Anesthésiologie
Formation continue
ANIMAUX DE COMPAGNIE
Auteur(s) : Gwenaël Outters
Il s’agit de la technique analgésique la plus efficace pour les interventions chirurgicales sous-ombilicales.
La péridurale au sens large consiste en l’injection d’une substance dans l’espace extradural. Elle peut être continue (effectuée à l’aide d’un cathéter) ou discontinue, induite au moyen d’une unique administration dont l’effet peut se prolonger de douze à vingt-quatre heures selon les molécules. La rachianesthésie (spinale ou intratéchale des Anglo-Saxons) est une injection intradurale. Elle permet une anesthésie peropératoire, tandis que la péridurale assure plutôt une analgésie post-opératoire. L’association des deux techniques est possible : une partie de la dose (un quart) est injectée en intradural puis, une fois l’aiguille retirée légèrement, le reste de la dose est inoculé en péridural.
Le risque de ponction artérielle de ces techniques est quasi nul et celui de traumatisme neurologique direct est faible. La principale complication de la péridurale consiste en la brèche de la dure-mère (c’est-à-dire l’effraction ou la déchirure du sac dural qui contient le liquide céphalo-rachidien).Elle se traduit par un écoulement ou une fuite du liquide céphalo-rachidien, qui est généralement sans conséquence. Cependant, l’injection n’est dès lors plus considérée comme une péridurale, et il convient de diminuer automatiquement les doses injectées.Cette complication est plus fréquente chez le chat que chez le chien, car l’extension caudale (vers L7) du sac dural est plus distale, et les risques de le ponctionner sont plus importants. Cette brèche provoque quasi systématiquement une irritation radiculaire transitoire qui se manifeste par une vive douleur au réveil et des contractures toniques de la queue.Celles-ci, susceptibles de durer quelques heures, sont impressionnantes pour le praticien.
Observer un écoulement de liquide céphalo-rachidien au moment de la ponction est le seul moyen de savoir si la dure-mère a été percée. De même, le “jerk” (mouvement brusque de la queue) est un signe quasi certain que l’aiguille a touché une racine nerveuse. Dans ce cas également, le praticien a de fortes chances d’être en rachianesthésie. Il faut alors injecter au maximum 50 % de la dose prévue et surveiller de manière stricte le monitoring (en raison du risque d’apnée mortelle par paralysie des muscles respiratoires si l’anesthésique local remonte trop loin, en trop grande quantité, ou par surdosage morphinique).
En médecine humaine, ces brèches de la dure-mère déclenchent une chute de la tension intracérébrale, des douleurs cervicales, des céphalées, ainsi que des nausées ou des vomissements. Elles sont traitées par blood patch, c’est-à-dire l’injection dans le même site d’un volume de sang qui fait office de coagulum en empêchant le liquide de s’écouler. Si les racines nerveuses ont été touchées et si le produit a été injecté en rachianesthésie (lidocaïne surtout), le réveil pourra être douloureux pendant une à deux heures (il s’accompagne de décharges électriques) : il s’agit d’une irritation radiculaire transitoire. La lidocaïne est par conséquent proscrite en rachianesthésie, car elle provoque des dégénérescences nerveuses, ainsi qu’une irritation et une inflammation importante. Selon l’expérience de notre confrère Nicolas Medina-Layachi, l’effet sédatif, et peut-être aussi analgésique, des 2-agonistes est partiellement protecteur dans les situations où la dure-mère présente une brèche. Il ne faut donc pas les antagoniser en cas de doute. Cependant, ces risques ont une faible occurrence.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la rachianesthésie n’est pas une mauvaise chose en soi ou non souhaitable. Elle est simplement plus difficile à maîtriser que la péridurale (technique périphérique d’anesthésie loco-régionale qui comporte moins de risques) et moins facilement systématisable.
La péridurale est à conseiller pour toute chirurgie (par définition douloureuse) et chez des animaux fragiles et débilités afin de conserver l’hémodynamique, sans surdosage de l’anesthésique général. C’est un moyen sûr et économique.
