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Auteur(s) : Eric Vandaële
Depuis environ un an, le Code de la santé publique permet et réglemente l’emploi des médicaments anticancéreux “humains” par les vétérinaires. L’utilisation des molécules classées cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) doit se faire en accord avec de bonnes pratiques. Tour d’horizon illustré.
L’article R.5141-112-3(1) encadre l’emploi, chez l’animal de compagnie, des médicaments anticancéreux “humains” classés cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Il est complété par un arrêté “bonnes pratiques” daté du 18 juin 2009 (neuf pages publiées au Journal officiel du 20 juin 2009).
En outre, les articles R.5141-122 et R.5124-44 permettent aux vétérinaires d’acquérir, directement auprès des laboratoires pharmaceutiques humains, les médicaments dits hospitaliers, listés dans un second arrêté qui comprend maintenant une dizaine d’anticancéreux. Les anticancéreux CMR ne peuvent être ni acquis, ni détenus, ni administrés par le détenteur de l’animal. Seuls les animaux de compagnie (éventuellement les équidés exclus de l’abattage) peuvent bénéficier de ces traitements. La manipulation des anticancéreux CMR est interdite par les femmes enceintes ou allaitantes, les personnes mineures ou immunodéprimées.
(1) Journal officiel du 20/6/2009. Décret n° 2009-729 (article R.5141-112-3 du Code de la santé) et arrêté fixant les bonnes pratiques d’emploi des anticancéreux.
(2) Membre du groupe d’étude en oncologie de l’Afvac.
(3) Références : A. Knobloch, S.A.I. Mohring, N. Eberle, I. Nolte, G. Hamscher, D. Simon : « Drug residues in serum of dogs receiving anticancer chemotherapy. », JVIM, mars-avril 2010, vol. 24, n° 2, pp. 379-383. A. Knobloch, S.A.I. Mohring, N. Eberle, I. Nolte, G. Hamscher, D. Simon : « Cytotoxic drug residues in urine of dogs receiving chemotherapy. », JVIM, mars-avril 2010, vol. 24, n° 2, pp. 384-390. A. Knobloch, S.A.I. Mohring, N. Eberle, I. Nolte, G. Hamscher, D. Simon : « Analysis of drug residues in saliva and hair of dogs receiveing anti-cancer chemotherapy : first results », proceeding ESVONC spring congress, mars 2010, Turin, p. 39.
• Le système clos.
• L’administration à la clinique.
• L’hospitalisation pendant 24 heures au minimum.
• Le recueil et l’incinération des déchets.
• Le consentement éclairé du propriétaire.
Valentine Chamard, Cécile Soyer(2)Deux médicaments disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) vétérinaire contre le mastocytome : le masitinib (Masivet®, ABSciences) et le tocéranibe (Palladia®, Pfizer), tous deux inhibiteurs de la tyrosine-kinase. Pour autant, leurs résumés des caractéristiques du produit (RCP) indiquent un emploi pour les mastocytomes récidivants non résécables. Une chimiothérapie adjuvante à la chirurgie, à base de vinblastine-prednisolone ou de lomustine est donc le traitement de première intention, sauf si le mastocytome est d’emblée non résécable ou métastasé.
V. C. et C. S.Les vétérinaires ne sont pas dans l’obligation d’employer des anticancéreux, ni même de le proposer. Dans le cadre del’obligation de moyens, ils devraient toutefois évoquer la chimiothérapie face aux tumeurs pour lesquelles des preuves d’efficacité sont apportées par la littérature, comme le mastocytome ou les lymphomes. Mais il convient aussi de prendre en compte au cas par cas le contexte et l’entourage (conditions de vie de l’animal, motivation du propriétaire, espérance de vie de l’animal, présence de femme enceinte, etc.), afin d’apprécier la balance bénéfice/risque.
