Fuligineuses ratiocinations, ou les tribulations d'un vétérinaire au XXIe siècle - La Semaine Vétérinaire n° 1368 du 10/07/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1368 du 10/07/2009

Entre nous

VOUS AVEZ LA PAROLE

Auteur(s) : Thierry Boissieras

Fonctions : encore praticien à Ambérieu-en-Bugey (Ain).

La rédaction salue l'étendue du vocabulaire et l'habileté avec laquelle notre confrère Thierry Boisseras s'en sert pour nous faire partager les réflexions que lui inspire l'évolution de la profession. A vos dictionnaires.

Lors d'un article précédent, je m'excusais auprès des plus jeunes du lectorat des mots désuets employés. Je réitère, je ne peux pas m'en empêcher. Mea culpa, mea maxima culpa.

Ah ! cet irréfragable et inextinguible besoin de l'homme de faire de nécessité vertu, à toujours désirer modifier les choses, à ne plus vouloir être un animal, à se croire pétri de raison ! Comment lutter contre les fourriers de l'apocalypse, sinon en invoquant les mânes de Bourgelat ou les lémures de nos anciens comme mannes salvatrices ? Certains marmonnent des patenôtres ou soliloquent, d'autres vendent à l'encan leur art, mieux vaut résister.

Délaissons aux grandes surfaces l'exclusivité des APE et autres vermifuges, pour raisons économiques, aux pharmaciens celle des médicaments vétérinaires, bientôt pro-vétérinaires, laissons prodiguer les vaccinations par des sous-diplômés, élaborer les diagnostics sur Internet. Il nous reste, heureusement, un acte noble, encore rémunérateur, la chirurgie. Mais que nenni, foin de tout cela. Les assurances comptent bien, à terme, encadrer les frais de nos pauvres clients, méfions-nous de leurs patelinages cauteleux. Un client assuré dépensera plus pour la santé de son compagnon. « Faut m'en met' pour 27,50 €, docteur, l'assurance y m'donne pas plus.» Pauvres maltôtiers que nous sommes.

Et vlatipa qu'un député, médecin de surcroît, sans doute harassé par ses présences à l'assemblée, propose, ex abrupto, au détour d'une philippique assassine, de déléguer les césariennes aux éleveurs, au nom de la souffrance animale et du manque de vétérinaires. J'ai une proposition à faire à ce docte et noble prétorien en mal de pensées hiératiques. Pourquoi ne pas autoriser les vétérinaires à “césariser” d'autres espèces de mammifères... les femmes, puisqu'il n'y aura plus de maternité dans notre France profonde ? Mon épouse, en gésine, garde encore en mémoire cette longue attente d'une souffrance, expiatoire sans doute, douze heures durant, avant d'être délivrée par un obstétricien disponible, courant de césarienne en césarienne en pleine nuit, à l'hôpital public d'une petite ville de province... à Lyon. Ah ! si j'avais eu le droit de la faire !

Cet élu remarquable sait-il seulement combien une césarienne nocturne de vache est rétribuée au vétérinaire ? Et en tant que médecin, il doit appréhender avec acuité le coût de celle d'une femme pour la Sécurité sociale. Notre économie s'en porterait bien mieux si les vétérinaires, véritables gynécologues animaliers, prenaient en charge les accouchements et les césariennes de nos amours parturientes.

Quelle ère vivons-nous ! Pauvres hères que nous sommes, ayant pour seul viatique une haire misérable, courant sur notre erre, rencognés dans une aire réduite à portion congrue, une poignée d'ers pour perfusion. De l'air !

Une bonne nouvelle supplémentaire : ceux d'entre nous assurés jusqu'alors de ne pas pouvoir céder leur part de clientèle contre espèces sonnantes et trébuchantes pourront le faire auprès de financiers bienvenus, créateurs de chaînes Vétomarché au salariat florissant, épanoui de temps libre. La mort du libéralisme nanti sonnera dès potron-minet pour glorifier ces prébendiers qui, assurément, seront de meilleurs employeurs que nous. Créons des sociétés www.vetonet, qui proposent tout du sol au plafond, chirurgie à télédistance, les urgences traitées par télépathie et les consultations par télé-empathie.

Billevesées, balivernes, fariboles, coquecigrues, sornettes et autres sottises terrassent le bon sens. Nous naviguons de charybde en scylla, tel un radeau drossé à la côte, au gré des réformes.

Pourtant, notre profession jouit encore d'une bonne image, même si elle se meurt lentement mais sûrement comme les poètes disparus.

Je résisterai jusqu'au bout, je ne me féminiserai pas en salariée de Véto-marché ou Easyvet, au nom de mes anciens. Je laisse aux autres le plaisir de devenir des poules en batterie, des poulaillers low cost. Avant de mourir intestat, en pleine déshérence, je me console en pensant à ma prochaine cession exaltante, espérée frénétiquement depuis cinq ans, celle d'avoir le privilège de conserver au moins le titre de docteur ès qualités en risques professionnels et autres rayonnements cosmiques, à défaut de celui de vétérinaire.

Serons-nous victimes du syndrome de palingénésie ? Il faut supprimer notre profession, laisser aux vrais docteurs, ceux qui préconisent la disparition des chats dans l'environnement des femmes gravides, trop au fait des zoonoses, et aux maréchaux-ferrants d'antan le soin de gérer grippes et pestes de toutes sortes à venir.

Notre pays semble être parmi les meilleurs quant au maillage sanitaire de son territoire, mais les vétérinaires et leur histoire n'y sont pour rien... Bourgelat, réveille-toi, ils sont devenus fous.

Ne craignons pas l'érythrophobie. Mes chers confrères élus, si vous avez conservé une âme de bretteur chevaleresque, appointez vos lames dans les couloirs des assemblées pour combattre ces spadassins stipendiés et autres sycophantes, incitateurs à l'exercice illégal de l'ars veterinaria.

A l'aune du bicentenaire de la naissance de Darwin, osons revendiquer le droit de soigner tous les mammifères sans exception. Après tout, l'homme est une espèce comme les autres, surtout quand il ne parle pas.

« Il paraît que la nature nous a donné l'amour-propre pour notre conservation, et la bienveillance pour la conservation des autres. Et peut-être que, sans ces deux principes, dont le premier doit être le plus fort, il ne pourrait y avoir de société. » Voltaire.

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1334 du 7/11/2008 en page 7.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur