranger sera réorienté vers la production de bioéthanol. Dans l’éventualité d’un maintien des exportations au même niveau que fin 2007, il conviendrait alors de reconvertir plus d’un million d’hectares de terres labourables, soit près de 4 % de la SAU.
Dans l’immédiat, cette production dédiée aux biocarburants ne concurrence que celle des céréales. Les surfaces en herbe pourront être menacées plus tardivement, lors de l’arrivée des agrocarburants de deuxième génération, malgré leur rendement plus élevé. Les plantes qui seront alors utilisées comme matières premières sont peu exigeantes et cultivables sur des sols plus variés que les céréales et les oléoprotéagineux. Dans les exploitations d’élevage-polyculture, une conversion des surfaces herbées vers la production de ces matières premières risque alors de se produire (les accords de Luxembourg de 2003 ouvrent cette possibilité pour les prairies temporaires de moins de cinq ans). Cela ne constituerait pas nécessairement une difficulté économique pour les agriculteurs, mais occasionnerait une perte en termes de production de lait et de viande, ainsi qu’une baisse de l’offre de ces produits.
En raison du prix du pétrole qui ne cesse de crever des plafonds historiques depuis plusieurs mois, l’énergie pèse de plus en plus lourd dans le budget des ménages (le fuel domestique a ainsi augmenté de 38 % entre juillet 2007 et mars 2008). Cette hausse se répercute aussi dans les exploitations laitières, qui consomment davantage que les élevages allaitants. Selon l’Institut de l’élevage(1), les postes d’énergie indirecte (engrais et alimentation) dans les exploitations laitières représentent 55 à 60 % de la consommation totale, ce taux variant selon le niveau d’intensification de la production, l’achat de concentrés et de fourrages, ainsi que la production sur le site de l’élevage qui implique une fertilisation. Les énergies directes (fuel, électricité) constituent 40 à 45 % de la consommation, dont 75 à 90 % dans les bâtiments d’élevage (voir graphiques en page 28). Les activités liées à la distribution du fourrage et à l’entretien des locaux, (paillage, raclage et curage) utilisent l’essentiel du fuel. L’éclairage et les diverses activités génèrent moins de 10 % de la consommation électrique totale. La traite est le poste qui pèse le plus lourd dans la facture : 40 à 50 % pour le tank, environ 20 % pour le chauffe-eau et de 15 à 20 % pour la pompe à vide. La consommation moyenne annuelle de fuel (1 l = 9,85 kWh) et d’électricité est évaluée à 1 360 kWh par vache laitière (890 en fuel et 470 en électricité), avec une durée de stabulation de six mois, soit 180 kWh pour 1 000 l de lait. La consommation n’est pas directement proportionnelle au nombre de vaches laitières ou à la production, mais plus le cheptel est important, plus le tank consomme.
L’alimentation est un autre facteur d’augmentation des coûts de production. Spéculation excessive, mauvaises récoltes au niveau mondial, sécheresse, demande croissante, inclinaison vers la production de matières premières destinées aux carburants non fossiles au détriment des productions alimentaires : les causes sont nombreuses et variées. Mais le résultat est là : vouloir diminuer la dépendance au pétrole accroît artificiellement la valeur des produits de première nécessité, parallèlement au prix des céréales. Les hausses du blé et du maïs enregistrées l’an passé (respectivement 40 % et 25 %) se traduisent par une crise de la faim à l’échelle mondiale et par l’apparition de contraintes supplémentaires pour l’élevage au niveau local, que l’utilisation des coproduits de fabrication des agrocarburants ne parviendra peut-être pas à contrebalancer(2). Certains d’entre eux sont connus, standardisés et donc utilisables, comme la pulpe de betterave, déjà incorporée dans l’alimentation des vaches. Mais la plupart (tourteaux de colza ou drèches de maïs) présentent une composition et une digestibilité trop variables pour permettre leur intégration rapide et à moindre coût dans les rations. Par ailleurs, des exigences sanitaires peuvent freiner l’emploi de certains produits. Par exemple, les mycotoxines, parfois présentes dans le blé, se retrouvent à une concentration trois fois plus élevée dans les sous-produits de fabrication de l’éthanol, ce qui les rend impropres à la consommation.
Initiée pour augmenter la compétitivité des exploitations laitières et rapprocher les cours européens des cours mondiaux, la dernière réforme de la politique agricole commune (PAC) a provoqué de multiples modifications du paysage laitier français. Si 14 % des exploitations ont disparu entre 2000 et 2005, ainsi que 140 000 vaches entre mai 2005 et mai 2007, des restructurations importantes ont été réalisées, en relation avec les impératifs de protection environnementale, mais aussi en termes de productivité et de rentabilité.
