Les écoles vétérinaires françaises sont-elles aussi bien loties qu’on le pense  - La Semaine Vétérinaire n° 1440 du 04/03/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1440 du 04/03/2011

Enseignement. Rénovation d’Alfort

Actualité

Auteur(s) : Michel Bertrou

Les aléas de son projet de restructuration plongent l’ENVA dans une situation d’incertitude.

La France peut s’enorgueillir d’avoir fondé l’enseignement vétérinaire, mais aussi de l’avoir diffusé en Europe. Dans les pas de Lyon et d’Alfort, quatorze écoles y seront créées avant la fin du XVIIIe siècle. Ce rayonnement européen des écoles françaises au siècle des Lumières garde-t-il une réalité aujourd’hui Rien n’est moins sûr. D’autant qu’elles ne bénéficient pas forcément des mêmes conditions matérielles que leurs voisines d’Europe occidentale.

Alfort est la plus vieille école vétérinaire au monde, sur son site d’origine. Si elle est assez vétuste, elle est aussi la mieux lotie des écoles françaises puisque, à la différence des trois autres, elle bénéficie d’une dotation exceptionnelle de l’Etat. Tout l’établissement s’était projeté avec enthousiasme dans une restructuration nécessaire, baptisée le Grand projet Alfort(1), initiée par Michel Barnier en 2008. Mais depuis l’automne, des rumeurs circulent sur l’arrêt de ce projet. La rénovation serait remise en question, et avec elle l’équilibre budgétaire de l’établissement et son accréditation européenne (prévue en 2013).

Un partenariat avec la Caisse des dépôts devait permettre de financer la rénovation

Lorsqu’il visite l’école en janvier 2008, Michel Barnier, alors ministre de l’Agriculture, a peut-être en tête un rapprochement de l’ENVA avec AgroParisTech sur le plateau de Saclay. Mais en arpentant le site, en constatant ses atouts spécifiques comme son incroyable dégradation, il réalise l’urgence de le restructurer. Il appelle alors de ses vœux un projet global et promet une enveloppe de 16 millions d’euros. Un schéma directeur lui est soumis en octobre de la même année, qu’il valide avec Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Finalement, 15 millions sur trois ans seront alloués par l’Etat à l’ENVA(dont 9 millions du ministère de l’Enseignement supérieur). Pour financer la totalité de l’opération, l’idée d’un partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations(CDC) est avancée. Michel Barnier en signe la convention en mars 2009. Forte de cet élan, l’école planche alors sur son schéma directeur et rédige un cahier détaillé de prescriptions architecturales, urbanistiques et paysagères (CPAUP). « Un travail tout en finesse », atteste Anne Bellancourt, directrice adjointe de l’ENVA en charge du projet de restructuration du site.

Le CPAUP réarticule les zones du site, décide des futures implantations, revoit les axes de circulation et les alignements des bâtiments les uns par rapport aux autres. Une étude juridico-financière en concrétise la réalisation et le montage financier selon un calendrier précis. « Notre schéma directeur correspond aux besoins d’un outil de formation conforme à ce qu’attend l’Europe, témoigne notre consœur. En créant trois bâtiments neufs en cinq ans, nous commencions à avoir un campus plus fonctionnel dès 2015. » Premier bâtiment construit, le nouveau pôle à risque biologique (PRB) devait être livré en 2012. En 2013, la commission d’évaluation européenne aurait ainsi pu apprécier l’avancée des travaux. Le coût total de l’opération étant estimé à 140 millions, il était demandé à l’Etat de s’engager sur 2,5 millions supplémentaires annuels pendant vingt-cinq ans pour réaliser la première tranche. « A l’issue de cette période, grâce au partenariat avec la CDC, nous rendions à l’Etat un bâti totalement réhabilité et entretenu », explique Jean-Paul Mialot, directeur de l’ENVA.

