UN AN DE DD(CS)PP ET DES INQUIÉTUDES EN ABATTOIRS - La Semaine Vétérinaire n° 1439 du 25/02/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1439 du 25/02/2011

À la une

Auteur(s) : Marine Neveux

Plus de treize mois après la réorganisation des Directions départementales des services vétérinaires, les avis sont partagés. Certains y voient une source d’économies et un élargissement des possibilités d’évolution de carrière. D’autres ressentent un malaise. Les agents, démotivés ou circonspects envers l’efficacité du système sanitaire, ne peuvent que constater la dilution des missions vétérinaires et l’effritement des services rendus aux usagers.

Une première bougie. La disparition des Directions départementales des services vétérinaires (DDSV) et leur intégration au sein des Directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) et des DDPP remontent à plus d’un an. Si cette restructuration n’a toujours pas vu de réelles concrétisations, un constat s’impose : elle n’est pas figée. Les idées fusent, voire explosent, comme en témoigne le récent projet(1), en Bretagne, de confier désormais l’inspection de salubrité aux exploitants d’abattoirs ! « L’administration improvise des solutions. Cette expérimentation illustre concrètement le problème d’effectif », s’insurge Benoît Assémat, président du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV). Un communiqué signé par sept syndicats(2) surenchérit : « Acceptant de se soumettre au diktat de la réduction drastique des moyens nécessaires à un fonctionnement simplement normal des services d’inspection de l’Etat, le cabinet du ministre de l’Agriculture cherche à se débarrasser de ses responsabilités. Il a engagé, sans état d’âme et avec la complicité active du préfet de Bretagne, une expérimentation sur les plus gros abattoirs de porcs français, afin de permettre aux exploitants de ces abattoirs d’assurer eux-mêmes l’inspection des viandes qu’ils vont vendre aux consommateurs. » Ce projet est en contradiction avec la législation européenne. « C’est un mensonge, l’assurance qualité ne peut pas remplacer l’obligation qui pèse sur les autorités sanitaires, dénonce encore Benoît Assémat. Nous n’aurons pas rempli les obligations exigées par l’Europe. »

Le projet est annoté avec ironie, mais aussi inquiétude, par le Syndicat national des techniciens supérieurs et des contrôleurs sanitaires des services du ministère de l’Agriculture Force ouvrière (SNTMA FO) : « 1 sur 20 : hors sujet ! Il n’est pas question ici d’inspection sanitaire, commente le syndicat majoritaire chez les techniciens. Commencez par vous interroger sur ce qui est plus important, entre reconnaître une viande propre à la consommation et “trier des produits pour retirer ceux qui présentent des anomalies”. Revoyez ensuite votre réglementation ! » Aucun pays ne confie l’inspection aux abattoirs. « D’ailleurs, aucun ne l’avait jusqu’à présent imaginé… Le tri des produits, c’est la première inspection ! », clame Benoît Assémat. Pourtant, le dernier rapport de la Cour des comptes avait déjà été sévère avec les abattoirs français et leur positionnement européen(3).

La RGPP génère la juxtaposition de services et une dilution des missions vétérinaires

La Révision générale des politiques publiques (RGGP) s’accompagnerait-elle d’un sérieux malaise ? « C’est le bazar ! Mais officiellement, tout va bien », répond un confrère. « Le constat d’un affaiblissement des services vétérinaires a deux origines : l’organisation de l’administration et les effectifs », déplore Benoît Assémat.

Selon près de 85 % des confrères qui travaillent dans le service public, interrogés lors d’un récent sondage(4), la RGPP engendre une démotivation croissante. Presque tous estiment même que la réduction des effectifs et des budgets liés aux contrôles et aux inspections met en péril la surveillance sanitaire. Plus des trois quarts constatent également une dilution et une perte d’identification des missions vétérinaires.

En outre, la fusion des ex-DDSV a souvent consisté en « une juxtaposition de services, selon Benoît Assémat. Chacun reçoit de façon étanche les informations. Les personnels sont mis ensemble, mais aucun progrès n’a été réalisé pour avoir une unité dans l’approche des enjeux sanitaires ». Cela aboutit à autant de lignes budgétaires différentes, au détriment des enjeux sanitaires.

La majorité des praticiens sondés s’accordent pour dire que la RGPP est une juxtaposition d’organisations existantes qui n’ont pas véritablement de lien entre elles. Une tendance déjà dénoncée par le dernier rapport de la Cour des comptes, qui déplorait cet assemblage de structures. « Si la RGPP visant initialement à rapprocher les services et à mieux mutualiser les compétences est intéressante, sa mise en œuvre est un fiasco. L’échelon départemental est un entonnoir de donneurs d’ordres qui, eux, n’ont pas diminué. En effet, il y a une dilution des missions, à tel point que certaines ne sont plus mises en œuvre », témoigne un confrère.

