Rencontre avec trois vétérinaires engagés dans la filière équine - La Semaine Vétérinaire n° 1440 du 04/03/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1440 du 04/03/2011

Patrick Dehaumont (A 82), Jean-Yves Gauchot (T 90), Alix Martin (N 01)

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Auteur(s) : Marine Neveux

La Semaine Vétérinaire : Le GIP France Haras vient d’être créé. Ce remaniement profond suit aussi le désengagement de l’Etat, qui passe la main aux socioprofessionnels et aux régions. Comment voyez-vous la place de vos confrères dans cette nouvelle structure, comment les vétérinaires pèseront-ils dans les politiques sanitaires équines ?

Patrick Dehaumont (GIP France Haras) : Nous disposons de peu de temps pour opérer cette mutation. Le cas échéant, l’Etat pourra bien entendu maintenir son soutien aux races en difficulté, telles que les aides à la reproduction ou à l’identification pour les chevaux de trait. Je serai toutefois extrêmement attentif à ce que le bénéfice de ces aides ne soit pas conditionné au recours à un opérateur spécifique, comme c’était le cas jusqu’à présent.

Deux aspects seront développés en parallèle : le transfert des centres techniques dans des structures régionales, et la construction d’une offre de services concurrentielle au niveau national. Sur le premier point, nous prévoyons de transférer les activités concernées dans un délai de trois ans à des structures locales ou régionales. Ces dernières, qui pourront prendre des formes variées (coopératives, associations, entreprises individuelles, sociétés aux statuts variés, etc.) et devront s’inscrire dans un cadre concurrentiel, sont à créer. Cette évolution impose une réflexion globale : hier, nous connaissions la monte “publique”, avec le réseau des Haras nationaux, et la monte “privée”, assurée par divers opérateurs dont les vétérinaires. Demain, nous disposerons sur le territoire de structures collectives ou individuelles qui assureront ces activités marchandes sans distinction. Cela impose des réflexions globales adaptées aux régions, dans un souci de viabilité économique des structures et, dans la mesure du possible, d’occupation harmonieuse du territoire.

S’agissant du second point, nous souhaitons par ailleurs, au niveau de la structure nationale de France Haras, développer une offre de services concurrentielle (génétique collective, transport de semence, référentiel de qualité des centres de reproduction, etc.). Ces activités dépendront de la volonté et de l’engagement des professionnels. En effet, elles ne seront pas subventionnées par l’Etat.

Jean-Yves Gauchot (Avef) : La prise de conscience que l’un des piliers principaux du vétérinaire, c’est le sanitaire, y compris dans la filière équine, a poussé l’Avef à structurer le Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe). L’objectif est de lui donner une légitimité au sein du secteur pour qu’il soit le maître d’œuvre en termes de collecte des données, d’analyse et de communication de celles-ci, surtout sur les maladies non réglementées, mais à forte incidence sanitaire et économique. Les vétérinaires pèseront également dans les politiques sanitaires en étant une force de propositions pour l’évolution de la base de données Sire (Sire 2 vers Sire 3), par un développement du Respe au niveau national (notamment lors des jeux équestres mondiaux de 2014), par des propositions réalistes pour aider la filière à rendre efficiente une politique d’équarrissage pérenne.

Alix Martin (ANSF) : Bien entendu, il y a beaucoup de professionnels impliqués dans la filière équine, particulièrement dans le segment élevage, et ce d’autant plus que la reproduction devient plus technique et que les éleveurs de chevaux, pour la plupart non professionnels, ont besoin de davantage de conseils dans ce domaine. Les vétérinaires ont bien compris toute l’importance de cette évolution, et sauront certainement y répondre.

Par ailleurs, le paysage actuel se modifie, avec la création du GIP et la reprise, à terme, des centres techniques par les professionnels du secteur. Jusqu’alors, certains vétérinaires travaillaient de concert avec l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), ex-Haras nationaux, dans ces centres techniques. Il ne faut pas que cette nouvelle organisation les pénalise et leur enlève des prestations, mais qu’au contraire, elle reste une opportunité pour eux, par exemple de reprise de centres techniques.

S. V. : L’Etat place sous gouvernance professionnelle des missions jusque-là dévolues aux Haras nationaux. Les associations de race gèrent le stud-book, une part importante de la politique sanitaire, et maintenant les missions régaliennes des Haras. Dans ce nouveau cadre, comment envisagez-vous le devenir des agents des Haras ? Quelles seront leurs nouvelles missions, par exemple dans le cadre de l’application du décret “détenteur d’équidés”, le contrôle local, le référencement, l’identification, etc. ?

