La juridiction de proximité de Clermont-Ferrand rend une décision peu applicable dans les faits - La Semaine Vétérinaire n° 1428 du 03/12/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1428 du 03/12/2010

Commentaire du jugement du 30 septembre 2010

Gestion

LÉGISLATION

Auteur(s) : Celine Peccavy

Fonctions : avocate au barreau de Toulouse

Ce jugement fait suite à un précédent, en date du 30 novembre 2009, récemment étudié dans cette rubrique(1). La notion de lieu de résidence, non transposable de l’enfant au chien, est au cœur des débats.

Rappel des faits et de la procédure de l’affaire

Mme A, éleveuse, remet en décembre 2006 un chien de race golden retriever à Mme G, alors âgé de huit semaines. En juin 2008, Mme A reprend possession du chien et refuse par la suite de le restituer à Mme G. Après plusieurs demandes restées infructueuses, Mme G fait le choix de saisir le tribunal d’instance de Fontainebleau, afin que la détention du chien lui soit attribuée.

Sur le fond, deux thèses s’opposent alors : Mme A met en avant son droit de propriété exclusive pour conserver le chien, aucun acte de cession n’étant jamais intervenu au profit de Mme G. De son côté, Mme G affirme qu’elle a toujours détenu le chien en « copropriété » avec Mme A, comme l’attestent tous les documents relatifs à l’animal établis aux deux noms.

Le dossier n’est cependant pas tranché sur le fond à l’audience de juin 2009 du tribunal d’instance de Fontainebleau, car une exception de procédure est soulevée.

En effet, au lieu du tribunal du domicile de Mme A, Mme G saisit le tribunal de son propre domicile, se fondant sur la résidence habituelle prétendue de l’animal.

Le tribunal saisi étant incompétent territorialement, l’affaire est renvoyée devant le juge de proximité de Clermont-Ferrand et jugée en audience au mois de juin 2010.

Prétention de Mme G

Maintenant sa volonté de récupérer l’animal, Mme G formule deux demandes, une principale et une subsidiaire (voir encadré).

A titre principal, elle demande à la juridiction de proximité :

– de reconnaître, au regard des documents présentés et des circonstances de fait ayant accompagnées la remise du chien, l’existence d’une copropriété entre les parties ;

– d’ordonner la restitution du chien sous astreinte de 100 € par jour à compter de la signification de la décision à intervenir ;

– d’ordonner à Mme A l’acceptation d’un contrat de copropriété dans les termes proposés par Mme G.

A titre subsidiaire, Mme G sollicite la fixation définitive du lieu de résidence du chien à son domicile, ainsi que la fixation des conditions financières de la copropriété existant entre les parties, et la détermination des conditions de gestion de la carrière du chien.

Argumentation en défense de Mme A

Mme A fait valoir qu’aucun contrat écrit n’a jamais été signé quant à un éventuel transfert de propriété et qu’elle est donc seule propriétaire de l’animal. Si les papiers de celui-ci sont aux deux noms, c’est uniquement, comme cela a souvent lieu en cas de placement d’un chien, pour des raisons de commodités administratives. En tout état de cause, elle est en possession du chien et peut, à ce titre, se prévaloir de l’article 2276 du Code civil qui présume que le possesseur est également le propriétaire, sauf si sa possession est considérée comme viciée.

Sur la base de cette argumentation, Mme A demande, à titre principal, d’être reconnue comme l’unique propriétaire et, à titre subsidiaire, si l’indivision est établie, que le chien continue de vivre avec elle.

Absence de contrat écrit

Le point sur lequel les parties ne peuvent que s’accorder est celui de l’absence manifeste de contrat écrit dans cette affaire : il n’y a pas de contrat de vente, mais pas non plus de contrat de placement simple de l’animal.

Certes, en droit français, un contrat n’a pas besoin d’être écrit pour être valable. Néanmoins, l’écrit permet, outre de prouver l’existence de ce contrat, d’en prouver également le contenu.

En l’espèce et face à ce vide contractuel, le juge de proximité s’est fondé sur l’article 1156 du Code civil qui dispose que « l’on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ». Il a donc jugé que, dans les conditions de l’affaire, « il convient de faire application des dispositions de l’article 1156 du Code civil et de rechercher quelle a été, dès l’origine, la commune intention des parties ».

Autour de l’article 1156 du Code civil

Le principe est posé depuis fort longtemps : « L’interprétation des contrats relève de l’appréciation souveraine des juges du fond » (Cass. 2 février 1808).

Ce principe a été maintenu dans le temps : « Il appartient aux juges du fond de rechercher l’intention des parties contractantes dans les termes employés par elles comme dans tout comportement ultérieur de nature à la manifester » (Civ. 3e, 5 février 1971).

Cependant, toute liberté n’est pas laissée, car « il n’est pas permis aux juges, lorsque les termes d’une convention sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu’elle renferme » (Civ. 15 avril 1872).

Application de l’article 1156 en l’espèce

Ici, l’appréciation souveraine du juge de proximité est la suivante : « Il existait bien entre les parties, depuis le 17 décembre 2006, une copropriété de fait sur le chien, à raison de 50 % chacune. »

Pour en arriver à cette conclusion, le juge a pris en considération les éléments suivants :

– les documents du chien portent les deux noms (la carte d’identification n’est pourtant pas un titre de propriété…) ;

– Mme G a assuré l’ensemble des soins et des formalités afférentes au chien (cela n’est pas incompatible avec le contrat de garde invoqué par Mme A) ;

– Mme A a toujours pu récupérer le chien lorsqu’elle souhaitait le présenter à une exposition ou à un concours (même observation que pour les soins) ;

– le bénéfice d’une saillie a été partagé entre les deux parties ;

– cette situation n’a pas posé de problèmes jusqu’en juin 2008 (la quiétude serait-elle créatrice de droits ?).

Rejet de l’article 2276 du Code civil

Fort de son appréciation souveraine, le juge considère que la possession du chien par Mme A n’est pas exempte de vices.

Sa motivation est pourtant loin d’être convaincante, puisqu’il n’examine pas du tout les caractéristiques que doit réunir la possession (continue, publique, paisible et de bonne foi). Le juge raisonne au contraire à l’envers, en considérant que, puisqu’il y a copropriété, Mme A ne peut se prévaloir d’une possession valable !

Reconnaissance d’une copropriété de fait

Les conséquences de cette reconnaissance sont au nombre de deux : lieu de vie du chien et organisation de la copropriété.

Quant à la résidence : le juge considère « qu’il y a lieu de remettre en état la situation d’origine et de fixer la résidence » du chien « en la demeure de Mme G ».

Quant à la gestion de l’indivision : lorsque les parties ne s’entendent pas sur la gestion de la copropriété, le texte de l’article 815-9 du Code civil dispose que l’exercice de ce droit est alors réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal. Le problème ici est que le juge de proximité n’a pas la qualité de président du tribunal.

Mais qu’à cela ne tienne, si le juge n’a pas validé le contrat proposé par Mme G, il a malgré tout tranché la question de l’organisation de l’indivision en ces termes : « Mme G devra gérer le chien et Mme A aura un droit de regard sur tous les agissements de Mme G à ce sujet. Pendant les années impaires, Mme A pourra réclamer le chien afin de le présenter à tout concours officiel, avec une préparation au travail compatible avec les usages pratiqués, étant précisé que les décisions sur la carrière du chien devront être prises en commun. Toute décision de saillie devra être prise d’un commun accord. Les frais générés par l’entretien, l’éducation et la préparation du chien seront partagés par moitié entre les parties, de même que tous les fruits produits, tant en ce qui concerne les saillies que les résultats obtenus dans les concours. »

Voilà une décision au final difficilement applicable dans les faits, étant donné la mauvaise entente entre les parties… Voilà également une décision qui n’est pas susceptible d’appel ! Il reste toujours la possibilité du pourvoi en cassation…

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1392 du 12/2/2010.

Principal et subsidiaire

Sans que cela implique, comme le pensent beaucoup de justiciables, un désaveu de son argumentation principale, le demandeur peut formuler plusieurs demandes en les présentant au juge selon un ordre de priorité qui s’impose à lui : principal, subsidiaire, infiniment subsidiaire. Procéder ainsi permet de ne négliger aucune argumentation juridique.

C. P.
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