Philippe Devienne va au bout des mots pour Penser l’animal autrement - La Semaine Vétérinaire n° 1423 du 29/10/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1423 du 29/10/2010

Philosophie

À la une

Auteur(s) : Michel Bertrou

Dans son ouvrage, notre confrère place la question de l’animalité au cœur d’une réflexion sur le langage.

La connaissance contribue-t-elle à nous relier à l’animal ? On pourra en douter après la lecture du livre Penser l’animal autrement(1) de Philippe Devienne (A 80). Praticien en Ile-de-France, l’auteur est également philosophe. L’ouvrage qu’il vient de publier(1), prolongement de sa thèse de doctorat de philosophie, ne fonde pas une théorie supplémentaire sur l’animalité, mais, étonnamment, déplace le problème au langage.

Le comportement de douleur est l’expression de la douleur elle-même

Qu’est-ce qui se joue quand, à propos d’un animal, nous disons : « Il est content, il a peur, il veut sortir, etc. » ? En creusant cette question, à la fois simple et profonde, Philippe Devienne reprend les chemins de la philosophie du langage ordinaire défrichés par Stanley Cavell, John Austin, Peter Hacker et Ludwig Wittgenstein. Dans ses recherches philosophiques (1953), ce dernier écrit : « La signification, c’est l’usage. » Autrement dit, nous ne définissons pas les mots en nous référant aux choses, mais à la manière dont nous les utilisons. Les philosophes du langage ordinaire diraient, par exemple, que la question de la douleur n’est pas « qu’est-ce que la douleur ? », mais plutôt « quand utilisons-nous le mot “douleur” ? ». Ils repèrent dans notre langage de nombreux usages distincts, irréductibles entre eux et adaptés à différents contextes. « J’ai mal », qui est une sensation, fonctionne différemment de « Il a mal », qui est une connaissance. Selon L.Wittgenstein, la plupart des problèmes philosophiques découlent de notre incapacité à comprendre correctement ces jeux de langage. S’intéressant au sens et non à la vérité, la philosophie du langage ordinaire travaille à identifier les bons usages des mots des mauvais. Elle dénonce ainsi l’erreur de la métaphysique et de la science qui utilisent les énoncés de la psychologie (mémoire, pensée, conscience, douleur) comme empiriques et causaux. En considérant qu’il n’est pas possible d’avoir un accès direct à ce qu’éprouve ou pense l’autre, le scepticisme cartésien sépare le comportement douloureux de la douleur, intérieure et cachée,et en fait une conséquence. L. Wittgenstein objecte : « Si je vois quelqu’un se tordre de douleur pour une raison évidente, je ne me dis pas “ses sentiments me sont pourtant cachés” ou “il a probablement mal”, je dis “il a mal”. » Pour lui, le comportement de douleur n’est pas un symptôme, il est l’expression de la douleur elle-même.

De même, en dignes héritiers de la vision dualiste de Descartes, les neuroscientifiques ont réduit tout ce qui est d’ordre psychologique à l’esprit ou au cerveau. « Peut-on allouer aux parties des attributs qui ne peuvent être alloués qu’au tout ? », demandent les philosophes du langage ordinaire. Pour eux, dire que le cerveau pense ou a mal n’est pas faux, mais, sur le plan de la connaissance, cela n’a aucun sens. Ce n’est pas le cerveau de l’animal qui a mal, mais l’animal.

Nous ne parlons pas d’un chien comme d’une table ou d’une carotte

Le scepticisme sur l’animal va au-delà de la connaissance objective qu’il prône, démontre alors Philippe Devienne. En se défaisant de la dimension ordinaire avec laquelle nous parlons des bêtes, le sceptique vide les mots de leur sens. Cette mise à distance de l’animal, qui en constitue un déni, ne permet-elle pas alors de justifier certaines pratiques ?, s’interroge notre confrère. Nous devons opérer un retour vers ce que nos mots veulent dire, et constater notamment, dans nos usages, que nous ne parlons pas d’un chien comme d’une table ou d’une carotte. « Ce n’est que d’un homme vivant ou de ce qui lui ressemble (de ce qui se comporte comme lui) qu’on peut dire qu’il éprouve des sensations, qu’il voit, est aveugle, est muet, est conscient ou inconscient », écrit L. Wittgenstein. A l’objection d’anthropomorphisme, le vétérinaire et philosophe répond que la logique de l’usage de nos mots est préalable à toute théorie ou connaissance, et que c’est elle qui dépasse la barrière d’espèce. Nos mots ordinaires sont davantage de l’ordre de la reconnaissance que de la connaissance, souligne notre confrère. Quand nous disons d’un animal « il a mal, il est content », nous reconnaissons sa douleur ou sa joie, nous nous relions à lui, et en cela, d’une certaine façon, nos mots nous engagent.

Cette dimension fondamentale de l’engagement dans ce que nous disons est amplement développée dans les deux derniers chapitres. « Le rôle de la philosophie est d’exercer une critique du monde dans lequel nous vivons, de ce monde qui cherche à s’échapper de notre humanité », écrit Philippe Devienne à la fin de son livre, aboutissement de plusieurs années de travail philosophique mené en parallèle (et en cohérence) avec son activité de soins aux animaux. Les praticiens qui auront la curiosité de le lire y trouveront matière à penser autrement leur quotidien.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur