Que pensez-vous du colisage des médicaments vétérinaires ?

Il dévalorise notre profession

Nous sommes des vétérinaires de proximité et nous délivrons les médicaments directement à nos éleveurs. Certains d’entre eux – les gros en général – se font livrer des produits auprès d’autres structures qui pratiquent le colisage. La réglementation le permet. Mais c’est une pratique peu confraternelle, fondée sur des tarifs attractifs et sans réel suivi. Nous voyons, par exemple, des traitements au tarissement qui changent tous les mois, selon les promotions du moment… Le colisage dévalorise notre profession, car les vétérinaires sont perçus comme de simples commerçants. Un jour, un de nos éleveurs qui s’approvisionnent ailleurs, mais qui souhaitait être dépanné d’un médicament, m’a dit : « Je passerai vous voir au magasin. » Au magasin !

Le colisage augmente aussi la disponibilité des médicaments et favorise l’automédication par les éleveurs. Ceux-ci ne nous appellent qu’en seconde intention, lors d’échec de leur traitement. Ces cas sont alors difficiles à guérir et nous ne faisons pas de miracle. Cela engendre un cercle vicieux : l’intervention du vétérinaire les déçoit et leur paraît onéreuse. Nous sommes appelés encore plus tardivement et nous passons pour des “voleurs” avec les tarifs de nos produits 10 ou 20 % plus élevés.

L’existence de concurrents mercantiles, que le colisage aide à se développer, nous a amenés à réfléchir sur notre activité rurale. Il serait tentant de l’arrêter. Mais nous envisageons plutôt de développer le conseil en élevage, à l’aide de la visite sanitaire et des protocoles de soins. Nous espérons convaincre les éleveurs que la thérapeutique se raisonne selon les maladies, et non les promotions.

Seul un contrôle évitera les dérives

Le colisage est une mauvaise terminologie, qui dévalorise la pharmacie vétérinaire. Le décret prescription-délivrance a introduit la possibilité de faire porter les médicaments par un intermédiaire (un transporteur), au lieu d’une remise en main propre au cabinet ou lors d’une visite. Mais il ne s’agit pas d’un vulgaire colis. La livraison s’accompagne de dispositions strictes qui touchent notamment l’emballage, la conservation et le conseil d’usage.

Historiquement, la possibilité de livrer les traitements a été envisagée pour répondre à un besoin spécifique des filières de productions industrielles, pour lesquelles les opérations de délivrance portent sur de gros volumes de médicaments et dans lesquelles interviennent des vétérinaires spécialisés, parfois éloignés des élevages. Dans les filières plus traditionnelles, la délivrance directe doit être préférée. Dans le cas contraire, nous risquons la banalisation du médicament vétérinaire et, par extension, la dévalorisation de notre exercice.

Sur le terrain, le portage des médicaments est un procédé qui peut conduire à des dérives de la part de confrères “affairistes” (minoritaires, mais nuisibles à l’image de toute la profession). Ces dernières sont toujours couplées à une dérive des conditions de la prescription. Pour les éviter, le contrôle de l’application des règles de prescription-délivrance apparaît le seul moyen utile. Pour être efficace, il devrait porter sur le respect des quotas d’animaux prévus dans la réglementation. L’Ordre des vétérinaires est demandeur de tels contrôles. Mais c’est une tâche dévolue à l’administration et qui nécessite des moyens humains suffisants.

Le colisage est un vrai “plus” en rurale, un service aux éleveurs

Nous considérons la livraison des médicaments comme un service pour l’éleveur. C’est une demande importante, comme nous avons pu le mesurer au travers d’une enquête interne : les résultats ont révélé que nous étions d’abord appréciés pour nos conseils et notre disponibilité propre, et juste après pour la disponibilité des médicaments. Le colisage contribue à cette disponibilité du médicament. Les tarifs, eux, ne viennent qu’en troisième position.

Dans notre cas, le colisage est incontournable depuis longtemps. En effet, notre structure, basée dans l’est de la France, était initialement tournée vers les productions hors sol (porcs et volailles notamment). Vu la faible densité de ce type d’élevages dans nos régions, nos clients sont souvent éloignés.

Nous avons vu depuis se développer notre activité bovine. Dans ce cadre, le colisage est souvent ressenti par les confrères comme une concurrence déloyale. Mais à mon sens, notre réussite tient d’abord à notre vision globale des “problèmes” d’élevage. Cette approche est complémentaire du traitement des urgences et des maladies individuelles. C’est clairement devenu une demande des éleveurs bovins qui souhaitent limiter les interventions curatives au profit d’une prévention moins onéreuse.

Pour autant, le colisage est un vrai “plus” en rurale aussi, et je pense que de nombreux confrères devraient le proposer ! Sa mise en place demande cependant de la rigueur et de l’organisation. Il faut, bien entendu, respecter le décret prescription-délivrance, qui a placé un cadre clair au colisage, et plus généralement à la prescription et à la délivrance hors examen clinique…