Plus que 13 millions pour le chantier du pôle à risque biologique

Au printemps dernier, le projet finalisé est soumis à Bruno Le Maire. En pleine rigueur budgétaire, le nouveau ministre ne donne pas suite immédiatement. La réponse, négative, tombe le 22 juillet 2010 : l’Etat ne pourra s’engager au-delà des trois ans et des 15 millions promis. La rupture de fait du partenariat avec la Caisse des dépôts compromet tout le programme. Minutieusement planifié, le déroulement de la restructuration prévoyait, comme un jeu de chaises musicales, d’utiliser chaque nouveau bâtiment pour loger le personnel du prochain à raser, et ainsi de suite. Si la construction du nouvel hôpital n’avait pas permis de vider les 4 500 m2 des anciennes cliniques, les 6 000 m2 supplémentaires du PRB devaient y parvenir. Or, nouveau coup dur, l’école apprend qu’elle ne disposera pas de 15 millions pour le chantier du PRB, mais de 13 millions (2 millions devant être soudainement investis dans un engagement plus ancien du ministère : la rénovation des façades du bâtiment qui abrite le musée). Cette restriction budgétaire privant le PRB de son étage supplémentaire et de la rénovation du bâtiment attenant (Nocard) où devait loger le personnel enseignant, le jeu de chaises musicales n’est dès lors plus réalisable. Les anciens locaux encore partiellement utilisés devront continuer d’être entretenus et chauffés, des frais auxquels s’ajouteront l’entretien et le chauffage des bâtiments neufs… « Cela plombe littéralement notre budget », déplore Jean-Paul Mialot.

Pour Christophe Degueurce (à l’époque directeur délégué au patrimoine et en charge de l’élaboration du CPAUP), le projet de restructuration présentait l’intérêt de résoudre tous les problèmes à la fois, « certes sur vingt ans, mais au moins ils étaient traités ». « Aujourd’hui, constate-t-il, l’espoir se limite à en traiter un dans les trois ans, et peut-être à ouvrir d’autres tranches dans les années qui suivront. Le PRB sécurisera les disciplines qui en feront partie, mais ma crainte est que d’autres restent dans des conditions de précarité et de non-conformité. » « Nous nous retrouvons dans une situation de profonde incertitude », renchérit Anne Bellancourt. La persistance de bâtiments vétustes et mal entretenus soumet l’école à de sérieux risques de dégradations supplémentaires, voire d’accidents. « D’ici à trois ans, nous serons sans doute confrontés à des problèmes de sécurité », confie Jean-Paul Mialot qui, ironie du sort, en sera alors jugé responsable.

Le concours d’architecte est lancé, mais avec un an de retard

Comme Anne Bellancourt, qui reconnaît sa surprise devant la qualité des installations de la faculté vétérinaire d’Helsinki, Christophe Degueurce témoigne que les facultés allemandes, autrichiennes, néerlandaises ou belges sont mieux dotées que les nôtres. Il a même eu l’occasion de visiter la clinique équine de la faculté d’Utrecht (Pays-Bas) qui allait être entièrement rénovée, alors qu’elle n’avait pourtant que dix-huit ans. « Ces cycles de rénovation sont constants et planifiés plusieurs années à l’avance », témoigne-t-il. Un esprit encore impensable en France, où l’Etat semble éprouver des difficultés à se projeter au-delà des échéances électorales. En attendant, les écoles vétérinaires devront se débrouiller. « Au regard de nos financements, nous nous apercevons que la part qui vient de l’Etat va en diminuant d’année en année, note Jean-Paul Mialot. Actuellement, notre budget de fonctionnement, hors salaires, provient à plus de 75 % de nos ressources propres : droits d’inscription annuels (qui, en deux ans, ont augmenté de 1 200 à 2 000 €), contrats de recherche, ressources des cliniques, formation continue. »

Le concours d’architecte du PRB est lancé, mais avec ces aléas, il accuse un an de retard. Le bâtiment ne sera livré qu’en 2013. A cette date, l’école court le risque de ne pas être accréditée par l’Europe. Les étudiants n’apprécieraient pas beaucoup. Jean-Paul Mialot refuse d’y croire : « Tout le monde a conscience que ce n’est pas possible. Nous sommes au milieu du gué et nous devons poursuivre notre restructuration. Il faudra trouver au plus vite les compléments au financement du PRB. Si nous ne disposons que de 13 millions, nous voulons nous laisser une possibilité de construire un bâtiment à 15 millions, avec un étage en plus, ce qui permettrait de dérouler notre schéma directeur, pas en vingt-cinq ou trente ans comme nous l’avions prévu, mais de manière plus étalée dans le temps. »

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire nos 1298 (pp. 12-13), 1333 (p. 22), 1344 (p. 27), 1357 (p. 28), 1418 (p. 14).

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