Vingt-quatre heures avec Jean-Pierre Dick : le bonheur est au prés

Se préparer, c’est valable pour l’homme comme pour la machine. » Jean-Pierre Dick (A 91), à dix jours de la course, sait qu’il lui reste peu de temps pour les mises au point. Son bateau, Virbac-Paprec 3, mis à l’eau en Nouvelle-Zélande en mai dernier, a déjà fait un demi-tour du monde avec son skipper : « Il nous aura fallu deux années pour le concevoir et nous n’aurons finalement pas eu trop de temps pour corriger et affiner tous les détails. Car en voile, une course se gagne grâce à ces détails. »

Vers l’allégement systématique de tout

A quelques jours du départ de la Route du Rhum, le programme de ces réglages porte sur deux éléments clés de la navigation : les voiles et le pilote automatique, véritable coskipper. Pour son troisième bateau, Jean-Pierre Dick, dans un souci de compétitivité maximale, a opté pour l’allégement systématique. Ainsi, manœuvres extérieurs et intérieurs du bateau sont réduits à une cellule monacale : une planche fait office de cuisine, car la priorité est donnée au poste informatique qui dispose, lui, d’un siège ergonomique. Sur le côté, au sol, un matelas est juste posé.

Tout ce qui est à emporter tient dans des sacs accrochés à des bouts en bordure, lesquels seront tous à changer de côté selon la gîte. Chaque voile pèse au minimum 70 kg et Jean-Pierre Dick devra aussi les transborder suivant les allures. « Nous avons beaucoup travaillé à tout ce qui peut faire la différence. Efficacité et rapidité, ergonomie des postes de travail, tout va à l’essentiel. Modeste consolation : le matelas est mis au point par des spécialistes de la literie pour optimiser le temps de sommeil. A ce niveau sportif, la règle du jeu est simple : celui qui gagne est celui qui fait le moins d’erreurs. »

Une préparation physique et mentale capitale

Jean-Pierre Dick a énormément travaillé en amont avec deux préparateurs, l’un mental, l’autre physique. « J’ai vraiment compris l’importance de cette préparation physique : je travaille avec des séances de piscine et de gymnastique en salle avec des haltères. J’avais tendance à malmener mon corps, à mal m’alimenter, mais il est alors facile de passer d’un coup dans le rouge. En mer, avec l’épuisement, une erreur de stratégie, de manœuvre, peuvent être fatales et faire perdre une course. D’autant que traverser en fin d’automne l’Atlantique Nord n’a jamais été une partie de plaisir… » Le plaisir, il est à rechercher quand la nuit tombe et que le bateau se met au prés, ballasts remplis d’eau pour l’équilibrer : ça tape, et fort ! L’eau déferle sur le pont, tout se fait à la lampe frontale, le bateau file à toute vitesse. « Ce plaisir, il n’était pas évident pour moi, car au début de ma carrière de skipper, j’étais plus dans l’idée de l’engagement total, physique et mental, avec la douleur comme ascèse. Aujourd’hui, si l’engagement est toujours total, Loïck Peyron m’a appris à rechercher ce plaisir de naviguer. Il est plus intuitif que moi. J’avais jusqu’alors tant de connaissances à acquérir que j’ai repris mes bons vieux réflexes de “prépa” en me plongeant à corps perdu dans l’apprentissage. Avec le temps, les choses reviennent enfin à un peu plus de naturel. »

Passer de l’analyse de la situation à l’action

Jean-Pierre Dick ne renie pas sa formation vétérinaire, bien au contraire. Elle lui sert à aiguiser son diagnostic à bord. « Etablir un diagnostic, c’est passer de l’analyse à l’action. Quand il s’agit de réparer un moteur, de faire du carbone ou de regarder la météorologie pour se router, mieux vaut être dans l’idée du traitement que dans celle du bricolage. Je l’ai ressenti quand j’ai subi ma grosse casse lors de mon premier Vendée Globe, et qu’il m’a fallu sortir ma boîte à outils. »

Le jour se lève. Le bateau Virbac-Paprec 3 file sur l’eau. Partis de Lorient, nous avons viré de bord autour d’Ouessant « quand ? ». Au petit matin, Jean-Pierre répond en trois mots, « dans la nuit ». Secret de stratégie…