La douleur animale reste une notion complexe à circonscrire - La Semaine Vétérinaire n° 1446 du 15/04/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1446 du 15/04/2011

Définition

À la une

Auteur(s) : M. B.

La douleur est « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes d’une telle lésion(1) ». Cette définition de la douleur chez l’homme, établie par l’Association internationale pour l’étude de la douleur (Iasp) en 1979, souligne l’importance des facteurs psychologiques dans l’évaluation de celle-ci. Les chercheurs vétérinaires éprouvant le besoin d’une définition plus adaptée aux animaux, Zimmerman formule en 1986 que « la douleur est une expérience sensorielle aversive déclenchée par une atteinte réelle ou potentielle qui provoque des réactions motrices ou végétatives protectrices, conduit à l’apprentissage d’un comportement d’évitement, et peut modifier le comportement spécifique de l’espèce, y compris le comportement social ».

Axer de cette manière la douleur animale sur les effets de la nociception (c’est-à-dire le système sensoriel primaire mis en jeu par tout stimulus capable de nuire à l’intégrité des tissus) montre la réticence scientifique à accorder aux animaux des expériences émotionnelles conscientes. Paul Flecknell l’attribue à l’erreur d’avoir longtemps assimilé la conscience à la conscience réflexive. Il est désormais reconnu que la conscience s’est développée progressivement au cours de l’évolution et que les états émotionnels dépendent d’une forme plus élémentaire – et plus partagée – appelée conscience primaire(2).

En 1997, Mollony et Kent rétablissent pour l’animal la dimension subjective de la douleur. Cette dernière « est une expérience sensorielle et émotionnelle aversive représentée par la conscience que l’animal a de la rupture ou de la menace de rupture de l’intégrité de ses tissus ». Selon le chercheur Daniel Le Bars, ce n’est qu’avec l’apparition du cerveau émotionnel (limbique) dans la phylogenèse qu’il est possible de parler de douleur (au sens d’expérience sensorielle et émotionnelle). Cela concerne tous les mammifères, et peut-être aussi les oiseaux. Les liens entre l’expérience émotionnelle et la douleur restent toutefois peu documentés chez l’animal (tout comme l’est le lien entre la douleur et la mémoire, déterminant chez l’homme).

Le système de la douleur est fortement intriqué avec le système végétatif

Par ailleurs, la pertinence d’une définition unique est limitée par le caractère protéiforme de la douleur. Elle peut être caractérisée de différentes manières, selon sa localisation (périphérique, centrale, superficielle, somatique, viscérale), ses mécanismes (douleurs physiologique et inflammatoire(3), douleur neuropathique liée à diverses lésions du système nerveux), sa durée (aiguë ou chronique), son utilité (utile quand elle sert à alerter l’organisme, inutile quand elle est délétère). Ces distinctions sont essentielles. Une douleur chronique (inflammatoire, neuropathique ou cancéreuse) n’est en aucun cas une douleur aiguë qui se prolonge. Le concept de stimulus nociceptif s’applique également mal au domaine viscéral, précise Daniel Le Bars.

Pour parfaire la difficulté, des recouvrements existent entre douleur, souffrance et stress. Douleur et stress(4) se confondent parfois du fait de signes physiologiques et comportementaux superposables. Effectivement, le système de la douleur est fortement intriqué avec le système végétatif.

Il est par ailleurs démontré, chez l’homme et l’animal de laboratoire, que le retentissement d’une douleur est plus important chez un sujet stressé. Si beaucoup d’auteurs utilisent également douleur et souffrance de manière interchangeable, peu se sont efforcés d’en cerner les différences pratiques. Les notions sont pourtant bien distinctes : il peut exister des douleurs sans souffrance comme de la souffrance sans douleur. Utilisée de manière plus globale, la souffrance (définie par l’Iasp pour la clinique humaine comme « un état émotionnel de détresse associé aux événements qui menacent l’intégrité biologique ou psychologique de l’individu ») met l’accent sur la dimension émotionnelle. Elle sous-entend aussi la dimension temporelle, car elle est souvent associée à un mal sévère et durable. Dans une autre perspective, évolutionniste, la souffrance (ouverte sur la réflexivité et qui altère le rapport au monde) peut vouloir souligner la capacité cognitive à conceptualiser sa propre douleur.

La nature subjective de la douleur animale (comme la douleur humaine) reste certainement l’élément le plus désarmant pour l’esprit scientifique qui cherche à l’objectiver. A cet égard, de grandes variations entre espèces, races ou individus sont observées et il n’y a pas nécessairement de relation proportionnelle entre l’importance de la lésion et la douleur exprimée. Le chercheur et le clinicien ne doivent alors pas oublier que la subjectivité de la douleur animale englobe également celle de son observateur.

  • (1) Il existe des “illusions” de douleurs, des douleurs entièrement construites par le cerveau (voir Daniel Le Bars).

  • (2) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1421 du 15/10/2010, page 18.

  • (3) Les douleurs physiologique et inflammatoire sont souvent regroupées sous le terme de « douleurs par excès de nociception ».

  • (4) Le stress est l’expression fonctionnelle d’une remise en cause de l’équilibre d’un être vivant avec son milieu (milieu social inclus).

  • (5) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1423-1424 des 29/10/2010 et 5/11/2010, page 36.

  • (6) http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/vivre-avec-les-betes/index.phpid=102523

Une approche philosophique et atypique

Notre confrère Philippe Devienne(5) est praticien en région parisienne et docteur en philosophie. Sa réflexion, inspirée de la philosophie du langage ordinaire de Wittgenstein, vivifie non seulement la philosophie de l’animal contemporaine mais, par l’éclairage critique qu’elle porte sur des certitudes scientifiques rarement mises en cause, remet en question toute notre approche de la douleur animale. Philippe Devienne a publié deux ouvrages : Les animaux souffrent-ils ? (éditions du Pommier, 2008) et Penser l’animal autrement (L’Harmattan, 2010). Il était l’invité, le 20 mars dernier, de l’émission de France Inter Vivre avec les bêtes (en écoute sur Internet(6)).

M. B.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Etude de Raphaël Guatteo et Delphine Holopherne (Oniris), publiée dans le n° 44 du bulletin des Groupements techniques vétérinaires (GTV), mai 2008.

• Evaluation scientifique et gestion de la douleur animale, publiée par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), 2009.

• Marine Hugonnard et coll. : « Attitudes and concerns of French veterinarians towards pain and analgesia in dogs and cats », Veterinary Anaesthesia and Analgesia, juillet 2004.

• Paul Flecknell : « Analgesia from a veterinary perspective », British Journal of Anaesthesia, 2008 (http://bja.oxfordjournals.org/content/101/1/121.full.pdf+html).

• Thèse de doctorat vétérinaire d’Olivier Roger : « Enquête sur les attitudes des éleveurs de bovins vis-à-vis de la détection et de la prise en charge de la douleur », Nantes, 2008.

• Mémoire de Daniel Le Bars : « Douleurs de l’homme, douleurs des animaux », publié en 2010 dans le bulletin de l’Académie vétérinaire, tome 163, n° 4/5, page 315 (www.academie-veterinaire-defrance.org).

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