Peut-on assurer le suivi d’un élevage à distance ? - La Semaine Vétérinaire n° 1410 du 18/06/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1410 du 18/06/2010

Justice ordinale. Compte rendu des débats

Actualité

Auteur(s) : Nicolas Fontenelle

Cette question était au centre de l’une des cinq affaires examinées en appel par la chambre supérieure de discipline de l’Ordre, le 15 juin dernier.

Une infraction au décret prescription-délivrance

Le vétérinaire X est gérant d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl) bourguignonne que d’aucuns jugent “sulfureuse” et “affairiste”. Il était présent devant la chambre supérieure de discipline pour deux affaires. La première concerne l’un des associés de la Selarl pour la rédaction non conforme d’un bilan sanitaire d’élevage (BSE), ainsi que l’utilisation et l’incitation à l’utilisation de médicaments non conformes. La seconde vise la personne morale qu’est la Selarl pour sollicitation à la vente de médicaments. Elle a été condamnée en première instance à trois mois d’interdiction d’exercice, dont deux avec sursis. Dans la première affaire, le président du conseil régional de l’Ordre (CRO) de Bourgogne fait appel d’une décision de relaxe prise par la chambre de discipline. Selon lui, la décision a été rendue hors de la présence des vétérinaires ruraux membres du CRO. Ils n’ont pas mesuré l’enjeu de l’affaire. « C’est une infraction caractérisée au décret prescription-délivrance. Ce vétérinaire n’avait jamais mis un pied dans cet élevage. Or, un BSE doit être réalisé par un praticien régulièrement présent dans l’élevage, qui y accomplit des actes et en assure le suivi, assure-t-il. Le BSE, tel qu’il a été rédigé, est un catalogue d’affections et le protocole de soins un catalogue de produits dans lequel l’éleveur peut piocher. Ceci est l’illustration de l’exercice vétérinaire sans diagnostic et une démarche mercantile. La chambre supérieure de discipline devra dire le droit en la matière. » La clinique du vétérinaire X se situe à 50 km de l’élevage en question. Elle a également des clients bien plus éloignés, jusqu’à 600 km, et fournit les médicaments par colisage. « Je ne vois pas pourquoi un éleveur ne devrait avoir recours qu’à un seul praticien, remarque le vétérinaire X. Il peut faire appel à un vétérinaire local pour les soins courants ou les vêlages par exemple. Nous ne leur faisons pas concurrence. Notre travail, c’est le suivi sanitaire d’élevages. 90 % de nos conseils sont verbaux. Le diagnostic est le plus souvent établi par l’éleveur lui-même. Faire un audit à 50 ou 600 km ne pose pas de problème. En ce qui concerne cette affaire, nous passons dans l’élevage deux fois par an, environ deux heures à chaque fois. Je rappelle que selon le décret prescription-délivrance, une visite par an suffit. Le BSE liste les affections qui ont touché l’élevage dans les douze derniers mois et le protocole de soins doit inclure celles qui ont déjà touché l’élevage, sans que la loi fixe de limite chronologique. Il faut donner à l’éleveur le plus d’armes possibles face aux maladies à traiter ».

« Vous dites ne pas faire concurrence aux vétérinaires locaux. Mais sur le médicament, vous leur faites directement concurrence, remarque un conseiller ordinal.

— Oui, mais la concurrence est nécessaire. Un éleveur va commander chez nous parce que les produits sont moins chers, mais aussi parce qu’ils sont toujours disponibles. Nous avons un stock permanent, il y a toujours quelqu’un pour leur répondre au téléphone et leurs médicaments arrivent le lendemain par colis. Beaucoup de confrères devraient se mettre au colisage d’ailleurs. Nous proposons un service en plus, voilà pourquoi les éleveurs s’adressent à nous.

— Dans le schéma que vous décrivez, vous faites un diagnostic sans voir l’animal, reprend le conseiller.

— Je consulte l’éleveur qui me décrit les symptômes. Nous utilisons également des analyses complémentaires. Nous avons affaire à des lots d’animaux, des affections de groupe. Nous n’avons pas besoin de poser notre stéthoscope sur le cœur des animaux pour savoir de quoi ils souffrent. Notre rôle est un accompagnement, un enseignement. »

Dans cette affaire, l’avocat du vétérinaire X demande la nullité du premier jugement. Il affirme, notamment, que le rapporteur a tenu des propos « incompatibles avec sa fonction » sur un forum Internet réservé aux vétérinaires, où il expliquait tenir « le vétérinaire X dans le viseur » et qu’il allait « finir par l’avoir ». De ce fait, l’instruction de l’affaire n’a pas été impartiale. Il estime également que le président du CRO, qui ne s’est pas vu notifier la décision de la chambre de discipline, ne pouvait en faire appel.

Dans la seconde affaire, la Selarl en tant que personne morale est visée. La Direction des services vétérinaires (DSV) du Haut-Rhin a retrouvé chez un éleveur une facture de la clinique du vétérinaire X, datant de 2003, accompagnée d’un Post-It sur lequel était indiqué : « Vous n’avez pas suivi mes conseils de vaccination et vous ne commandez plus rien. Je ne peux intervenir. »

Lorsque le président lui donne la parole, le vétérinaire X, plutôt que de se défendre sur les faits, préfère se lancer dans une plaidoirie pro domo. « Je sais que notre activité est incomprise par mes confrères. Que notre mode d’exercice me vaut de me retrouver devant vous régulièrement. Mais la loi est faite pour tous les vétérinaires et il n’y a pas que nous qui devons la respecter à 100 %. Tout le monde essaie d’appliquer au mieux le décret prescription-délivrance. C’est une question de curseur. Si vous le placez trop haut, 99 % des confrères se trouveront dans l’illégalité. Vous devez le placer sur la pratique commune et non sur celle considérée comme idéale. Nous avons besoin d’avoir les éleveurs avec nous. C’est eux qui diront s’ils ont besoin de nous ou des pharmaciens. Nous devons faire cause commune avec eux et prouver que nous pouvons nous auto-concurrencer sur la délivrance du médicament. »

Pour cette seconde affaire, l’avocat du vétérinaire X fait remarquer à la chambre que les faits incriminés remontent à 2003, alors que la Selarl a été légalement constituée en 2005. « Vous ne pouvez la tenir pour responsable de faits à une date à laquelle elle n’existait pas, remarque-t-il. Pensez également que si vous maintenez cette décision, tous les salariés seront touchés. » Décisions le 8 juillet.

Il laisse les éleveurs vacciner eux-mêmes

Le vétérinaire Y fait appel d’une décision de la chambre de discipline de l’Ordre régional de Poitou-Charentes lui infligeant, en juin 2009, six mois d’interdiction d’exercice, dont trois mois avec sursis pour avoir délivré des vaccins contre la fièvre catarrhale ovine (FCO) à des éleveurs, afin qu’ils vaccinent eux-mêmes leurs bêtes. La DSV des Deux-Sèvres a découvert le pot aux roses. Après une enquête auprès des éleveurs clients du vétérinaire Y, elle constate, à la mi-août 2008, qu’il a ainsi écoulé vingt-huit mille doses de BTV 08. Elle l’appelle et lui notifie les règles en matière de vaccination FCO. Il reconnaît les faits, mais explique qu’il est débordé et qu’il a dû subir une hospitalisation de trois semaines pour une grave dépression. Alerté, le CRO lui propose de l’aide : des bras pour vacciner. Il refuse et ne tiendra pas compte de l’avertissement qu’il vient de recevoir. Il délivrera environ dix mille autres doses de la même manière.

« Pourquoi, après l’appel téléphonique de la DSV, avoir continué alors que vous saviez que la vaccination par les éleveurs était illégale ?, demande le président de la chambre de discipline.

— Compte tenu de mon état de santé, et face à la pression des éleveurs, je n’avais pas d’autres solutions, se défend le vétérinaire Y. Je ne pensais pas que les éleveurs seraient à ce point demandeurs d’une vaccination qui n’était pourtant pas obligatoire.

— Vos confrères vous ont-ils proposé de l’aide ?

— Je n’ai pas accepté, c’est vrai. Ils étaient tous aussi débordés que moi et n’auraient pu intervenir assez tôt. Je tiens à dire que je n’ai certifié aucune vaccination et ne me suis pas fait payer. Depuis cette affaire, j’ai assuré moi-même toutes les vaccinations avec le collaborateur libéral qui m’a rejoint. »

L’avocat du vétérinaire Y plaide les circonstances atténuantes : « Vous êtes en présence de quelqu’un d’honnête qui a reconnu les faits et a pris ses responsabilités. Mais il a craqué. Trop de travail, trop de pression. Il a fait un épisode dépressif aigu qui l’a conduit à l’hôpital. Lorsque la DSV l’appelle, il vient juste d’en sortir et se trouve en arrêt maladie. Il ne pouvait apprécier la situation sereinement. Si vous confirmez la décision initiale de trois mois d’interdiction ferme, les conséquences seront lourdes. Il est encore fragile. Il subit régulièrement des hospitalisations en centre psychiatrique. Une semaine encore, en février dernier. Depuis deux ans, son comportement est irréprochable. Je vous demande la relaxe. » Décision le 8 juillet.

Un CRO pris en défaut de procédure

La chambre disciplinaire du CRO Champagne-Ardenne a condamné, en juin 2009, le vétérinaire Z à une suspension d’exercice de trois ans, dont une année ferme, pour avoir rédigé une ordonnance non conforme. Il a prescrit, en juin 2008, du Dexaphénylarthrite® pour un élevage d’ovins, un médicament strictement interdit chez les animaux de rente et qui n’a plus d’AMM depuis 2007. Le vétérinaire Z, retraité depuis 2000, mais toujours inscrit au tableau de l’Ordre, n’était pas présent à l’audience. Il reconnaît les faits. Son avocat le défend en expliquant qu’il s’agit d’une maladresse de prescription. « Alors qu’il était en train d’établir le protocole de soins de l’élevage, l’éleveur est venu lui parler de son chien, raconte-t-il. Le praticien a noté ce médicament sur l’ordonnance, alors que celui-ci était en fait destiné au chien. » « Pendant sa carrière, le vétérinaire Z était connu pour dénoncer les affairistes, je vois qu’il n’a pas résisté à la pression d’un pharmacien », remarque le président du CRO. Mais l’avocat axe sa plaidoirie sur le défaut d’impartialité de la chambre disciplinaire de Champagne-Ardenne. « Ce premier jugement est d’une nullité absolue. Le président du CRO, qui est le plaignant et qui siège à la chambre de discipline, tout comme le rapporteur, qui a instruit cette affaire, ont participé au délibéré. Manifestement, les présidents de CRO ne lisent pas la revue de l’Ordre, dans laquelle on leur rappelle régulièrement ce qu’ils ne doivent pas faire. Ce défaut d’impartialité est quasi systématique au sein de votre Ordre. Je rappelle que selon la Cour européenne de justice et la Déclaration des droits de l’homme, les prévenus ont droit à un procès équitable. Si vous n’annulez pas ce jugement, vous envoyez un signal à tous les autres CRO : vous pouvez juger en toute illégalité, le conseil supérieur sauvera la procédure. » Le président du CRO assume son erreur. Décision le 8 juillet.

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