France Culture propose une heure Sur les docks de Maisons-Alfort

Jeudi 20 novembre, de 16 h à 17 h, l’école vétérinaire d’Alfort occupait les ondes. Dans le cadre d’une série consacrée aux grandes écoles, Sur les docks, l’émission documentaire quotidienne de Pierre Chevalier, diffusée sur France Culture, avait glissé micros et magnétos dans les couloirs de l’ENVA, après un passage à l’Ecole normale supérieure, à l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec), à la Fondation européenne des métiers de l’image et du son (Femis), et avant un détour par l’Ecole nationale de la magistrature (ENM).

Les auditeurs vétérinaires ont certainement estimé que le reportage de Christophe Deleu et Vanessa Nadjar manquait de mordant et de perspective (ceux qui n’étaient pas à l’écoute peuvent se rattraper grâce à l’Internet⁽¹⁾). Après une heure, on retenait surtout la sidération du journaliste pour ce qu’il voyait plus que pour ce qu’il entendait. Le visiteur, ignorant des problématiques professionnelles, peut en effet être impressionné par l’anecdotique. Les jeunes étudiants étaient ainsi interrogés sur leur ressenti après les premières fouilles rectales de vaches (« Je ne sais pas si c’est facile, mais ce n’est pas désagréable… On se réchauffe »). Construite en plusieurs phases (clinique des petits animaux de compagnie, clinique ambulante autour d’un suivi de fécondité en bovine, consultations équines), l’émission donnait par ailleurs la parole à plusieurs personnalités de l’école, comme Françoise Roux, Sylvie Chastant-Maillard, Jean-Jacques Bénet, Bruno Polack et Jean-Marie Denoix, qui apportaient leur éclairage sur la féminisation de la profession, le profil des étudiants, le mode d’apprentissage ou encore l’évolution de la formation.

La confrontation avec les autres grandes écoles fait apparaître la singularité de l’ENVA

Ces cinq heures d’antenne consacrées à la singularité française que constituent les grandes écoles sont riches d’enseignements. La mutation de la société affecte de plein fouet l’école de la rue d’Ulm et l’ENM. « Les normaliens ne savent plus où ils vont. On ne peut pas continuer à valoriser un seul désir, au sens platonicien du terme, aux dépens des deux autres. Platon définit trois désirs : celui de l’argent, celui des honneurs et de la gloire, celui du comprendre et du penser. Aujourd’hui, le premier domine tout. Les normaliens passent un concours très dur et après, où vont-ils ? », témoigne ainsi la philosophe Monique Dixsaut, normalienne. L’ENM, de son côté, est présentée comme engluée dans les contrecoups du procès d’Outreau avec, en corollaire, la nécessaire ouverture à la transparence. A l’inverse, et de manière éclatante, l’Essec présente l’image d’un établissement sûr de lui. « C’est un formidable accélérateur de maturité », déclare l’un de ses enseignants. L’émission consacrée à l’école des sciences économiques met en scène des étudiants de deuxième année déjà chefs d’entreprise. Et si l’on assure que l’argent n’est pas le seul marqueur de réussite, un enseignant s’émerveille que l’un de ses anciens élèves dispose d’une valeur patrimoniale de dix millions d’euros deux ans après sa sortie de l’école…

Pour la Femis, l’accent est mis sur l’ouverture et la diversité de parcours des étudiants. L’un d’entre eux livre les conseils reçus par un “ancien” pour réussir le concours : « Il faut mettre en avant sa personnalité, oser étaler des choses un peu brutes de l’ordre de la pulsion, de la douleur, de la rage, sortir ses tripes. » Plus tard, ce même étudiant rassure les auditeurs : « Pour le concours, ils nous font faire un peu tout le contraire de ce qu’ils nous demandent pendant notre scolarité. » Visiblement, au quotidien, les enseignants de la Femis cherchent à protéger leurs ouailles de la pulsion, de la douleur et de la rage.

Le leitmotiv de l’émission consacrée à Alfort est la transmission d’un savoir. Entre étudiants anciens et plus jeunes, entre enseignants, chargés de consultation et élèves. L’auditeur “lambda” ne peut être qu’ébahi ou affolé par l’itinéraire déjà riche de Françoise Roux, entre ses études, son parcours professionnel à l’école vétérinaire de Nantes et son complément de formation pendant trois années aux Etats-Unis, le tout pour développer un nouveau concept d’urgences sur le site d’Alfort. En raison de la singularité des consultations dans les ENV, le média radiophonique capte avec force cette transmission orale du savoir.

« Normale sup ou les paradoxes de la normalité », « L’Essec, la France qui gagne », « Nos années Femis », « L’ENM, la justice en quête d’humanité » : au final, le titre de chaque documentaire reflète l’angle d’attaque pertinent ou le début d’analyse proposé par le réalisateur. A une exception près, l’ENVA, qui n’a droit qu’au peu signifiant « A l’école vétérinaire de Maisons-Alfort ». Cela montre combien la profession vétérinaire met en avant le caractère spectaculaire de sa pratique, pour mieux dissimuler les soubresauts de sa lente mutation.

• (1) Chaque émission Sur les docks est téléchargeable durant une journée et peut être écoutée sur le site de la chaîne pendant un mois (www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/sur_docks/presentation.php).