V. C. et C. S.Les molécules CMR présentent deux principaux risques : malformation fœtale chez la femme enceinte exposée et risque cancérigène. Toute femme en âge de procréer ne devrait donc pas être exposée à ces molécules (les trois premiers mois de grossesse étant les plus “à risque” vis-à-vis des malformations).
Il s’agit d’une toxicité de contact (pas de rayonnements émis). Si la toxicité est bien réelle et ne semble pas dépendante de la dose, les études publiées à ce sujet, anciennes, ont été réalisées chez des infirmières spécialisées en milieu hospitalier, et ce avant l’apparition des hottes à flux laminaire. L’étape la plus “à risque” est celle de la remise en solution, où peut se produire une nébulisation des anticancéreux. Ce risque peut toutefois être considéré comme négligeable ou faible si les bonnes pratiques sont appliquées (utilisation d’une tenue adaptée et d’un système clos de transfert et d’injection). Les molécules CMR utilisées en médecine vétérinaire sont pour la plupart disponibles en solution, qu’il convient de préférer aux suspensions (pas de phase de reconstitution) et aux formes orales. Les laboratoires étudient actuellement la possibilité de fournir des “kits” prêts à l’emploi (solution au dosage requis, branché sur un système clos d’injection).
V. C. et C. S.1
Le vétérinaire est la seule personne habilitée à administrer une molécule cytotoxique (et à la préparer).
Dans chaque structure où est pratiquée la chimiothérapie (clinique ou CHV), un vétérinaire référent doit être déclaré auprès du conseil régional de l’Ordre (CRO). Il est chargé de la mise en place des bonnes pratiques de chimiothérapie (aucune formation spécifique n’est demandée). La chimiothérapie peut être pratiquée par un autre confrère de la structure, lui aussi déclaré auprès du CRO.
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La tenue portée pendant la préparation et l’administration de l’anticancéreux est spécifique. Elle consiste en une blouse et un masque à usage unique, des lunettes de protection, une coiffe, des gants stériles (le port de deux paires est conseillé). Montre, bracelets et bagues doivent être retirés.
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L’injection s’effectue au moyen d’un système clos (par exemple Tevadaptor® de Teva ou Phaseal® de Carmel Pharma).
Pendant la phase de préparation du produit, un système clos de transfert doit être utilisé, pour éviter tout risque de nébulisation (s’équiper d’une hotte à flux laminaire peut être judicieux pour une structure spécialisée).
A la clinique
Un ensemble de bonnes pratiques sont à respecter pour la mise en place d’une chimiothérapie anticancéreuse.
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L’auxiliaire peut réaliser la contention, les soins et le nettoyage des locaux. Pour ces opérations, le port au minimum de gants (deux paires pour l’entretien des locaux) et une blouse à usage unique est obligatoire.
Compte tenu du risque de malformation fœtale en cas d’exposition accidentelle au produit, il est déconseillé aux femmes en âge de procréer de s’exposer. Les soins, la contention et le nettoyage sont interdits aux femmes enceintes.
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Les anticancéreux sont stockés séparément des autres médicaments. Certaines molécules de chimiothérapie (vincristine, doxorubicine, vinblastine et kidrolase) sont conservées au froid. Il est conseillé de placer chaque solution dans un sachet hermétique. Il est interdit de mettre des aliments dans le même réfrigérateur. Les dérivés du platine sont à conserver à l’abri de la lumière. La réglementation ne stipule pas que ces produits doivent être conservés sous clé.
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Une signalétique placée sur la cage indique la présence d’un animal sous chimiothérapie.
L’animal doit être hospitalisé 24 heures au minimum, quelle que soit la molécule employée, de manière à gérer les excrétas les plus contaminés par le cytotoxique. Si le chien n’a pas uriné pendant ce délai, il est sondé avant le retour chez lui.
La cage n’a pas besoin d’être réservée exclusivement aux animaux sous chimiothérapie, mais il convient de la décontaminer avant d’y hospitaliser un animal non cancéreux. Elle doit être isolée des autres cages du chenil. Une cage à métabolisme est plus adaptée (recueil des urines contaminées). A défaut, placer des alèses dans la cage, qui seront traitées comme des déchets contaminés, de même que la litière pour les chats. Le principe est de transformer les liquides en solides.
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La séance de chimiothérapie peut se faire dans n’importe quelle pièce de la clinique. Pendant la préparation du produit et durant la séance, elle est exclusivement consacrée à la pratique de la chimiothérapie.
Son accès est limité aux personnes qui participent aux opérations. L’accès y est restreint par une signalétique placée sur la porte de la pièce, fermée pendant la séance. Les courants d’air sont évités et les systèmes de ventilation éteints.
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Les aiguilles et objets en verre (ampoules, flacons) sont placés dans le container classique à objets piquants et tranchants.
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Les éléments non tranchants considérés comme des déchets de médicaments anticancéreux doivent être placés dans un container dédié portant mention du contenu cytotoxique. Ils seront pris en charge en vue d’être incinérés par une société habilitée.
Il s’agit des médicaments non utilisés, emballages, seringues, tubulures, poches de fluides, matériels de protection (champs, blouse, gants, masque, etc.) et de nettoyage, tout élément souillé qu’il n’est pas possible de décontaminer, les excrétas des animaux traités (urines, vomitas, etc.).
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L’eau de Javel dégrade en résidus non mutagènes les principaux médicaments utilisés en chimiothérapie vétérinaire. Elle est donc utilisée pour la décontamination des surfaces, après leur nettoyage.
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L’administration d’anticancéreux sous forme orale répond aux mêmes règles que celle des voies intraveineuses. Le vétérinaire est tenu d’administrer lui-même (avec des gants) les comprimés ou gélules. Cette administration est suivie d’un temps de surveillance pour s’assurer qu’ils ne sont pas rejetés par l’animal.
Lorsqu’il n’y a pas d’autre solution que d’administrer un traitement quotidien par voie orale (par exemple le melphalan lors de plasmocytome), une dérogation existe et le médicament peut être donné par le propriétaire, avec toutes les précautions d’usage.
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Le personnel de la clinique doit être informé des risques liés à l’emploi des cytotoxiques et des bonnes pratiques d’emploi.
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Avant d’engager une chimiothérapie, le propriétaire signe un consentement éclairé, notamment sur les risques encourus. Ce consentement ne constitue pas une décharge, le vétérinaire étant responsable de toutes les étapes de la chimiothérapie, y compris après le retour à domicile. Le propriétaire s’engage à collecter les excrétas et déchets contaminés pendant la durée de surveillance.
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Les urines produites dans les lieux publics sont diluées avec une solution javellisée. Les fèces sont ramassées et évacuées dans les toilettes.
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Les chats sous chimiothérapie ne doivent pas sortir pendant la période de surveillance (pour des raisons de santé publique).
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Les déchets contaminés (papier absorbant souillé, etc.) sont jetés dans les toilettes. Les surfaces souillées sont décontaminées avec de l’eau de Javel. Les déchets qui ne peuvent être jetés dans les toilettes (comme les gants) sont placés dans un sac poubelle dédié qui sera remis au vétérinaire pour incinération.
24 heures plus tard, retour à la maison
Ce retour implique une surveillance accrue par les propriétaires. La durée de celle-ci dépend des molécules employées (par exemple, deux jours pour la lomustine, six pour la doxorubicine).
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Les contacts avec les phanères, le sang et la salive de l’animal traité sont sans danger.(3)
Valentine Chamard et Cécile SoyerGuide réglementaire. Bonnes pratiques d’emploi des médicaments anticancéreux en médecine vétérinaire, édité par l’Ordre national des vétérinaires. Les fiches techniques sont également disponibles sur le site de l’Ordre. (http://www.veterinaire.fr/documents-v2/Documents%20Pdf/GUIDEreg.pdf)
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