Des « dégâts humains » au détriment des inspections, mais quelques synergies

Un autre sujet d’inquiétude majeur, relatif au personnel, a surgi dans le sillon de la RGPP. Un confrère sondé dresse le constat alarmant « d’un niveau élevé d’écœurement, de découragement, et d’arrêts maladie afin de recoller les morceaux de science et de conscience qui peuvent encore l’être ». Un autre poursuit : « Les exécutants sont complètement démobilisés et dévalorisés. Quelques carriéristes saisissent l’opportunité, écrasent un peu plus ceux qui ont été maltraités par la suppression de leur poste, et tentent par tous les moyens de se faire remarquer. » Plusieurs témoignages abondent dans le même sens : « Il y a également un refus systématique de prêter la moindre attention aux gigantesques dégâts humains de cette réforme. » « La RGPP a entraîné une réorganisation de l’ex-DDSV en filières, et cela génère beaucoup de tensions entre agents et chefs de service. De nombreuses réunions sans intérêt laissent peu de place aux inspections sur le terrain. Nous rencontrons des problèmes d’effectifs difficilement remplaçables, surtout dans les abattoirs. Il y a davantage de missions et moins d’agents. »

Néanmoins, plus des deux tiers des vétérinaires interrogés pensent que les approches complémentaires entre des services distants sont utiles. « Nous n’avons plus de doublons en inspection : le service des fraudes qui passe un jour et la DDSV le lendemain, c’est fini ! Pour les établissements contrôlés, c’est une bonne chose », témoigne Jean-Roch Gaillet, directeur de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) de Bourgogne. En outre, « il y a des sujets que nous abordions insuffisamment : la pharmacie vétérinaire en France n’était pas assez évaluée. Ce contrôle a été mutualisé, ce qui permet de gagner en efficacité ». Notre confrère cite ainsi plusieurs secteurs où les attentes sont importantes : « Au niveau régional, nous arrivons à réunir plus aisément les compétences techniques qui ne nécessitent qu’un temps partiel dans un département, comme la protection animale. » Dans le domaine de l’offre alimentaire et de la nutrition, « une personne au moins s’en occupe par région, et des résultats concrets sont déjà constatés(alimentation à l’école et des plus démunis, prévention de l’obésité, opération “un fruit à la récré”) ».

Un autre confrère y trouve également des points positifs : « Les vétérinaires se sont bien positionnés dans les nouvelles Directions départementales interministérielles (DDI) proportionnellement à l’importance – relative – de leur corps. Comme il est difficile d’envisager un retour en arrière, il est important de faire en sorte que leurs missions soient accomplies de manière optimale dans le nouveau cadre. Les vétérinaires ne doivent pas être écartés des postes à responsabilité et leur approche diagnostique, pragmatique et rigoureuse doit pouvoir bénéficier à d’autres politiques publiques. »

Pourtant, des possibilités d’évolution de carrière existent

Moins de 20 % des vétérinaires sondés voient dans la réforme de meilleures opportunités d’évolution et de mobilité professionnelle, et 60 % la découverte de nouveaux modèles (qui constitue un facteur de motivation professionnelle), même si plus de 69 % d’entre eux remarquent une diminution des postes à responsabilité.

« Pour ceux qui, comme moi, étaient sortis des DDSV avant la RGPP, celle-ci peut effectivement favoriser les mobilités et les évolutions de carrière, à condition de privilégier nos atouts managériaux et de sacrifier quelque peu les compétences techniques, explique une consœur. Je suis assez confiante en l’avenir, car je pense pouvoir évoluer indifféremment vers la DDCSPP, la Direction départementale des territoires (DDT), la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ou la Draaf, voire vers d’autres voies encore inconnues. Il apparaît indispensable de maintenir des vétérinaires à des postes qui nécessitent une expertise pointue, afin de garder la plus-value technique dans des missions délicates qui ne doivent pas devenir bureaucratiques, au risque de disparaître définitivement au profit du privé. » La RGPP comporte donc des effets positifs, « notamment dans la découverte des missions de nos collègues des services de laConcurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (CCRF) », estime un confrère. Malheureusement, les moyens ne sont pas au rendez-vous, « ce qui engendre de nombreuses tensions : manque d’encadrement en plus d’une carence en personnel technique, difficultés pratiques qui peuvent paraître bénignes, mais qui empoisonnent la vie des agents (logiciels informatiques non compatibles, pas de programme partagé pour la réservation des véhicules, des fournitures et du matériel, etc.), absence de règlement intérieur commun entre les ex-DDSV et les ex-CCRF (certains ont l’obligation de pointer, tandis que d’autres non dans le but d’être plus “responsables”, etc.) ».