Le bilan de santé de la PAC, actuellement en cours, ne devrait pas seulement confirmer la suppression des quotas, mais surtout en préciser les modalités. Dans ce contexte, de nombreuses études ont été réalisées, dont les conclusions sont, dans l’ensemble, sans surprises. Elles prévoient en effet une hausse de la production, une baisse du prix du lait et une disparition des entreprises les moins rentables.
L’Institut d’économie industrielle a récemment publié une analyse des impacts de la sortie du système des quotas laitiers(3). Plusieurs scenarii sont envisagés (hausse progressive des quotas de 1 ou 2 % par an, avant leur suppression en 2015, suppression brutale en 2009/2010 ou en 2015/2016) et comparés à un scenario de référence : la situation telle qu’elle se présenterait en 2015 si aucune modification n’intervenait. Un maintien du système actuel jusqu’en 2015 entraînerait une augmentation du prix du lait (production stable en raison des quotas et hausse de la demande), ainsi que la fabrication de produits de grande consommation au détriment des produits industriels (beurre et poudre de lait), ce qui se traduirait par une diminution des exportations vers les pays tiers. Il s’agit, à peu de chose près, de la situation actuelle, qui s’accompagne d’effets collatéraux pour les consommateurs, largement rapportés dans les médias. La suppression des quotas, brutale ou progressive jusqu’en 2015, se traduirait par une hausse d’environ 5 % de la production, accompagnée d’une baisse moyenne de 10 % du prix du lait. Le marché intérieur n’étant pas extensible, cette augmentation de la production ne serait pas contrebalancée par un accroissement similaire de la consommation. Le volume des exportations pourra alors en bénéficier, selon la politique de soutien. Les modalités de suppression n’interviennent que pour faciliter l’adaptation de la production et la régularité du prix du lait. Selon les schémas, 25 à 40 % des exploitations laitières disparaîtraient, les éleveurs préférant se reconvertir dans la production de céréales, moins éprouvante et plus valorisante, voire cesser toute activité.
Cela fait déjà quatre ans que le quota national n’est pas atteint. Satisfaire la hausse de 2 % accordée au niveau communautaire semble difficile, même en augmentant la production ou en redistribuant les quotas à l’échelle régionale. Le cheptel laitier français, en forte baisse ces dernières années, est encore réduit par l’effet de la fièvre catarrhale qui, outre ses conséquences sanitaires directes sur les troupeaux, limite le commerce des veaux et pénalise les élevages mixtes lait-viande. Les vétérinaires ont toujours un rôle important à jouer, mais la disparition d’élevages familiaux au profit de grandes exploitations spécialisées, plus espacées sur le territoire, est une menace supplémentaire pour l’exercice rural.
(1) « La consommation d’énergie en élevage laitier », plaquette publiée en 2006, www.inst-elevage.asso.fr
(2) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1294 du 14/12/2007 en pages 30 à 33.
(3) http://ec.europa.eu/agriculture/analysis/external/milk/index_en.htm
Voir aussi : « Les agrocarburants et l’élevage, atout ou menace pour les ruminants ? », Institut de l’élevage, décembre 2007.
Concernant l’avenir des vétérinaires, au vu de la disparition des éleveurs, notamment laitiers, deux constats s’imposent.
• De nombreux cabinets ont étendu leur offre en développant leur clientèle “animaux de compagnie” pour pallier la diminution de l’activité liée aux animaux de rente. D’autres offrent de nouveaux services aux éleveurs, comme les suivis de fécondité et les études de la ration alimentaire des bovins. Cela permet de fidéliser les clients dans le cadre d’une offre globale de services. Cette option n’est toutefois pas applicable partout.
• Dans certaines régions où l’élevage ne prédomine pas, la disparition et le désintéressement de certains confrères pour la médecine rurale induisent une surcharge de travail pour ceux qui désirent poursuivre cette activité, avec des déplacements de plus en plus importants. « Il n’y a plus de vaches », entend-on dans certaines zones. En fait, il y en a moins et peu. Les éleveurs ont alors beaucoup de mal à trouver un vétérinaire rural qui accepte de prendre en charge les soins de leurs animaux, d’autant que l’augmentation du niveau de technicité des clients (ce qu’il ne faut pas regretter) réduit les interventions du praticien aux urgences.
Les formations aux éleveurs restent d’actualité, mais les disparités entre les départements sont importantes, allant du néant à l’organisation de réunions financées par les Groupements de défense sanitaire.
Marc Aubadie-Ladrix, responsable de la commission “vache laitière” à la SNGTVNouveau : Découvrez le premier module
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