La rachianesthésie est réservée pour des interventions plus hautes, comme la cholécystectomie.
La péridurale (ou globalement l’anesthésie loco-régionale) limite fortement l’impact de l’anesthésie générale sur l’organisme, en particulier en stabilisant de nombreux systèmes. Elle permet de basculer d’une anesthésie générale pure et profonde à une sédation profonde ou neuroleptanalgésie à très faible dose. Elle complète le protocole de l’analgésie multimodale qui utilise, par exemple, pour une opération orthopédique de deux heures, l’isoflurane (souvent suffisant à 0,5 %), la kétamine pour ses effets antihyperalgésiques, l’acépromazine (neuroleptique puissant) et un 2-agoniste par voie générale à faible dose ([dex]médétomidine à 1 ou 2 mg par kilo de poids) pour leurs longs effets sédatifs et synergiques.
En pratique, pour les stérilisations de chattes et de chiennes, Nicolas Medina-Layachi utilise systématiquement un mélange de base qui contient de la kétamine (1 à 2 mg/kg) + médétomidine (10 à 20 µg/kg) et du butorphanol. Cette analgésie multimodale permet de potentialiser l’effet de la péridurale (animal immobile et intubé, mais à un stade d’anesthésie léger) de façon sûre et économique.
La technique est théoriquement réalisable sur des animaux conscients. Cependant, la procédure peut se révéler douloureuse et les réactions de l’animal sont parfois violentes : il convient de préférer une sédalgie ou une neuroneptanalgésie. La technique répond aux bonnes pratiques chirurgicales (tonte, désinfection et port de gants stériles). Une aiguille orange ou une aiguille spinale spécifique (souple et atraumatique) est utilisée. Les aiguilles de Tuohy communes peuvent être un peu grosses chez le chat. Afin de réaliser l’injection, l’espace intervertébral est repéré anatomiquement, caudalement à l’épineuse de L7 et entre les deux crêtes iliaques, sur la ligne sagittale. Puis le praticien va au contact du corps vertébral de L7, entre les deux apophyses. La pointe de l’aiguille est ensuite déplacée caudalement par petits sauts jusqu’à tomber dans l’espace intervertébral. La perte de résistance après le passage du ligament, décrite avec les aiguilles spinales, est quasiment insensible avec les aiguilles hypodermiques orange (utilisées quotidiennement chez le chat par Nicolas Medina-Layachi).
L’utilisation de la péridurale devrait se vulgariser, car sa technique est simple et son apprentissage rapide.Ce procédé présente un faible risque (inférieur à 0,01 % de complication majeure, hématome, abcès, mortalité) pour une forte efficacité (supérieure à 90 %). La péridurale est plus facile et plus efficace à mettre en œuvre que les blocs tronculaires. Sachant que toute chirurgie génère des affections tissulaires et que toute lésion induit un message nociceptif susceptible d’altérer le système nerveux qui laisse un marquage indélébile, la péridurale constitue un outil précieux pour diminuer les séquelles nerveuses, les phénomènes de mémorisation et de chronicisation de la douleur, au même titre que les interventions mini-invasives, la cœlioscopie et les anti-inflammatoires.
La péridurale stoppe le message nociceptif par inhibition des canaux ioniques. Les anesthésiques locaux modifient la conduction sur l’ensemble des fibres nerveuses. Ils sont donc susceptibles de bloquer simultanément les voies de la sensibilité, de la motricité et les fibres sympathiques. Ils diminuent l’influx nociceptif, préviennent l’hyperalgésie périopératoire, limitent la douleur au mouvement et comportent un effet anti-inflammatoire. En pratique courante, la péridurale est la technique analgésique et anesthésique la plus efficace pour les opérations sous-ombilicales. Elle est systématiquement utilisée par notre confrère lors d’ovariohystérectomie et d’exérèse de tumeurs mammaires chez la chienne et la chatte, de castration chez le chien, de laparotomie et pour toutes les interventions chirurgicales orthopédiques du membre inférieur. Bien menée, elle s’accompagne d’un nombre réduit des effets systémiques décrits : vaso-dilatation du territoire caudal, bradycardie et hypotension (bloc sympathique), bradypnée, paralysie diaphragmatique et hypoventillation (bloc phrénique).Ces incidences sont essentiellement liées aux excès de volume injecté (par migration craniale, surtout pour les rachianesthésies).Ces effets sont prévenus par un bon remplissage vasculaire, qui est assuré au moyen d’une perfusion systématique lors de péridurale. S’ils apparaissent, ils sont combattus par la réversion des agents réversibles (naloxone pour la morphine, atipamézole pour les 2-agonistes, diminution du pourcentage d’isoflurane), en faisant remonter la température, en perfusant et en administrant des antihypotenseurs (adrénergiques et phényléphrine).
