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Auteur(s) : Eric Vandaële
« Faut tout casser pour tout reconstruire », telle est l’impression d’un observateur naïf à propos de la législation sur le médicament vétérinaire, après avoir entendu pendant huit heures les principaux acteurs européens, autorités et industriels, s’exprimer à la tribune du colloque sur les perspectives d’amélioration de cette législation. Le médicament vétérinaire y apparaît bien malade, déjà en service de réanimation d’urgence. Réalité ou dramatisation excessive ? Quoi qu’il en soit, un traitement de cheval s’impose…
Nous allons traverser des turbulences. Attachez vos ceintures ! » Cette expression n’est pas celle d’un ministre de l’Economie confronté à la crise financière, ni celle de la première secrétaire du Parti socialiste en prévision de 2012, mais celle du “commandant de bord” de l’Agence britannique du médicament vétérinaire (VMD), Steve Dean. Ce sont les tout premiers mots de son discours d’ouverture du colloque organisé le 30 septembre dernier par l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) au siège de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) à Maisons-Alfort, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, sur les opportunités d’amélioration de la législation.
Les deux cents participants à ce colloque, représentants des autorités nationales et européennes, ont effectivement dû attacher leurs ceintures pour rester les pieds sur terre et ne pas être emportés par le vent révolutionnaire qu’ont soufflé les conférenciers au programme intentionnellement “provocateur”.
Toute la journée, les très sérieux directeurs des agences nationales participants seront unanimes pour reconnaître que la météo est « mauvaise », et les prévisions pas vraiment meilleures « si rien n’est fait urgemment ». « Nous voulons un changement dans la législation », ne cessent-ils de réclamer. Le « mur de législations » empêche toute évolution dans l’Union européenne à vingt-sept et bientôt à trente Etats, avec au moins autant d’agences et de points de vue différents sur un même dossier. En résumé, « il faut tout casser pour reconstruire un vrai marché unique européen du médicament vétérinaire adapté à sa petite taille ».
Ces fonctionnaires, responsables d’agences, sont ainsi sortis de leur habituel devoir de réserve dans ce type de réunion européenne. Les interventions traditionnellement plus musclées des lobbies de l’industrie du médicament et des praticiens sont apparues, en comparaison, presque modérées. Seul le représentant d’une Commission européenne « en fin de mandat » est resté prudent. Pour lui, les conclusions adoptées « ne pourront pas être prises en compte par l’actuelle Commission », sans doute par la prochaine…
« Nous sommes allés trop loin avec trop de réglementation », poursuit Steve Dean. En employant ce “nous” collectif, pour la première fois, les responsables d’agences ne renient pas une part de responsabilité dans la situation actuelle. Plus étonnant encore : « Nous forçons les praticiens à enfreindre la loi lorsque les médicaments adaptés ne sont pas légalement disponibles », ose affirmer le directeur de l’agence britannique. Chez les praticiens, l’infraction par nécessité est réelle. Mais c’est la première fois que cet argument est publiquement repris – et assumé – par un responsable d’agence. Beaucoup plus prudent sur ce point, le représentant de la Fédération vétérinaire européenne (FVE), Jan Vaarten, évoque « un conflit entre la législation et les bonnes pratiques de médecine vétérinaire », l’état de l’art vétérinaire. Les publications qui recommandent les meilleurs médicaments, dont l’usage placerait pourtant le vétérinaire en infraction, sont en effet légion.
« L’accroissement du niveau de sécurité se fait au détriment de la disponibilité », reconnaît Steve Dean. Il cite ainsi l’exemple des médicaments pour les équidés. L’objectif de protection de la santé publique, celle des rares consommateurs hippophages, conduit à restreindre le développement d’un arsenal thérapeutique équin moderne pour les chevaux de sport et de loisir. Jan Vaarten confirme que la médecine équine « concentre le plus de problèmes ». Selon une enquête, deux cents médicaments seulement sont indiqués chez les équidés, cinq cents sont utilisés, dont un quart, semble-t-il, en infraction avec la réglementation. Le praticien équin a donc recours à davantage de médicaments non indiqués chez les équidés que de spécialités équines. La cascade de prescription n’est pas exceptionnelle, c’est la règle ! La FVE propose donc d’assouplir et de simplifier les différents niveaux de cette cascade. Son caractère « exceptionnel » pour lutter contre « des souffrances inacceptables » devrait être gommé de la législation. L’objectif de la cascade devrait seulement être de répondre aux « besoins des vétérinaires ». A long terme, la FVE espère l’avènement d’un marché unique où les médicaments pourraient circuler plus librement. Des problèmes de disponibilité du médicament adapté dans un Etat seraient alors résolus par son autorisation dans un autre.
En termes d’innovation, Steve Dean regrette que le médicament vétérinaire soit toujours « à la traîne » de la pharmacie humaine. Les lignes directrices européennes ne permettent pas de favoriser l’innovation vétérinaire, bien au contraire. Les coûts et les délais de développement découragent l’émergence de thérapeutiques innovantes. Selon lui, il est nécessaire de « créer la confiance dans le système d’enregistrement ». Les autorités d’enregistrement devraient s’efforcer de « gérer les risques » plutôt que de « les éliminer ».
Jusqu’à présent, le risque sur les médicaments vétérinaires est considéré comme “subi” plutôt que “choisi” par le public, professionnel ou non. Les autorités décident seules quel est le niveau du risque subi acceptable pour la santé animale et la santé publique. Face à un risque subi, le principe de précaution conduit souvent à refuser les produits mal évalués.
Steve Dean propose une approche radicalement différente : « Il convient de laisser le public décider » des risques qu’il accepte ou qu’il refuse, et non pas de décider à sa place. Encore faut-il que la communication sur les risques soit explicite, claire, transparente. « Aujourd’hui, les praticiens et le public ne comprennent pas les informations qui figurent sur les notices. » Il convient alors de soigner une rédaction (et une traduction) plus transparente et explicite. L’utilisateur bien informé sur les risques peut, non pas les subir, mais décider de les choisir et de les assumer : une sorte de « consentement éclairé » sur les risques.
« Une meilleure transparence sur les risques des médicaments est préférable à l’absence de médicaments », souligne-t-il. La pharmacovigilance post-AMM peut, par la suite, aider à une meilleure connaissance, plutôt que de multiplier les études d’innocuité dans le dossier d’autorisation de mise sur le marché.
Là encore, dans ce type de colloque, c’est la première fois qu’un directeur d’agence propose « de prendre davantage de risques proportionnés à la taille des marchés » et de transférer ainsi une partie de l’évaluation pré-AMM à la pharmacovigilance post-AMM.
« Faisons quelque chose. Ayons du courage. Il faut faire mieux ! », conclut Steve Dean, à dessein provocateur. En substance, « osons prendre des risques pour favoriser l’innovation ». Un discours applaudi, mais à contre-courant de la pensée unique.
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