Patrick Dehaumont (GIP France Haras) : L’évolution communautaire confie aux stud-books des missions de nature publique et d’intérêt collectif. Il est essentiel que la représentation professionnelle puisse assurer les missions d’orientation des races et les contrôles qui en découlent. En revanche, pour ce qui concerne la dimension sanitaire et la certification publique, je considère que cela doit rester une responsabilité de l’Etat. Dans ce contexte, l’identification est un dossier délicat qui est à l’interface de préoccupations multiples (sanitaires, économiques, sociales, etc.). Il sera probablement nécessaire de faire évoluer le dispositif à l’occasion de la création de France Haras, en restant conscients des enjeux et des bons résultats obtenus grâce à une gestion rigoureuse et sans concession. Nous aurons prochainement à ce sujet des discussions avec le ministère en charge de l’Agriculture et la profession vétérinaire.

S. V. : Comment une organisation vétérinaire comme l’Avef peut-elle freiner les velléités de certains professionnels qui ont vu dans l’accord signé l’occasion de faire un pont avec le dossier sur la délégation des actes ?

Jean-Yves Gauchot (Avef) : Au sein du GIP France Haras, l’Avef fait partie du collège des prestataires de services pour les prestations privées d’identification équine de terrain. Depuis des années, nous dénoncions avec le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) et le Conseil supérieur de l’Ordre le caractère anticoncurrentiel de certaines pratiques, qui consistaient à ne pas intégrer les coûts de fonctionnement dans l’identification de terrain lorsque celle-ci était réalisée par des agents des Haras. Depuis, l’IFCE est vigilant sur ce point et les pratiques sont moins déviantes sur le terrain. Avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), l’Etat souhaite se désengager de certaines missions qui lui coûtent cher. Les vétérinaires, de par leur maillage territorial, continueront à assumer l’identification, même en cas de désengagement partiel du GIP. Dans un contexte de libre concurrence entre eux, les confrères assumeront ce service de proximité et d’aide à leur clientèle sans que cela coûte à la collectivité dans son ensemble. En outre, pour la filière courte, exclusivement bouchère, le système d’identification électronique par boucles auriculaires, s’il est pérennisé au-delà de juillet 2011, lève l’obstacle économique de cette filière.

S. V. : L’Etat place sous gouvernance professionnelle des missions jusque-là dévolues aux Haras nationaux. Les échographies, les signalements des poulains ne risquent-ils pas d’être revus ? Cela ira-t-il dans le sens d’une plus grande implication des vétérinaires, ou l’inverse ? Les associations de race gèrent le stud-book, une partie importante de la politique sanitaire, et désormais les missions régaliennes des Haras. Il était déjà difficile de juguler les fonctionnaires de l’Etat dans certains actes “vétérinaires ou paravétérinaires”. Cette libéralisation des missions clés est-elle synonyme de recul pour la profession et, si ce n’est pas le cas, comment les vétérinaires peuvent-ils encore peser dans les rapports de force ?

Jean-Yves Gauchot (Avef) : Pour l’identification, il me semble que le vétérinaire restera un interlocuteur incontournable, d’abord parce qu’en tant que profession réglementée, sa certification est une valeur ajoutée indispensable dans un process d’identification, ensuite parce qu’il assure le maillage territorial. Mais il est vrai que pour se maintenir, ce dernier est tributaire des politiques sanitaires de l’Etat, notamment dans la filière bovine. En outre, la profession est compétente techniquement pour cette identification, sans parler de la pose du transpondeur qui est un acte vétérinaire.