Les contre-indications absolues de l’utilisation de la péridurale sont rares en médecine vétérinaire et sont extrapolées de la médecine humaine : les infections locales, la septicémie, les coagulopathies et l’hypotension majeure non corrigée. Les contre-indications relatives sont la déformation osseuse (perte des repères lors de fracture du bassin, par exemple) et les troubles neurologiques centraux.
Les anesthésiques locaux confèrent une analgésie d’excellente qualité qui présente peu de risques. Toutefois, une toxicité cardiaque et neurologique persiste : faible, elle est validée pour la lidocaïne au-delà de 10 mg/kg. La nocivité cardiaque est essentiellement décrite pour la bupivacaïne (passage vasculaire rapide et/ou surdosage). Les anesthésiques locaux augmentent la motricité de l’intestin et permettent une reprise rapide du transit postopératoire en diminuant la durée de l’iléus.
Les morphiniques fonctionnent en synergie avec les anesthésiques locaux (installation accélérée du bloc, effets secondaires moindres par diminution relative de la dose d’anesthésiques, action plus durable et plus puissante). Par conséquent, ils sont systématiquement administrés conjointement. Les effets indésirables des morphiniques connus chez l’homme (prurit [60 à 70 %], nausées et vomissements [20 à 40 %], rétention urinaire, dépression respiratoire [0,1 à 0,4 %], hypomotilité intestinale) sont peu décrits chez les carnivores domestiques. Chez ces espèces, la rétention semble constituer le principal problème, mais il est rare. Cependant, les morphiniques ne confèrent pas d’analgésie au mouvement et ne bloquent pas les réponses neuroendocriniennes au stress. Malgré tout, une injection péridurale unique de morphine peut représenter une méthode analgésique simple, sûre et efficace, qui s’accompagne de peu d’effets secondaires.
La buprénorphine induit une saturation immédiate des récepteurs centraux, une dépression respiratoire et une résistance à la naloxone : elle ne doit jamais être utilisée en rachianesthésie et son usage en péridurale est peu justifié. La morphine reste le “gold standard”.Elle prolonge largement la durée de l’analgésie et présente l’avantage d’être peu coûteuse. Son action est plus lente que les anesthésiques locaux, mais sa durée d’action est longue.
Nicolas Medina-Layachi, praticien en médecine féline et algolologie/anesthésiologie à Bordeaux.
Article rédigé d’après la conférence « Péridurale chez le chat », présentée au congrès de médecine féline, à Lyon, en novembre 2010.
Pour un prémélange correspondant à 100 kg :
– lidocaïne 1 à 2 % (à éviter, ou spécialités humaines sans conservateurs), ou bupivacaïne 0,25 % ou ropivacaïne : 9 ml ;
– morphine sans conservateur à 20 mg/ml : 0,5 ml ;
– (dex)médétomidine : 0,5 ml.
Total : 10 ml
Cette préparation est injectée à raison de 1 ml pour 5 kg de poids pour une analgésie et une anesthésie légère.
Gwenaël OuttersAnesthésie loco-régionale : Voir La Semaine Vétérinaire n° 1352 du 20/3/2009, pp. 6-38 : « Les blocs nerveux, simples d’emploi, sont trop peu utilisés. »
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