ITINÉRAIRE D’UN ALIMENT EN CENTRALE D’ACHATS

1 Je ne sais plus trop quand j’ai quitté les entrepôts du laboratoire qui me fabrique. C’était peu confortable, nous étions toutes serrées comme des sardines… un comble pour des boîtes d’aliment au poulet ! Des sardines sur palette, enrobées de plastique, avec un numéro de lot.

Le camion a roulé longtemps et nous sommes arrivées le matin à la centrale de Castelnaudary (Aude). Avec le dépôt d’aliments de Flassans-sur-Issole (Var) qui lui est rattaché, cette centrale dessert le sud-est et le sud-ouest de la France. Elle travaille en direct avec 450 laboratoires qui la livrent en continu.

Le chauffeur nous a déposées sur un quai, puis les réceptionnistes ont pris le relais : vérification de la commande, des correspondances entre références et quantités, produits pointés un à un avec intégration de la traçabilité du numéro de lot et des dates de péremption. Toutes ces opérations se font à l’aide de terminaux mobiles dotés d’une douchette et sont facilitées par le tatouage Datamatrix qui figure sur chaque boîte. Il permet d’assurer une parfaite traçabilité tout au long de la chaîne de fabrication et de distribution. Les réceptionnistes m’ont collé une étiquette qui reprend toutes ces informations et attribué mon futur emplacement dans l’entrepôt.

2 D’après ma voisine, aussi pet-food que moi, nous aurions pu être envoyées n’importe où. En amont, le laboratoire gère ses stocks selon les marchés européens. J’aurai donc pu me retrouver Dieu sait où, au risque de créer une “rupture labo”. Pour amortir ces à-coups, la centrale assure une gestion prévisionnelle des achats sur six mois. Elle prend en compte les aléas climatiques et les politiques commerciales des laboratoires auxquels elle passe commande. Pour baisser les coûts, par exemple, certains laboratoires ne laissent partir de leurs entrepôts que des camions pleins. Or, ces camions ne se remplissent pas aussi vite que prévu, ce qui peut expliquer les “ruptures centrale”. Mais en moyenne, entre la commande d’un vétérinaire et la livraison, il ne s’écoule que vingt-quatre heures.

Réceptionnistes, préparateurs, personnels administratifs… au total 45 personnes travaillent sur les sites de Castelnaudary et de Flassans. Ce sont les préparateurs qui m’ont transportée et installée sur mon rayon. En douceur. Mais j’ai tout de même entendu une réflexion désagréable sur mon poids : soi-disant je leur casse le dos…

3 Dans l’entrepôt, il y a deux zones distinctes de stockage : les aliments d’un côté, ambiance plutôt sympa, cool, beaucoup d’espace, et de l’autre côté les médicaments, ambiance plus guindée, avec caisses en plastique montées sur chariot. Sur 5 500 m², le hangar abrite 11 000 références. La valeur du stock atteint 5,5 millions d’euros.

Le dispositif de sécurité est particulièrement sophistiqué avec de multiples alarmes anti-intrusion et une liaison directe au commissariat. Pour assurer la chaîne du froid, une zone frigorifique de 70 m² accueille notamment les vaccins. Comme tous les produits qui passent ici, j’attendrai en moyenne quarante jours avant qu’on vienne me chercher pour honorer la commande d’un des 650 vétérinaires clients de cette centrale. 193 000 bons de commande y sont traités chaque année.

4 Le praticien qui m’a commandée l’a fait par Internet, comme les trois quarts des clients de Centravet. Dès la commande passée, les produits sont informatiquement sortis du stock, puis physiquement par les préparateurs. Ils disposent d’un terminal informatique, qui indique la composition de la commande et calcule par algorithme le trajet le plus optimisé à l’intérieur du hangar pour venir chercher les différents produits. Ils vérifient les numéros de lot et regroupent chaque commande individuellement sur une petite palette. Le montant moyen d’une commande avoisine les 200 €. J’ai attendu un petit moment près du point de contrôle avant d’être portée à proximité d’une camionnette. Les produits sont placés à l’intérieur selon le déroulement de la tournée. J’ai retrouvé les caisses de médicaments, placés en dessous dans leur gangue de plastique vert. Eux qui ont une haute opinion d’eux-mêmes, avec les prix auxquels ils s’affichent… La rumeur dit ici qu’en vérité, ils se vendent à un prix plus modeste que celui qu’ils annoncent, par un effet de marge arrière. Le pet-food reste majoritaire : pour 1 kg de médicaments, la centrale écoule 8 kg d’aliments.

5 C’est le grand départ. Pour livrer ses clients, la centrale utilise 22 camionnettes qui effectuent 25 tournées par jour. Chaque camionnette parcours en moyenne 100 000 km par an. 21 000 colis, soit 4 800 t de produits, sont livrés chaque année. Le séjour ne fut pas si mauvais que cela, finalement. Je me suis sentie perdue dans cette masse de références, mais le personnel s’est quand même occupé de moi avec attention et délicatesse. Je me dis que j’ai été un peu plus qu’un numéro. J’espère que, dans mon prochain lieu de stockage, sur les rayonnages chez le vétérinaire, je serai aussi bien considérée. Encore un peu de douceur… avant d’être dévorée !