Pour l’échographie, cela nécessitera une famille vétérinaire soudée face aux demandes isolées, mais non dénuées d’un pouvoir de nuisance, d’une partie de la filière équine. Si, demain, cet acte vétérinaire était ouvert par dérogation à d’autres que les agents des Haras, cela s’accompagnerait de graves conséquences pour la filière, avec la démobilisation d’une partie des vétérinaires ruraux mixtes qui assurent ce suivi et réalisent le maillage sanitaire. Ce serait une grande perte pour la société, à l’heure de l’année mondiale vétérinaire (Vet2011) où le concept one health, one world est mis en avant. Il s’ensuivrait inexorablement une catastrophe sanitaire et économique. En effet, le suivi ovarien d’une jument nécessite, pour une somme annuelle modeste de l’ordre de 170 €, souvent forfaitisée, un suivi vétérinaire rapproché de plusieurs examens gynécologiques au cours de la saison. Ce suivi a permis, en 2007, la détection des derniers cas d’artérite virale recensés. Même si les propriétaires possèdent moins de deux juments en moyenne, dans l’immense majorité des cas, elles sont stationnées chez un éleveur détenteur durant la saison de monte et au-delà. Ainsi, transmettre les constats de gestation et le suivi de la reproduction en matière d’équidés aux éleveurs représente un risque sanitaire, et donc économique, pour la filière à moyen terme. Il en est de même des problèmes de responsabilités en termes de lacérations rectales mortelles chez la jument, de bien-être pour toutes les jeunes juments qui nécessitent une tranquillisation lors des premiers passages à la barre. En l’absence de vétérinaire, ce serait un retour à des méthodes d’un autre âge. En outre, il n’y a pas de suivi gynécologique sans médicaments chez la jument : comment assurer alors une prescription ?

La traduction des Etats généraux du sanitaire sur l’acte vétérinaire s’est faite via l’ordonnance du 20 janvier 2011. Sa déclinaison devrait passer par une liste d’actes accessibles aux éleveurs. Si cela va de soi pour de nombreux actes en filières industrielles et bovine, dans la filière équine, accéder au constat de gestation et au suivi échographique pour les détenteurs et les techniciens représenterait, pour les vétérinaires, l’assassinat de l’écuyer Bourgelat, l’année même de la commémoration du 250e anniversaire de son œuvre. Outre la destruction du maillage sanitaire en équine, cela se traduira inévitablement, à moyen terme, par une catastrophe sanitaire (artérite virale, métrite équine contagieuse) et un déficit marqué de fécondité. En effet, cette dernière est, chez la jument, excessivement complexe et difficilement modélisable : elle demande une expertise scientifique vétérinaire de haut niveau. J’en veux pour preuve les multiples conférences avec des experts nationaux et internationaux que l’Avef organise régulièrement sur ce sujet.

Si d’aventure une frange de la filière équine voulait aujourd’hui profiter des Etats généraux du sanitaire pour “bouffer du véto”, j’appellerai à un mouvement vétérinaire national de contestation, dans le cas où nous n’arriverions pas à nous faire entendre. Je sais d’ores et déjà que je serai suivi, non seulement par les vétérinaires équins, mais aussi par tous les mixtes qui assurent également la gynécologie pour la filière.

S. V. : Vous venez d’être nommée directrice de l’Association nationale du selle français. Les associations de race gèrent le stud-book, une part de la politique sanitaire, et maintenant les missions régaliennes des Haras. Cette situation vous paraît-elle pertinente ? Un libéralisme à outrance ne pourrait-il aboutir à déprécier la qualité de l’état sanitaire du cheval français dans le commerce international ?

Alix Martin (ANSF) : La gestion de la race, avec la sélection et la caractérisation des chevaux, ainsi que la représentation des éleveurs, est la responsabilité du seul stud-book. En cela, nous nous rapprochons de ce qui se passe dans le reste de l’Europe, au niveau des stud-books européens. Ce rôle n’a rien à voir avec la gestion sanitaire d’une espèce. Dans ce domaine, les responsabilités de chacun restent identiques.

S. V. : Vous avez dirigé l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) ces dernières années et connu des crises sanitaires d’importance. Le transfert des compétences vers la filière, son autofinancement dû à la défaillance de l’Etat ne sont-ils pas des vecteurs de déréglementation et, par conséquent, de dépréciation de la politique sanitaire française ? Comment les professionnels peuvent-ils être à la fois juges et parties quand, dans les autres espèces, de rente notamment, la prise de conscience inverse s’est imposée ? La certification sanitaire n’est-elle pas une garantie de qualité facilement vendable sur le marché international et concurrentiel des chevaux de course ou de sport ?

