De l’effet de la pratique vétérinaire sur la fabrication des meringues

Quelle relation existe-t-il entre le tétanos chez le cheval et les meringues ? C’était il y a plus de cinquante ans ! Le tétanos était alors assez fréquent dans notre région de Moselle, peut-être en raison des chevaux enterrés çà et là après les combats qui s’y étaient déroulés en 1870 puis en 1914-18.

Chaque fois que je me trouvais en clientèle devant un cheval atteint de tétanos, je le guérissais à ma manière. Pas de sérum anti-tétanique, car les doses nécessaires auraient coûté beaucoup trop cher, pour un résultat somme toute aléatoire. J’utilisais un sel de magnésium que je me procurais en pharmacie. Le magnésium atténuait considérablement les violentes crises de tétanie généralisée provoquées par le moindre son ou le moindre contact (ces crises sont extrêmement usantes pour l’animal malade). J’ai guéri de cette façon plus d’une demi-douzaine de chevaux.

Mais durant la période où le trismus empêchait toute prise d’aliments, il fallait nourrir l’animal atteint. Je lui faisais donner, en lavement, des litres de jaunes d’œufs (une douzaine de jaunes au moins chaque jour). Ainsi pouvait-on le maintenir en vie, pas trop dénutri, et en assez bon état, pendant cette période si délicate.

Je proscrivais naturellement l’utilisation des blancs, car l’albumine crue n’est pas absorbée au niveau intestinal. Il en restait donc d’importantes quantités dans les cuisines de la ferme, dont on ne savait que faire ! Je suggérais toujours, pour ne pas gâcher la marchandise, d’en faire des meringues.

Quelques jours plus tard, quand je passais prendre des nouvelles du cheval, je recevais des paniers entiers d’excellentes meringues. En effet, tout le monde à la ferme était las, voire écœuré à force d’en manger. On m’en faisait donc profiter. Mes enfants en étaient plus que satisfaits et, quand ils eurent compris la cause de ces cadeaux, les accueillaient d’un : « Tu as donc un cheval en traitement ? »

Quittant la simple anecdote, je voudrais ajouter qu’au nombre des chevaux guéris figurait une jument en gestation. La gestation se poursuivit normalement. Jugeant cette situation assez extraordinaire, je demandai au propriétaire de bien vouloir m’avertir dès que le poulain serait né, c’est-à-dire dès avant sa première tétée, ce qu’il fit volontiers. Je prélevai du sang de ce nouveau-né pour l’envoyer à l’Institut Pasteur, en joignant un échantillon du sang de la mère. Quelques jours après, je renouvelai la ponction chez le poulain. Il fut confirmé que ce dernier ne possédait à sa naissance aucun anticorps antitétanique, tandis que sa mère en présentait un taux sanguin élevé. Ce n’était que par le lait qu’il en recevait ensuite, son taux d’anticorps antitétaniques devenant presque égal à celui de sa mère.