Une régression ressentie pour la sécurité sanitaire

Des contraintes pratiques sont également à gérer, et la fusion n’a parfois eu lieu que sur le papier. « Au niveau de la Draaf de Bourgogne, explique Jean-Roch Gaillet, les quatre sites sont en voie de regroupement. C’est assez difficile. Les projets ont pris du retard et nous allons éviter de faire subir au personnel deux ou trois déménagements en peu de temps. Dans les Yvelines, cela coûterait très cher de trouver le site permettant de rassembler l’ex-ensemble vétérinaire de Fontenay-le-Fleury et l’ex-service des fraudes qui est à Versailles. Les regroupements s’effectuent donc au rythme des réalités pratiques. Si un site unique permet de rassembler les forces, il ne faut pas que cela se fasse au détriment de leur motivation ou de leur efficacité. C’est, en revanche, bénéfique pour la cohésion des équipes et les économies d’échelle. »

« La DDCSPP de mon département n’a pas d’unité géographique, souligne un autre confrère. Par conséquent, l’organisation est considérablement alourdie et la coopération et le bénéfice réciproque n’ont aucune réalité pratique. »

Dans ces conditions, comment s’organise la gouvernance sanitaire sur le terrain ? « L’échelon régional est stratégique et budgétaire, souligne Jean-Roch Gaillet. Au plan départemental, une baisse de puissance était redoutée. Au final, les préfets de région ne se mêlent pas de ce qui se passe au niveau du département, c’est le préfet de département qui reste opérationnel. »

« La fusion montre un double pilotage. Rien n’a été fait pour harmoniser, déplore pour sa part Benoît Assémat. Chaque ministère a gardé sa manière de traiter les choses. Bruno Le Maire avait formulé la promesse d’un référent vétérinaire auprès du préfet lors des dernières Rencontres nationales vétérinaires à Bordeaux. Cette annonce est restée au point mort. C’est grave, nous n’avons rien de solide qui conforte la chaîne de commandement pour obtenir une unité nationale », poursuit-il.

« Je suis extrêmement préoccupé par notre capacité à être efficace en cas de crise majeure, en termes d’actions techniques d’une part (diminution des effectifs, de connaissance, etc.), de communication d’autre part », confie un confrère sondé. « Au bout d’un peu plus d’un an et demi d’exercice dans la nouvelle configuration, le constat est sans appel, et l’organisation en DDCSPP semble être, au regard de beaucoup, une réelle régression, tant pour notre avenir professionnel individuel que – et c’est le plus grave – pour nos missions de santé publique. » Beaucoup de travail, peu de moyens… Plusieurs confrères en témoignent. « L’inspection vétérinaire perd sa crédibilité jour après jour : la diminution drastique des fréquences d’inspection et l’obsession de déléguer aux professionnels les missions autrefois imparties aux services de contrôle laissent à penser que le sanitaire ira en se dégradant, car il est supplanté par l’économique. » La RGPP entraîne également une disparition des compétences techniques au niveau des postes à responsabilité. « Le plus frappant est la perte de la connaissance des spécificités vétérinaires : le DDI, s’il n’est pas ex-DDSV, et par conséquent le préfet, ne connaissent plus les vétérinaires sanitaires, leur métier, leurs compétences et leur importance en cas d’alertes sanitaires. »

Les textes communautaires contiennent-ils des solutions ?

Les moyens financiers restent une problématique majeure dans un contexte français déjà morose. « En termes de frais de fonctionnement des DDPP et DDCSPP, nous avons intégré des ministères dits pauvres et nous nous demandons si nous disposerons des mêmes moyens dans le futur. Les DDCSPP auront-elles autant de budget pour assurer les déplacements et la formation de leurs agents ?, interroge Jean-Roch Gaillet. Nous surveillerons ce point de près ! »

« Le coût de l’inspection des vétérinaires en France n’est pas un obstacle à la compétitivité des filières, estime Benoît Assémat. Cela coûtera plus cher aux abattoirs de transférer ce système. Si les taxes sanitaires augmentent légèrement, il est envisageable de dégager dix millions d’euros, et ainsi deux cents emplois. Nous avons une possibilité de repartir sur un bon pied avec ces principes. Les textes communautaires permettent aux Etats de lever des taxes. Si l’on s’appuie sur les principes de financement du “paquet hygiène”, l’Etat aura les moyens. Nous avons un système particulièrement efficace, nous courons à sa perte si rien ne change. »

Alors que les discussions sur le mandat sanitaire des vétérinaires sont en cours, la solution résiderait-elle dans une implication croissante des confrères libéraux ? « Il est mensonger de faire croire et d’annoncer, à la suite des Etats généraux du sanitaire, qu’en confiant le mandat aux vétérinaires libéraux, le problème sera résolu », estime Benoît Assémat. Selon lui, les nouvelles missions déléguées aux vétérinaires libéraux permettront d’améliorer, en amont, les tâches qui ne sont actuellement pas effectuées. Mais le mensonge consiste à laisser croire que des inspecteurs seront remplacés par des vétérinaires libéraux, alors que, dans leur clientèle, ils ne pourront pas assurer ce contrôle. « La solution se trouve dans les textes communautaires et internationaux de la gouvernance sanitaire », conclut Benoît Assémat.

  • (1) Voir aussi en page 18 de ce numéro.

  • (2) Voir l’intégralité du communiqué sur le site WK-Vet.fr, rubrique “Semaine Vétérinaire” puis “Compléments d’article”.

  • (3) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1423 du 29/10/2010 en pages 14 et 15 : « La Cour des comptes dénonce la politique sanitaire de l’Etat ».

  • (4) Sur 150 répondants au sondage de La Semaine Vétérinaire soumis il y a quelques jours à plus de 460 confrères travaillant dans le service public (DDPP, DDCSPP, Draaf, DDT, etc.). Voir les graphiques.

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