Patrick Dehaumont (GIP France Haras) : La réforme mise en place concerne exclusivement des activités concurrentielles. Serait-il normal de continuer d’utiliser l’argent du contribuable pour assurer des missions du secteur marchand, et par la même occasion fausser le libre jeu du marché en mettant parfois en difficulté des entrepreneurs privés ? N’y a-t-il pas un risque d’être accusé d’être juge et partie en réalisant des prestations dans un cadre captif, en allouant des aides dont l’attribution impose le passage par un opérateur spécifique ? Il est compréhensible que l’Etat intervienne sur un marché concurrentiel lorsqu’il existe un besoin et une absence d’opérateurs. Ce fut le rôle fondamental des Haras nationaux dans le passé. Il doit aussi savoir se retirer pour permettre l’expression de l’initiative privée lorsque celle-ci est prête à prendre le relais. Les exemples de ce type sont nombreux : adduction d’eau, ingénierie publique, contrôle des points et mesures, etc. La privatisation de la profession vétérinaire dans les ex-pays de l’Est a aussi procédé de cette logique.

Je suis un fervent partisan d’un Etat fort, qui assume totalement ses missions de “régulateur” au sens anglo-saxon du terme : définir la règle et la faire respecter. La réforme engagée doit permettre d’y répondre en dégageant des moyens et en se recentrant sur le régalien. Il me semble que, dans cette perspective, l’IFCE et donc les ex-agents des Haras nationaux devront jouer un rôle clé. Il serait intéressant de réfléchir aux missions de contrôle que l’IFCE pourrait assurer dans le futur.

S. V. : L’Avef fait partie du collège prestataire. Quel sera sa place et son pouvoir décisionnel dans ce nouveau schéma ? Est-il normal que l’Avef n’ait pas de droit de véto sur des décisions qui relèvent strictement de son exercice (politique sanitaire élargie, etc.) ?

Jean-Yves Gauchot (Avef) : Il est vrai que les membres du collège des prestataires (l’Avef, la Fédération des acteurs de développement des techniques modernes de reproduction équine, l’Association syndicale des étalonniers particuliers) ne disposent que d’une seule petite voix pour trois. Il n’en reste pas moins qu’au niveau sanitaire, les vétérinaires sont désormais écoutés par l’administration de tutelle et l’IFCE. Comme nous avons dénoncé cet état de fait, il est possible que cela évolue dans les mois à venir. Face à la concurrence déloyale, nous serons solidaires des acteurs privés de la reproduction car, souvent, les vétérinaires sont partie prenante et les premiers lésés. Pour ce qui est de la politique sanitaire, je ne doute pas que le président du GIP et son directeur auront à cœur d’écouter les experts vétérinaires en la matière.

S. V. : Le transfert des compétences vers la filière, son autofinancement par défaillance de l’Etat ne sont-ils pas des vecteurs de déréglementation, donc de dépréciation de la politique sanitaire française ? Comment les professionnels peuvent-ils être à la fois juges et parties quand, dans les autres espèces, notamment de rente, les prises de conscience ont conclu à la nécessité inverse ?

Jean-Yves Gauchot (Avef) : C’est la triste réalité d’un désengagement de l’Etat et du ministère de l’Agriculture et de la Pêche dans la politique sanitaire agricole, faute d’un financement courageux pour le bien de la collectivité et des filières animales en général, alors que le monde entier admire notre système fondé sur le maillage du territoire par les vétérinaires.

L’Avef l’avait bien compris et a souhaité tenter de pallier quelque peu cette déficience par son réseau d’épidémiosurveillance (Respe). Mais celui-ci devra évoluer vers une structure plus large pour assurer un service complet à la filière équine, afin de garantir une surveillance épidémiologique accrue et rendre les acteurs économiques sereins. Cela passera par un engagement financier fort de l’ensemble de la filière et sera difficile, alors que l’on voit poindre l’échec de l’ATM (équarrissage des équidés trouvés morts), dû en partie à l’hétérogénéité de ce secteur sans interprofession.

S.V. : Professionnels et vétérinaires avaien tcréé ensemble le Respe, une structure destinée à la surveillance sanitaire. Cet organisme, avec le nouveau schéma, ne devrait-il pas être totalement dirigé par ceux qui détiennent un pouvoir sur la réglementation sanitaire ou qui ont pour mission de l’appliquer ?

Alix Martin (ANSF) : L’ANSF est en effet adhérente au Respe et se félicite du travail qui est accompli par cette structure. A l’heure actuelle, à notre connaissance, l’IFCE n’a pas pris de nouvelle responsabilité dans le domaine sanitaire. Il semble donc que l’IFCE et son évolution ne touchent pas la réglementation du suivi sanitaire.

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